La Bourse de Commerce de Paris : de la Halle aux blés à la Pinault Collection (1763 à aujourd’hui)

Résumé – Le monument historique de la Bourse de Commerce de Paris a connu de multiples projets de restauration depuis sa construction de 1763 à 1767 par Nicolas Le Camus de Mézières. Pendant le siècle suivant, le bâtiment a subi d’importants travaux de rénovation, notamment la construction d’une coupole de verre et de fer pensée par François-Joseph Bélanger. En 1889, avec l’intention de répondre aux besoins de la métropole française, l’architecte Henri Blondel a entrepris une restauration monumentale afin de transformer le bâtiment en une bourse de commerce. Plus récemment, l’édifice abrite la Pinault Collection, une collection d’art contemporain qui contient une dizaine de milliers d’œuvres, depuis mai 2021. Afin de satisfaire les exigences du nouveau lieu, les modifications proposées et exécutées par l’architecte japonais Tadao Ando ont servi à renouveler le monument situé en plein cœur de Paris.

Maxime Tétard. La Bourse de Commerce de Paris. 2020. photographie. Bourse de Commerce / Pinault Collection.
(Source: https://www.pinaultcollection.com/fr/boursedecommerce/un-nouveau-lieu-pour-faire-vivre-et-partager-la-collection)

La photographie d’architecture de la Bourse de Commerce, prise par Maxime Tetard pour le site internet de la Pinault Collection, permet d’observer des siècles de travail d’architectes et de restaurateurs. D’abord, on remarque l’anneau de béton récemment ajouté au bâtiment original. Ce cylindre s’impose comme un des aspects principaux de l’image en occupant une grande portion de la partie inférieure de la photographie. De plus, la structure de béton promeut les transformations majeures subies par le bâtiment afin que celui-ci se revivifie et devienne un musée d’art. De manière à répondre aux exigences de la Pinault Collection, l’architecte japonais Tadao Ando est choisi pour proposer et exécuter les modifications architecturales. Son travail s’échelonne sur une période allant de 2017 à 2020. Ando mentionne que l’intention derrière son projet est de permettre la conversation entre les différentes époques d’architecture (Lasnier, 2021, p. 9.). Selon lui, cela s’opère en ajoutant des éléments structurels contemporains qui s’entremêlent à l’architecture originale (Lasnier, 2021, p. 9.). La forme cylindrique est utilisée par Ando pour transmettre son interprétation de la ville de Paris, mais aussi afin de manifester sa vision du monde architectural :

« La structure de ce dernier est un nœud de la symétrie qui imprègne l’urbanisme parisien. Elle incarne une énergie centripète et, au centre de la rotonde, un nouveau cercle apparait, soutenu par une technologie moderne. Le chevauchement des cercles concentriques trouve un écho et se répand à travers le temps et l’espace, de l’intérieur vers l’extérieur, de l’architecture à la ville, du passé au présent, et vers l’avenir. »

– Tadao Ando (Lasnier, 2021, p. 9.)
Maquette de la Bourse de Commerce, proposée par Tadao Ando, Bourse de Commerce / Pinault Collection. (Source: https://worldarchitecture.org/architecture-news/eggfv/tadao-ando-s-bourse-de-commerce-transformation-in-paris-is-set-to-open-on-january-23.html  )

De plus, l’ajout d’une immense structure rotatoire à l’intérieur de la Bourse de Commerce fait écho à la circularité recherchée par l’architecte Nicolas Le Camus de Mézières lors de la construction originale du bâtiment entre 1763 et 1767 (Colonna-Césari, 2021, p. 14). À l’époque de son inauguration, il s’agissait d’une halle aux blés pour les Parisiens. Comme le mentionne Jean-François Lasnier dans Quatre siècles d’histoire, Le Camus de Mézières se distingue notamment en proposant un plan circulaire pour la Halle aux blés de Paris :

Nicolas Le Camus de Mézières,
Plan de la Halle aux blés, 1763,
Bibliothèque nationale de France, Paris.
(Source: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Le_Camus_de_M%C3%A9zi%C3%A8res_-_Halle_couverte.jpg)

« Le site est dès lors dédié au commerce : la halle aux blés est construite entre 1763 et 1767 par Nicolas Le Camus de Mézières, architecte expert juré du roi, qui intègre la colonne Médicis à la façade du nouveau bâtiment. Son plan se distingue par son originalité : il délaisse en effet le modèle traditionnel de la halle-nef pour un plan annulaire dans lequel une galerie d’arcades cerne un vide central. »

