La satire comme action sociale
Note pour la correction finale: Les sections où le titre comporte une parenthèse (1) ont déjà été corrigées lors de la première remise. Il a été décidé de tout garder ensemble afin de conserver un narratif logique et pour que les promotions suivantes puissent apprécier le travail dans son ensemble. Les sections qui font partie de la remise finale seront marquées d’un (R) aux titres et sous-titres. J’espère que cela vous aidera. Naturellement, j’ai exclu le nombre de mot de la première remise dans le décompte de la dernière remise puisqu’il était possible de refaire un tout nouveau texte. Je viendrai enlever cette note après le dépôt des notes finales.
Nombre de mots pour la première remise: 657 mots
Nombre de mots pour la dernière remise: 1238 mots
Contexte (1)
L’œuvre analysée affiche une coupe d’un immeuble de style haussmannien caractéristique par sa toiture en comble à mansarde ainsi que l’illustration de personnages affichant des trains de vie forts différents[C0]. Cette illustration de Bertall, de son vrai nom Charles Constant Albert Nicolas d’Arnoux de Limoges Saint-Saëns nous est parvenue sous forme de gravure créée par Jacques Adrien Lavieille. Le tout aurait été publié en 1846 dans un recueil de nouvelles publié par Pierre-Jules Hetzel, Le Diable à Paris[1]. Cependant, sa première publication aurait été faite au sein de L’Illustration, un autre journal, en 1845.
Vraisemblablement, l’œuvre aurait été imprimée en pleine révolution industrielle par procédé lithographique[2], procédé en soi qui remuait les débats sociaux « [p]ar sa rapidité d’exécution, sa facilité à dessiner directement sur pierre et son bas coût » (Brouwers, 2015), rendant ainsi plus démocratique l’accès à la diffusion d’opinions diverses.
Finalement, cette œuvre aurait été plusieurs fois reprise, recopiée et adaptée selon les contextes, les besoins et les intentions des auteurs qui les produisaient. Yoh (2018) mentionne La Maison à trois étages de Karl Girardet, Paris qui travaille (1883) et La Vie parisienne (1864), entre autres. Dans son mémoire, Muji Yoh écrivait au sujet de cette œuvre:
[1] Nom complet: Le Diable à Paris. Paris et les Parisiens. Mœurs et coutumes, caractères et portraits des habitants de Paris, tableau complet de leur vie privée, publique, politique, artistique, littéraire, industrielle, etc.,etc.
[2] L’imprimeur, Typographie Lacrampe et compagnie aurait notamment imprimé Le Droit au travail de Proudhon.
[3] (Yoh, 2018). Voir figure 5: La Vie de Jean le Baptiste, Giotto (Ambrogio) di Bondone, Fresque de la Chapelle Peruzzi, Santa Croce, Florence, 1315. page 11
Problématique (R)
Puisque cette œuvre cherche apparemment à représenter les conditions de vie des Parisiens de l’époque à travers les possibilités qui leur sont imposées par le contexte de l’habitat du XIXème siècle, il serait intéressant de se questionner sur la justesse de sa représentation. De quelles façons et avec quelle justesse l’œuvre de Bertall représente la société parisienne de l’époque? Le présent travail se divisera en trois sections. Tout d’abord, les composantes graphiques de l’œuvre seront analysées afin d’en ressortir les principales observations, leurs significations ainsi qu’une analyse sémiologique seront proposées afin d’éclairer les possibles raisons qui ont poussé l’auteur à faire le dessin de cette façon. Ensuite, une section se concentrera sur la justesse de la représentativité de l’œuvre de Bertall quant à ce qu’était la société parisienne de l’époque et son lien avec l’habitat. Finalement, la dernière section se concentrera sur la réponse à la question de recherche.
Analyse graphique de l’œuvre (1-R)
Cette section s’intéresse principalement aux éléments physiques de l’œuvre, la forme et moins aux éléments décoratifs de fond ou aux trames de vie qui sont représentées.
L’organisation (1)
À première vue et nonobstant le fait qu’elle affiche trois étages en plus du rez-de-chaussée et de la mansarde, l’œuvre illustre une coupe d’immeuble de cinq étages[5] où le cinquième est à même le toit en mansarde. L’œuvre, qui n’est pas sans rappeler une bande dessinée est donc composée de cinq bandes de deux ou trois cases chacune. Le dessin semble comporter deux niveaux de détails: la structure de l’édifice qui crée un effet bande dessinée et la vie qui y est dépeinte à l’intérieur des cases[C1].
