La Casa Bàtllo : l’idéalisation d’un chef d’œuvre

Relevé photographique fait par André Philippe St-Arnaud
Légende
Titre du document : « Étude d’élévation de la façade, avec quelques sections, éléments du plan, et des détails non identifiés. » Date de création : 1904-1905 Médium : Crayon au graphite sur du papier à dessiner Dimension : 50 x 67.5 cm Échelle : 1/50
Source : Descharnes, R., Pujols, Francisco, & Prevost, Clovis Ill. (1969). La vision artistique et religieuse de gaudi suivie de la visio artistica I religiosa d’en gaudi, de Francesc Pujols. Préface. de Salvador Dali. Lausanne: Edita.

Le dessin constitue le croquis initial, fait par Antonio Gaudi, pour la réalisation de la Casa Bàtllo. Antonio Gaudi est un des principaux architectes du mouvement Art nouveau. Né en 1852 au sud de la Catalogne, il est issu d’une famille de chaudronniers dont il sera grandement inspiré par la méthodologie « de ses hommes qui créent un volume à partir d’une surface et qui, avant de commencer son travail, pense déjà à un espace » (Contri, 2009. p.21). Il sera diplômé de la Escuela provincial de arquitectura de Barcelona en 1878.

Ce dessin effectué durant les études de Gaudi à l’école d’architecture représente une approche style beaux-arts.
Source : Mower, David. (1977). Gaudi. London: Oresko Books. p.13

Le dessin d’élévation en façade effectué durant ses années d’études démontre que sa formation d’origine est issue d’une approche typique de l’École des Beaux-Arts par la qualité et la minutie des détails. D’autre part, l’œuvre d’Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc a influencé Gaudi dans sa réflexion intellectuelle par rapport au rationalisme structural et au nationalisme culturel. De plus, Gaudi, tout comme Viollet-le-Duc, cherche à s’émanciper de l’historicisme néoclassique au profit d’une « architecture locale tout en cherchant des formes expressions totalement nouvelles » (Frampton. 1985 p.57).

Les œuvres d’Antonio Gaudi s’inscrivent dans une période sociohistorique charnière dans une Catalogne en pleine effervescence sociale et culturelle par rapport à l’emprise politique de Madrid. Dans ce sens, c’est en cherchant à créer une nouvelle identité architecturale capable de se distinguer de l’architecture néoclassique espagnole que le style Art nouveau verra le jour. Antonio Gaudi meurt le 10 juin 1926 soit trois jours après avoir été happé par un tramway à Barcelone.

L’Art nouveau est un mouvement artistique qui émerge au tournant du 20e siècle.  L’Art nouveau se veut être un mouvement stylistique cherchant à renouveler l’art architectural par rejet aux styles anciens. Les éléments fondamentaux associés à ce mouvement sont les lignes courbes et asymétriques et l’importance du rythme des couleurs et des formes inspirées de la nature. En somme, l’Art nouveau, dans son désir de créer une rupture stylistique avec l’ancien, sera un style charnière entre l’historicisme et le modernisme.

Le projet de la Casa Bàtllo, réalisé entre 1904 et 1906, est situé sur l’avenue Paseo de Gracia. À l’origine, ce projet est une commande de Don Josep Bàtllo i Casanovasi afin d’effectuer une construction de type Art nouveau destiné à cette riche famille issue de la bourgeoisie industrielle. Au départ, le propriétaire avait effectué les démarches auprès du bureau de service d’urbanisme de Barcelone afin d’obtenir un permis de démolition afin d’ériger une nouvelle construction de style Art nouveau. (Lemaire. 1998. p. sn). Cependant, Gaudi, par son dessin d’élévation, a préféré d’intervenir à partir de l’existant afin de proposer une métamorphose complète d’un bâtiment de nature banale et vernaculaire.

Source: https://www.casabatllo.es/
Modifié par André-Philippe St-Arnaud

Le dessin

Le dessin, fait par Gaudi, représente une élévation de la façade représentant les intentions stylistiques d’un bâtiment existant. Par ce fait, deux types de traits caractérisent le dessin : les traits minces et légers et les traits gras et foncés. En ce qui concerne les traits légers et minces, ils représentent en fait le bâtiment existant. Nous pouvons constater que ses traits caractérisent le bâtiment existant d’autant plus qu’ils sont de nature symétrique notamment les ouvertures. En ce qui concerne les traits gras et foncés, ils représentent les intentions d’intervention de Gaudi.  Dans ce sens, plusieurs parties du dessin n’ont pas été réalisées par un trait foncé à cause de la forme symétrique du bâtiment qui ne nécessitait pas une répétition du dessin des ornementations.