(Lasnier, 2021, p. 55)

L’architecte original s’inspire fortement de l’architecture antique pour créer son bâtiment. Les plans de la halle évoquent manifestement la circularité du Colisée de Rome (Rabreau, 1974, p. 306). Par conséquent, la rotonde envisagée implique une organisation urbanistique particulière. Ainsi, Le Camus de Mézières aménage des lotissements autour du bâtiment central. Comme on peut le constater dans le Plan de la Halle aux blés de 1763, la halle constitue le coeur d’un rayonnement de six rues. Ces six artères divisent six terrains dédiés à l’habitation qui encerclent le monument (Boudon, 1973, p. 277). La volonté de construire un bâtiment circulaire entouré d’une voie routière n’est pas anodine. À Paris, les choix architecturaux et urbanistiques répondent à un besoin de réguler la circulation et d’assurer, dans le cas de la Halle aux blés, le transport des produits alimentaires dans la ville (Wiebenson, 1973, p. 262). Cependant, dès les premières années suivant l’inauguration de la halle, on reproche à l’édifice de disposer d’un espace intérieur trop restreint (Wiebenson, 1973, p. 263). Pour remédier à cet enjeu, il faudra envisager la construction d’un dôme, ce qui permettrait d’utiliser le centre de la structure annulaire.

Pendant le siècle suivant, le bâtiment a subi d’importants travaux de rénovation de manière à pallier la nécessité de couvrir la cour intérieure. Des couvertures temporaires, des dômes de bois et des dômes de pierres, de briques et de fer ont été installés, mais ces solutions n’ont pas su être à l’épreuve des intempéries, des incendies ou du poids des matériaux (Wiebenson, 1973, p. 267). De surcroit, ces toitures imposaient un important problème d’éclairage à l’intérieur du bâtiment, s’opposant ainsi aux jeux de lumière initialement recherchés par Le Camus de Mézières. La première coupole comprenant une section de verre a été pensée par Jacques-Guillaume Legrand et Jacques Molinos en 1783. Toutefois, elle a été incendiée en 1802 étant donné qu’elle était en partie construite de bois (Fereng, 2021). Entre 1809 et 1813, l’architecte François-Joseph Bélanger et l’ingénieur François Brunet reconstruisent la coupole, cette fois-ci en ayant recours à une charpente de fer (Lasnier, 2021, p. 55). En 1873, la Halle aux blés se voit dans l’obligation de fermer ses portes. Quelques années plus tard, l’architecte Henri Blondel est chargé de transformer le bâtiment en une bourse de commerce. Il rafraîchit notamment la coupole en vitrant la partie supérieure ainsi qu’en ornant le bas d’une impressionnante fresque.

La Bourse de Commerce, gravure pour Le Monde illustré, 1889, Bibliothèque nationale de France, Paris.
(Source: https://gallica.bnf.fr/blog/11062021/la-bourse-du-commerce?mode=desktop

Dans la photographie étudiée, on peut admirer cette fresque monumentale apposée sur la partie inférieure de coupole de la Bourse de Commerce. Cette œuvre époustouflante mesure une hauteur de dix mètres et une largeur de cent quarante mètres. Elle est installée à l’intérieur du bâtiment dès 1889 en vue de l’Exposition universelle (Lasnier, 2021, p. 59). Par ailleurs, les travaux de restauration de Blondel ont été pensés de manière à mettre en valeur les cinq peintures intégrées à l’architecture, soit L’Amérique, La Russie et le Nord, L’Asie, L’Afrique et L’Europe (Lasnier, 2021, p. 59). L’oeuvre collaborative est conçue par cinq artistes distincts. De ce fait, Blondel cherche à assurer la cohérence entre les peintures ainsi qu’à garantir l’appréciation optimale du spectateur. Pour ce faire, il positionne la fresque à la parfaite hauteur permettant de limiter les écarts stylistiques perceptibles.

Dans la photographie de Tetard, on peut apprécier les motifs suscités par la luminosité particulière permise par la coupole vitrée. La lumière qui pénètre à l’intérieur de la Bourse de Commerce crée un effet spectaculaire perceptible par les personnes qui visitent le lieu. À cet égard, le photographe expose avec clarté les jeux d’éclairage et la forme circulaire du bâtiment. Pour l’inauguration de la Pinault Collection, le dôme de Blondel a reçu quelques travaux de restauration afin d’être solidifié (Colonna-Césari, 2021, p. 64). De plus, les technologies les plus performantes ont été appliquées à la partie de verre afin d’assurer la protection des objets contre les effets néfastes des rayons du soleil (Colonna-Césari, 2021, p. 64). Ainsi, la fresque et les oeuvres de la collection qui sont exposées peuvent être mieux préservées. Dans un autre ordre d’idées, le cylindre de béton est choisi de manière à mieux capter la lumière et à mettre en valeur la transparence du dôme.