[4] L’usage en Europe est de commencer à compter le nombre d’étages après le rez-de-chaussée et ne semble pas inclure l’étage mansardé.
Structure (1)
Le premier niveau d’analyse révèle des traits fins, denses, réguliers et toujours orientés dans le même angle descendant vers la droite; le tout pourrait permettre d’offrir une impression de solidité et de stabilité que l’on souhaite à une structure[C2]. La régularité, la rigueur du trait ainsi que sa densité semble aussi permettre la séparation de l’œuvre en case au même titre que celles des bandes dessinées.
Contrastes (1)
De par son impression directe sur le papier, l’œuvre crée un effet de contraste élevé et ne possède pas d’arrière-plan per se. Cela dit, les nombreux détails qui font un effet de luminosité semblent créer un plan arrière et avant pour les illustrations. Leur contraste avec les traits obliques de la structure semble donner un effet de profondeur. Ces traits sont toujours verticaux et leurs extrémités ne sont pas régulières, caractéristique qui semble permettre de recréer un effet de lumière naturelle [C3].
Cette logique où les traits à angle sont utilisés pour l’édifice et que les traits verticaux sont réservés aux effets de lumière n’est brisée qu’à deux endroits: la lucarne à pignon insérée à même le toit en mansarde [C4] ainsi que dans la délimitation de l’avaloir de la cheminée au sein de la case deux sur la première bande.
Fait intéressant, le vide utilisé pour représenter le conduit de la cheminée semble être en fort contraste avec les éléments constitutifs de cette même cheminée et pourrait avoir été laissé de la sorte volontairement. En effet, si certains murs au sein de certaines cases sont majoritairement blancs[C5:C], elles comportent, à l’opposé de l’espace du conduit de cheminée, toujours au moins une zone d’ombre et pourraient donner l’impression de «plein» malgré le manque de contenu. Il serait intéressant de questionner ce choix graphique pour l’intérieur de la cheminée. Est-ce que le lecteur perçoit les «vides» différemment selon les autres éléments qui l’entourent? Cela dit, il pourrait être possible que l’auteur ne cherchât qu’à montrer le fait que ce conduit parcourt la totalité de la hauteur de l’édifice pour mener la fumée vers la souche située sur le toit[C5].
Codes graphiques, sémiologie et ascension sociale (R)
Cette section s’intéresse à l’impression de difficulté et de cloisonnement qu’inspire le dessin de Bertall à propos des classes sociales représentées. L’élément analysé se trouve principalement en la cage d’escalier de l’édifice et c’est dans l’univers théorique de la sémiologie qui sera utilisé ici. Ce qui est avancé est que les différents codes graphiques utilisés par l’auteur créent un effet précis chez le lecteur: la difficulté d’ascension sociale que présentait la société parisienne du XIXème siècle.
Representamen (R)
En premier lieu, le representamen[6], soit, la représentation physique d’un signe, ici graphique, est l’encre déposée stratégiquement sur le papier qui crée des formes qui, elles, créent le prochain composant sémiologique: l’objet.
Objet (R)
Le deuxième composant de l’analyse sémiologique est l’objet[7]. Au sein de l’œuvre étudiée, l’objet est multiple et invoqué à l’esprit du lecteur:
- Les escaliers et leur inclinaison de plus en plus prononcée à chaque étage;
- La quantité de personnes les gravissant se réduisant graduellement : cinq, trois, un, respectivement;
- La position de leur corps, détendue au rez-de-chaussée, presque voûté pour certain[C6];
- La nature de ceux qui gravissent les escaliers, l’allure «prosaïque» de l’homme du 2e étage et le chat à l’étage supérieur (Thierry, 2010);
L’objet peut être à la fois dynamique (les escaliers de façon générale) ou immédiat (cet escalier précisément). Dans le présent cas, les objets sont tous immédiats puisque les symboles graphiques (representamen) ne semblent pas exprimer une généralité, mais bien ce qu’ils affichent au sens littéral. C’est donc au niveau de l’interprétant que se joue l’apparition de la réelle signification qui est voulue par Bertall.
