
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale se pose la problématique de la reconstruction qui, couplée à la croissance démographique et à l’industrialisation galopante de l’Europe, implique le défi de construire des logements fonctionnels dans le but de les reproduire en quantité industrielle de manière efficace. Ainsi voit-on apparaître des logements standardisés et modulaires comme étant des solutions aux enjeux économiques et sociaux de la civilisation industrielle. Parallèlement, Le Corbusier poursuit ses recherches concernant l’architecture moderne, en particulier sur des solutions uniques au problème du logement, imaginant ainsi des unités d’habitations modulaire comme « machine à habiter ». Ce plan du cabanon s’inscrit alors dans la lignée de ses réflexions à propos de construction standardisée comme une expérience sur le logement minimal et ses limites.
Le dessin choisi est la première ébauche du plan du Cabanon que Le Corbusier esquissa en un temps limité en décembre 1951 sur un coin de table d’une guinguette qui deviendra plus tard « la cuisine mitoyenne » du cabanon. Habitué de Roquebrune-Cap Martin depuis plusieurs années, Le Corbusier avait pour projet d’offrir ce cabanon à sa femme comme cadeau d’anniversaire.
La nature de ce croquis du cabanon conduit instantanément notre attention sur l’organisation spatiale du volume intérieur qui au départ semble austère. Pourtant, celui-ci a été conçu à partir du modèle théorique du plan libre (CHIAMBRETTO Bruno, 1988) , modèle d’aménagement intérieur où le profil et la position de chaque composant a été mûrement réfléchie. En effet, on distingue sur le plan ci-dessus un parcours directif de forme spiralée. On observe alors sur le dessin une bipartition du plan qui va diviser l’espace de circulation et l’espace d’habitation.
Pour différencier ces zones fonctionnelles, Le Corbusier joue avec la disposition des meubles sur le plan. Ce dernier offre une petite entrée sous forme de corridor qui longe la mitoyenneté. Situé au bout du corridor (devant les toilettes) se trouve un portemanteau qui distingue une des zones de repos individuelles de l’espace de circulation et une colonne sanitaire disposant d’un lavabo qui, elle, sépare les deux zones de repos/vie, l’une étant sur la façade sud comprenant une table, des tabourets et une penderie (haut du dessin) et l’autre sur la façade nord composée d’un lit et d’un convertible (bas du dessin). Ainsi, on constate que le mobilier, en plus d’être fonctionnel, devient spatial en cloisonnant l’espace.
Finalement, on reconnait rapidement qu’en plus de disposer des éléments nécessaires pour y vivre correctement, le plan du cabanon est utilisé à son maximum et remet en question notre perception du confort et de l’espace. En effet, chaque centimètre carré est exploité avec de simples formes pour représenter les meubles. Il n’existe aucun véritable détail car Le Corbusier pensait que pour bien vivre, il fallait vivre dans la simplicité, ce qu’il a réussi à transmettre à la fois dans l’idée qu’on en retire du plan mais aussi graphiquement parlant. Cette idée d’habitat minimal nous donne en fin de compte une véritable leçon sur l’aspect qualitatif que nous associons aux objets avec lesquels nous vivons et nous apprend que c’est le résident qui décide de rendre son logement confortable et non les éléments qui le compose.
On note que chacune de ces zones précédemment analysées coïncide avec une forme rectangulaire où le Corbusier a su introduire la figure humaine correspondant au principe du Modulor. (Le CORBUSIER, 1955)

L’intention première était de donner vie à la théorie générale du beau des bâtisseurs de l’Antiquité en attribuant des proportions harmonieuses au projet, ainsi qu’une philosophie selon laquelle les logements devaient découler des besoins humains des résidents. A travers ce principe, le Corbusier souhaitait reprendre une échelle humaine, là ou autrefois on employait des unités de mesures comme la coudée, le doigt ou même le pied (encore utilisé aujourd’hui) afin de réintroduire le corps humain dans l’architecture, phénomène disparu du système métrique. A ce propos, Le Corbusier disait « L’humanité, c’est ça la valeur de base du Modulor ». (« Le Modulor », 2019)

Le Modulor, silhouette universalisée permettant de concevoir la structure et la dimension du mobilier et des unités d’habitation, médium et média non spécifiés, 1945, Le Corbusier,
Edition aa 1963
Ainsi les proportions des figures humaines sur le dessin s’inspirent du nombre d’or appliqué aux dimensions moyenne d’un homme, soit 1,83 mètres debout, 2,26 mètres bras tendu. Sur la coupe précédente comme chez le Modulor ci-dessus, chaque niveau concorde aux besoins humains qui se font idéalement à cette hauteur comme pour manger, dormir ou même travailler. On observe également sur la coupe ci-dessous que la hauteur du cabanon équivaut à 2,26m soit la hauteur du Modulor lorsque celui ci à la bras tendu. (« Le Modulor », 2019)

