Une architecture entre racine et renouveau.

Six Family and Residence, Oakland, Californie, Photo de Robert H. Vance, 1855. « Judge and Mrs. Rix, Aunt Claire, Uncle Dunstan, Uncle Hale, baby Edward in the buggy, Julian and his dog. »

En s’installant dans l’Ouest Américain, les européens ont importé leur style architectural en le déclinant pour l’adapter aux conditions climatiques et sociales de leur nouveau lieu de vie.

En 1724, dans son ouvrage, The Present Date of Virginia, Hugh Jones écrit à propos d’un bâtiment construit par l’architecte Sir Christopher Wren; « The building is beautiful and commodious, being first modeled by Sir Christopher Wren, adapted to the nature of the country by the gentleman there. » Cette phrase qui porte sur la construction architecturale du Nouveau Monde qu’est l’Amérique du XVIIIème siècle, reflète clairement deux grandes idées que l’on retrouve dans l’analyse de cette photographie de Robert H. Vance. Le style architecturale est conçu par des architectes mais réapproprié par des particuliers, des « gentleman ». Ces « gentleman » doivent également s’adapter aux conditions naturelles et sociales de ce nouveau pays et réinventent ainsi un style architectural qui leur est propre, en s’inspirant de ce qui se faisait dans leur pays d’origine.

Cette photo de la famille Rix et de leur résidence, prise en Oakland, en Californie en 1855 immortalise une réalité architecturale et sociale de l’Amérique de l’Ouest du XIXème siècle. Cette photo prise par Robert H.Vance est l’une de ses nombreuses photos de portraits. C’est un daguerréotype, le premier type de photographie utilisé à des fins commerciales. Il tient son nom du français Louis Daguerre qui a déposé un brevet en 1839. Contrairement au premier procédé photographique de Nicéphore Nièpce, le daguerréotype ne nécessite pas des heures entières d’exposition mais seulement une trentaine de minutes, on pouvait alors poser assez facilement. On voit ainsi émerger avec ce type de photo les portraits de familles comme cette photo. La description au dos de cette dernière est « Judge and Mes. Six, Aunt Claire, Uncle Dunstan, Uncle Hale, baby Edward in the buggy, Julian and histoire dog ». On était fier de poser devant sa propriété et on décèle une certaine fierté dans la pose de ces personnes.

La maison de la famille Rix est une maison de ville à deux étages. C’est une maison assez modeste avec un bardage en bois sur l’ensemble des murs extérieurs. Elle forme un bloc carré avec son toit plat, ayant un fronton triangulaire, duquel dépasse une cheminée en brique. La composition de cette maison est symétrique. La porte d’entrée, la porte de la terrasse, en décalage de cette dernière, et les fenêtres forment trois ouvertures en haut et en bas. Il y a un porche et au-dessus, une terrasse. Ces derniers possèdent des balustrades en dessous d’une barrière en dentelle de bois. Cette répartition de la maison en trois est accentuée par la présence de colonnes carrées en bois avec des chapiteaux et des piédestaux carrés, épurés. La maison semble être sur pilotis avec un escalier de cinq marches menant à l’entrée, mais c’est parce qu’elle possède un sous-sol avec une entrée à l’extérieur. Devant cette maison, il y a également un plancher en bois qui lie directement la maison à l’espace public de la rue.

On voit dans la répartition et la forme architecturale de cette maison les restes inconscients d’une inspiration du style géorgien. Le style géorgien est un style anglais qui s’inspire des codes architecturaux de la Grèce antique. Cependant, on est loin des géorgiennes anglaises car elles sont habituellement bien plus grandes et en briques. Ici, on reconnait néanmoins l’inspiration antique par la présence de colonnes et la répartition en parts égales de la forme architecturale. On peut voire certaines ressemblances avec le schéma de la « two-story house » qui est un modèle d’architecture récurant pour les maisons coloniales du XVIIIème siècle. La maison Rix pourrait être une forme de réappropriation du modèle géorgien et colonial par des pionniers de l’Ouest.

Schéma d’une « two-story house », dans The Visual Dictionary of American Domestic Architecture.

La résidence des Rix est une résidence de pionniers. Elle fait partie de ces bâtiments qui se sont rapidement construit en même temps que ce qu’on appelle les « villes champignons » suite à l’installation rapide et massive des pionniers en Amérique de l’Ouest. En effet, la ville d’Oakland a été fondée en 1852, quelques années seulement avant la prise de cette photo et on constate déjà un début d’urbanisation car la maison des Rix est mitoyenne de ce qui semble être un commerce en brique. Il y a également une rue à droite qui débouche sur une autre maison. De 1860 à 1870, elle est passée de 1543 à 105000 habitants. Les pionniers ont donc dû trouver des moyens de se construire des logis rapidement et efficacement sur des terres où il n’y avait rien du tout. Cette urbanisation rapide est permise grâce à la technique de ce que l’on appelle la charpente ballon ou le « ballon frame » en anglais. Cette technique a elle été permise suite à l’apparition des scies actionnées mécaniquement et à la fabrication industrielle de planches et de clous. Elle consiste à construire un plancher de bois à la base et à assembler des planches en les croissant et en les clouant ensemble afin de former une ossature en bois avant de la revêtir d’une façade en bois. On peut ainsi imaginer que la famille Rix est une famille de pionniers qui s’est installée rapidement de cette façon.

Construction d’une maison en charpente ballon, réserve d’Omaha, Nebraska, 1877 (source: site Jean Huets).

Cette photographie soulève une dernière question. En effet, que reflète cette démarche de construction architecturale et qu’est-ce qui ressort derrière ce cliché? Cette démarche architecturale est réalisée non pas par des architectes mais par des ouvriers voir même des personnes n’ayant aucun prérequis pour la construction. Cette maison est un type de construction architecturale que l’on pourrait qualifier « d’hybride ». C’est le résultat d’une adaptation de la part des hommes et d’une réponse à certains besoins à un moment donné de la part de l’architecture. Comme on peut le voir sur cette photo, une résidence est importante pour une famille, elle fait partie de la famille. Une maison est le symbole d’une certaine réussite et une affirmation identitaire. Les pionniers de l’Ouest américain ont matérialisé leur présence par la construction de logis qu’ils ont adapté aux territoires et à leurs besoins tout en restant inspirés par ce qu’ils connaissent.

Bibliographie:

Ovidio Guaita, La maison coloniale, Hazan, 1999.

C.Robinson, J. Herschman, Architecture transformed, The Massachusetts Institute of Technology and the Architectural League of New York, 1987.

Robert. Elwall, The international History of Architectural Photography, Building with Light, Merrell, 2004.

Rachel Carley, The Visual Dictionary of American Domestic Architecture, Illustrated by Ray Skibinski and Ed Lam, Henry Holt, 1994.

William H. Pierson, Jr, American Buildings and Their Architects, The colonial and Neoclassical styles, Garden city, New York, Doubleday and Company, 1970.

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