Interprétant et sémiose illimité (R)
Le dernier composant sémiologique qui entre en action est l’interprétant. Celui-ci est l’ensemble des associations que le lecteur crée dans son esprit entre les representamens et les objets. Il voit l’encre, perçois les formes des personnages et des structures, l’inclinaison des escaliers, etc., et les associe en premier lieu avec ce qu’il connait déjà. Cela étant fait, le lecteur passe d’une association à l’autre, la sémiose illimité[8], les croise entres elles et comprends l’univers de sens ainsi déployé devant lui pour y retenir le concept de difficulté, de séparation entre les différents types de personnes dessinées. Instinctivement, cette allégorie participe à créer en lui l’impression que cherche à soulever Bertall: les riches ont la vie simple alors que les pauvres, non. Au niveau de la dénotation, le lecteur perçoit de façon littérale des gens, des structures, des images alors qu’au niveau connotatif, il perçoit beaucoup plus d’interrelations et de significations.
[5] «Le representamen est le signe dans sa matérialité (aspect matériel du signe)» (F. Richert, notes de cours, automne 2021)
[6] «L’objet est ce à quoi le representamen réfère.» (F. Richert, notes de cours, automne 2021)
[7] «Representamen [qui] génère un interprétant qui constitue un autre signe qui pourra servir de point de départ à une autre triade de signification.» (F. Richert, notes de cours, automne 2021)
Analyse sociale de l’œuvre (R)
Autres temps, autres mœurs (R)
Au sein de son mémoire de fin d’études, Constance Fender avance que l’immeuble de rapport est une représentation d’une «hiérarchisation verticale de la population et donc de l’offre»[9] et argumente que cette époque présente la caractéristique que les logements les plus rapprochés du sol sont ceux qui possèdent le plus de valeur aux yeux des Parisiens (Fender, 2019, page 28). Elle attribue cette logique au fait que le riche propriétaire a de ce fait un meilleur accès à la cour intérieure ainsi qu’un accès plus rapide à la rue (ibid.). L’autrice souligne aussi le fait que les immeubles de rapport de la première moitié du XIXème siècle n’avaient pas pour but de créer une ségrégation totale des classes au sein de l’édifice, d’où la présence d’un seul escalier, condition qui changera au tournant des années 1850 (ibid. page 32). L’autrice apporte aussi le fait que ces immeubles de rapport étaient divisés selon trois «mixités»(ibid. page 28). La première, programmatique, concerne les fonctions de l’immeuble, ceux-ci possédaient souvent une boutique, des appartements ainsi que de potentiels bureaux. La deuxième, économique, puisque ces immeubles sont destinés à garantir un revenu à leurs propriétaires. La dernière mixité est sociale et s’illustre dans le fait que ces immeubles regroupaient bien souvent trois classes sociales: aristocrate, bourgeoise et «les employés de maison» (ibid.). Bertall illustre cette ségrégation verticale par l’entremise de la case 3 où habitent les aristocrates, dans la case 4 au-dessus où sont logés les bourgeois ainsi qu’avec les cases 5 et 6 et les suivantes où vivent et survivent les employés, locataires et autres classes «inférieures» de la société[C7].
Justesse de la représentation de Bertall (R)
Même s’il peut sembler de mauvaise foi que de juger de la justesse de la représentation de l’habitat des Parisiens du XIXème siècle au sein d’une œuvre caricaturale qui est limitée par son support graphique, l’exercice peut se révéler intéressant. De ce fait, Constance Fender souligne que les immeubles de la première moitié du XIXème siècle n’avaient qu’un seul escalier, que les occupants l’utilisaient tous et que le but derrière cette configuration a vraisemblablement été d’« effectuer un rapprochement entre les diverses classes de société[…]» (Fender citant Moley, 1999, page 32).
Cela dit, une autrice, Adeline Daumard soutient qu’il n’était pas commun que les propriétaires d’un édifice au centre-ville de Paris y résident, sauf en de rares occasions bien précises (Daumard, 1975). Elle ajoute aussi que la ségrégation sociale «réunissait des gens appartenant à des milieux voisins […] qu’ils étaient susceptibles de se connaître, de nouer des relations d’affaires, de travail ou des rapports privés […]» (ibid. page 57). De plus, l’autrice, forte de sa recherche démographique et de son travail de décortication des fichiers de logements de l’époque, avance qu’il était commun que de nombreux déménagements aient lieu au sein du Paris du XIXème siècle (ibid. page 57) et que les loyers augmentaient souvent et de sommes considérables (ibid. page 56). Si ces faits anecdotiques ne possèdent principalement que la qualité d’être intéressant pour la présente recherche, il est possible de pointer la situation qui se déroule au sein de la case 6 où l’occupant se fait évincer de son logement, il serait surprenant que Bertall l’ait inclus sans que cela ne soit pour dénoncer un état de fait de la métropole[C8].