Le visiteur qui parcourt la Bourse de Commerce peut admirer, dès l’extérieur, la magnifique façade néoclassique installée par Henri Blondel. Elle se compose notamment de quatre colonnes qui culminent avec un fronton soigneusement sculpté. De l’intérieur, le parcours s’organise autour du cylindre de Tadao Ando. Le circuit oriente le spectateur vers les escaliers, ce qui lui permet de gravir les étages et d’observer les multiples fenêtres de la façade de la cour intérieure. Arrivé au deuxième étage, le visiteur déambule selon un parcours circulaire défini, ce qui facilite la circulation du regard et la lecture du lieu et des oeuvres d’art. En effet, il peut admirer de plus près la gigantesque toile et l’étonnante coupole de verre qui atteint jusqu’à trente-cinq mètres de hauteur par rapport au sol (Colonna-Césari, 2021, p. 18)

Tadao Ando, Coupe de la Bourse de Commerce pour la Pinault Collection, Bourse de Commerce / Pinault Collection. (Source: https://www.architecturalrecord.com/articles/15124-la-bourse-by-tadao-ando-with-nem)

En conclusion, la Bourse de Commerce de Paris est un lieu vivant qui laisse percevoir le passage des différentes périodes architecturales. Il est intéressant de voir comment les fonctions et les structures se transforment au fil des années. Ainsi, par le biais de ses nombreuses restaurations, le monument manifeste le dialogue entre la mémoire et le changement, le patrimoine et l’innovation.

Bibliographie 

BOUDON, Françoise, « Urbanisme et Spéculation à Paris au XVIIIe Siècle: Le Terrain de l’Hôtel de Soissons », Journal of the Society of Architectural Historians, vol. 32, n°924, décembre 1973, p. 267-307. En ligne. < https://doi.org/10.2307/988920 >. Consulté le 6 octobre 2021.

BOURSE DE COMMERCE, Bourse de commerce : Pinault Collection, « Un nouveau lieu pour faire vivre et partager la collection », dans Un nouveau lieu, 2021. En ligne. < https://www.pinaultcollection.com/fr/boursedecommerce/un-nouveau-lieu-pour-faire-vivre-et-partager-la-collection >. Consulté le 6 octobre 2021.

BOURSE DE COMMERCE, Bourse de commerce : Pinault Collection, « L’histoire d’une restauration », dans À lire, à voir, à écouter, 11 janvier 2021. En ligne. < https://www.pinaultcollection.com/fr/boursedecommerce/lhistoire-dune-restauration >. Consulté le 6 octobre 2021.  

COLONNA-CÉSARI, Annick, « Le chantier de restauration », Connaissance des arts, Hors-série, n°924, 2021, p. 60-65.

COLONNA-CÉSARI, Annick, « Architecture : la nouvelle bourse de commerce », Connaissance des arts, Hors-série, n°924, 2021, p. 12-19.

FERENG, Yannick, La Bibliothèque Nationale de France, « La Bourse du Commerce », dans Le Blog Gallica, 11 juin 2021. En ligne. < https://gallica.bnf.fr/blog/11062021/la-bourse-du-commerce?mode=desktop >. Consulté le 6 octobre 2021.

LASNIER, Jean-François, « Quatre siècles d’histoire », Connaissance des arts, Hors-série, n°924, 2021, p. 52-59.

LASNIER, Jean-François, « Tadao Ando : Le geste contemporain », Connaissance des arts, Hors-série, n°924, 2021, p. 6-11.

RABREAU, Daniel, « La halle aux blés de Le Camus de Mézières », Bulletin Monumental, tome 132, n°4, 1974, p. 303-307. En ligne. < https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1974_num_132_4_5403 >. Consulté le 6 octobre 2021.

WIEBENSON, Dora, « The Two Domes of the Halle Au Blé in Paris », The Art Bulletin, vol. 55, n°2, juin 1973, p. 262-279. En ligne. < https://doi.org/10.2307/3049099 >. Consulté le 6 octobre 2021.

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