Pour une question d’utilisation efficiente de l’espace, les dimensions du dessin et de chacune des zones de vie intérieures du plan se calque également sur les mensurations du Modulor. On constate, en effet sur le plan que la longueur du lit correspond à la taille du Modulor debout (soit allongé) et que l’entrée est à peine plus large que les épaules du Modulor.
Ainsi, la structure du plan (dessin) nous évoque une composition de plusieurs rectangles d’or, suggérant celles de Piet Mondrian. Aussi, il est intéressant de noter que si le plan est en noir et blanc avec des traits épais pour les murs, le cabanon en lui même, dispose d’un seul luxe, celui de la couleur appliquée en aplat sur le plafond et le sol comme le démontre la photo ci-dessous.

L’intérieur du cabanon, médium et média non spécifiés, (sans date), auteur inconnu
A travers ces dessins (plan et coupes), Le Corbusier s’est également penché sur la composition intérieure du cabanon en fonction du site qu’est la Côte d’Azur. En effet, Le Corbusier a choisi ce littoral pour une simple et bonne raison: bénéficier de son climat et profiter de la vue sur l’océan. Pour cela, la position des fenêtres qu’a choisi Le Corbusier sur son plan sont déterminantes puisqu’elles représentent les yeux du cabanon, chacune offrant une vue unique. De plus, chacune des fenêtres dispose d’une hauteur différente, encore une fois découlant des proportions du Modulor. On peut ainsi constater que sur la première coupe, une des figures humaines observe à l’extérieur à l’aide d’une ouverture située à hauteur des yeux semblerait-il d’une personne assise. (BOESIGER Willy, 1995)
Depuis toujours, Le Corbusier apprécie vivre et travailler en extérieur, c’est pourquoi sur le plan il manque certaines fonctions au logement comme, par exemple, une baignoire ou une douche. On suppose que Le Corbusier faisait sa toilette dans la mer. Par ailleurs, la course du soleil est primordiale dans son étude du cabanon puisqu’en fonction de celle-ci il peut pratiquer ses activités d’artiste. On distingue alors sur le plan comme sur la photo qu’une ouverture plus grande se situe sur la façade sud -façade où la vue sur mer est accessible- lieu où est installé un bureau permettant ainsi une grande lumière pour travailler ou pour tout autre activité.
En définitive, Le Corbusier accorde une attention particulière aux parois puisque celles-ci servent de transition entre le dehors et le dedans, de cadrages sur l’extérieur grâce aux fenêtres mais également de moyens d’aménagement. (CHIAMBRETTO Bruno, 1988)
Ce dessin nous démontre finalement que Le Corbusier était en avance sur des questions qui demeurent d’actualité à savoir la construction d’un logement minimaliste à la fois économe et agréable à vivre qui nous interroge sur la subjectivité et la différence entre le confort et le besoin.
Bibliographie
- CHIAMBRETTO, Bruno, Le Corbusier à Cap-Martin, Le cabanon, Marseille, Editions Parenthèses, coll. « Monogr.architectes », 1988, 88p. [en ligne] : URL : https://books.google.ca/books?id=vMBqwcFbPg4C&dq=Le+Modulor+ii+,+pp.+253-254).&hl=fr&source=gbs_navlinks_s. ISBN : 9782863640463. (Consulté le 15 février 2020)
- Le CORBUSIER, Le Modulor II, la parole est aux usagers, Boulogne-Sur-Seine, Editions de l’Architecture d’Aujourd’hui, coll. « ASCORAL », 1955, PDF, 341p. (Consulté le 21 février)
- BOESIGER, Willy, Le Corbusier oeuvre complète (1946-1952), vol. 5, Editions d’Architecture Thames and Hudson 1953, PDF, 244 p. (Consulté le 21 février)
- Le Modulor, 2019, [En ligne] : URL : https://www.lescouleurs.ch/fr/journal/posts/le-modulor-etre-proche-de-lhomme-valeur-premiere/?utm_campaign=buffer&utm_content=bufferf8a23&utm_medium=social&utm_source=twitter.com (Consulté le 21 février)
- Conservatoire du littoral, Le Conservatoire soutient la candidature des sites Le Corbusier à l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, 2016, [En ligne] : URL : http://www.conservatoire-du-littoral.fr/actualite/169/4-l-actualite.htm (Consulté le 22 février)
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Le concept d’habitat minimal est fascinant. Quel est l’intérêt de ce concept pour Le Corbusier? Comment est-il exprimé par le croquis?