Plusieurs éléments ont été dessinés par Gaudi. D’abord, au premier niveau on retrouve l’étage réservé au commerce. Cet étage, tout comme l’étage noble, a été dessiné qu’à la moitié du croquis, car d’une part, la symétrie du bâtiment ne requiert pas nécessairement de reproduire les intentions sur toutes les ouvertures et que, d’autre part, les interventions dessinées en gras ont été effectuées à l’intention des sculpteurs ce qui explique l’absence de détails précis. En résultat, l’ornementation du premier étage a pour but de surprendre le passant avec ses formes qui ressemblent à des tiges de plantes monstrueuses ou à des fragments de squelette d’animaux (Lemaire. 1998 p. sn). D’ailleurs, on remarque, en dessous de la ligne de démarcation séparant le rez-de-chaussée commercial et l’espace public, des formes rondes irrégulières. Ces formes semblent une mise en plan de la façade. On peut donc appréhender la dimension irrégulière de la surface des balcons des niveaux supérieurs. De plus, nous pouvons remarquer à travers ses lignes irrégulières un effet de montage sinueux.

Les niveaux supérieurs du bâtiment sont principalement dédiés à la location tandis que le dernier étage est réservé aux travailleurs domestiques. Les balcons apparaissent comme des fenêtres en saillie. Cependant, il y a quelques différences dans la taille des ouvertures entre le bel-étage et ceux du niveau supérieur. Dans ce sens, les ouvertures du bel-étage sont nettement plus amples comparativement aux étages supérieurs. Cette différence dans le caractère architecturale s’explique par le besoin de montrer ostentatoirement sa richesse et sa position sociale par rapport au reste des occupants moins fortuné. D’ailleurs, on remarque que les traits caractérisant les fenêtres en saillie du premier étage comportent deux formes originales et distinctes. Premièrement, les formes d’arc parabolique asymétrique en forme d’œuf constituent le balcon. Deuxièmement, les formes d’auréoles, en arrière-plan, semblent représenter la verrière multicolore. En outre, les balcons des étages locatifs sont davantage marqués par la diminution de la surface des balcons. D’une part, les balcons seront séparés des uns de l’autre et, d’autre part, les auvents ne sont pas intégrés aux étages inférieurs par des colonnes comme ce fut le cas pour le bel-étage. La toiture demeure le fait saillant du dessin par ses nombreux traits foncés et gras. Si les formes sinueuses et irrégulières du grand trait noir traversant les deux côtés latéraux peuvent faire référence à des montagnes, elles constituent une intention de reproduire la forme de l’échine d’un dragon et ses écailles.  

La réalisation de la Casa de Bàtllo a été effectué par Gaudi et Josep Maria Jujol qui sera un des plus proches collaborateurs de Gaudi durant sa carrière d’architecte. La collaboration de Jujol s’inscrit principalement dans l’opérationnalisation des intentions artistique de Gaudi. On estime aujourd’hui que la Casa Bàtllo est l’apothéose de l’Art nouveau par sa valeur architecturale expressionniste (Crippa. 2003. p.66). De plus, la place de ce dessin dans l’histoire de l’art demeure importante, car Gaudi, au moment de sa mort, n’a pas exprimé son approche stylistique à travers un manifeste ou un traité architectural. En conséquence, chaque dessin effectué par Gaudi sera sujet d’étude de la part des architectes. D’ailleurs, ce dessin a été sauvé in extrémis de la destruction en 1936 pour être retrouvé en 1969 par Juan Bassegoda (Descharnes. 1969). En somme, Gaudi était très estimé par plusieurs architectes, étudiants et artistes locaux. D’autant plus que ses œuvres architecturaux ont permis à la Catalogne de s’affirmer nationalement et d’acquérir une renommée internationale en ce qui concerne le patrimoine culturel.

Salvador Dali, fervent admirateur du génie artistique de Gaudi, déclara que l’avenir de l’architecture sera « molle et poilue » lorsqu’en 1929, Le Corbusier déclara, lors d’une rencontre chez Roussy de Sale que Gaudi « était la honte manifeste de la ville de Barcelone » (Descharnes. 1969).

Bibliographie

Monographie

Descharnes, R., Pujols, Francisco, & Prevost, Clovis Ill. (1969). La vision artistique et religieuse de gaudi suivie de la visio artistica I religiosa d’en gaudi, de Francesc Pujols. Préface. de Salvador Dali. Lausanne: Edita.

Gaudí, A., & Lemaire, Gérard-Georges. (1998). Gaudi 1852-1926.

Contri, T., Gaudí, Antoni, & Bresson-Lucas, Anne. (2009). Antonio Gaudi (Grands architectes). Arles: Actes sud.

Crippa, M., & Gaudí, Antoni. (2003). Antoni Gaudi, 1852-1926 : De la nature à l’architecture. Koln: Taschen.

Frampton, K., & Morel Journel, Guillemette. (2006). L’architecture moderne : Une histoire critique. Thames & Hudson.

Sola-Morales Rubio, Ignasi, & Catala Roca, Francesc. (1983). Gaudi traduction française, Joëlle Guyot et Robert Marrast (Les Grands maîtres de l’art contemporain). Paris: A. Michel.

Photo dessin beaux-arts

Mower, David. (1977). Gaudi. London: Oresko Books. p.13

Article

Loos, A., Cornille, Sabine, & Ivernel, Philippe. (2003). Ornement et crime et autres textes (Rivages-Poche). Paris: Payot & Rivages.

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