Il est aussi intéressant de pointer le fait que Bertall a illustré l’utilisation de l’espace habitable selon une logique économique en ce sens où le statut social garantit des lieux habitables plus spacieux. En effet, les aristocrates et bourgeois ont toujours une case «double» où les prolétaires n’ont que des cases deux fois moins grandes et les pauvres ne survivent qu’à l’intérieur des combles. De plus, cette disparité s’illustre aussi dans le luxe qui est illustré. Où les aristocrates possèdent un balcon orné de colonnes corinthiennes et de consoles, deux grandes fenêtres, de grands plafonds et des moulures, les bourgeois n’ont qu’une fenêtre, aucun balcon, de grands plafonds et des moulures aux murs[C9]. À l’opposé, les prolétaires ne possèdent qu’une fenêtre souvent plus petite, aucune moulure9 et un plafond plus bas tandis que les pauvres se contentent que des combles, encore plus bas de plafonds, parfois sans fenêtre et souvent sujets aux intempéries.
[8] Fait intéressant, l’autrice avance que cette hiérarchisation verticale des classes sociales tire sa source des hôtels qui se composaient de « l’étage de représentation, l’étage du quotidien des propriétaires et celui des domestiques sous les mansardes.» (Fender, 2019, page 28)
[9] Il est possible d’observer que les moulures ne sont présentes que dans les cases que fréquentent les riches, preuve que tous les signes de richesses ornementales ne sont réservées qu’aux riches.
Réponse à la question de recherche (R)
Pour terminer, la question de recherche s’intéressait à la façon dont Bertall s’y est pris pour représenter la société parisienne de l’époque. Il est important de comprendre en premier lieu que l’auteur a été limité par le contexte que la lithographie lui apporte ou encore par le fait que le tout devait tenir sur une seule page. Cela dit, l’auteur y est allé avec des codes graphiques qui sont propres à créer un sémiose illimité chez le lecteur afin qu’il intègre correctement les bons codes de communication souhaités par l’auteur, à savoir ceux qui représentent les inégalités que vivent les citoyens en matière d’utilisation de l’espace et de qualité de vie. L’auteur a bien su représenter les divisions sociales, les privilèges spatiaux ainsi que les possibilités des résidents qui font œuvre au sein des immeubles. Sommes toutes, il est donc logique d’affirmer que l’édifice de Bertall représente bien la situation qui avait cours à Paris dans la première moitié du XIXème siècle en ce qui a trait au logement et à la population.
Emyl Ferland
Annexe
Œuvre agrandie
Bibliographie
Source de l’œuvre à l’étude
Bertall, « Coupe d'une maison parisienne le 1er janvier 1845 », dans Le Diable à Paris. Paris et les Parisien, 1845. Page 153/682, En ligne, <https://archive.org/details/lediableparispar00balz/page/n152/mode/1up>. Consulté le 02 mars 2022.
Autres sources
Aprile, Thierry, (2010), L’immeuble de Paris au XIXe siècle, Université Paris-Est Créteil - IUFM, En ligne, Récupéré de http://grial4.usal.es/MIH/parisBuildings/resource1.html, consulté le 02 mars 2022 Brouwers, Gervaise, (2015), La lithographie passée en revues : entre controverses politiques et enjeux esthétiques, Sociétés & Représentations 2015/2 (N° 40), En ligne, Récupéré de https://www-cairn-info.proxy.bibliotheques.uqam.ca/revue-societes-et-representations-2015-2-page-183.htm, consulté le 02 mars 2022 Coste, Gérard, 2018, L’avant et l’après Gutenberg : la révolution par l’imprimerie. Sud Ouest, En ligne, Récupéré de https://www.sudouest.fr/redaction/le-cercle-sud-ouest-des-idees/l-avant-et-l-apres-gutenberg-la-revolution-par-l-imprimerie-3174909.php# , consulté le 02 mars 2022 École nationale des Chartes, Dictionnaire des imprimeurs et lithographes du XIXe siècle - LACRAMPE Jean-Baptiste, Xavier, En ligne, récupéré de http://elec.enc.sorbonne.fr/imprimeurs/node/22594, consulté le 02 mars 2022 Daumard, Adeline, (1975), Quelques remarques sur le logement des Parisiens au XIXe siècle, Annales de Démographie Historique, En ligne, récupéré de https://www.persee.fr/doc/adh_0066-2062_1975_num_1975_1_1265 Fender, Constance, (2020), La renaissance de l’immeuble de rapport, École Camondo, En ligne, Récupéré de https://diploma2020.ecolecamondo.fr/content/uploads/2020/06/la-renaissance-de-limmeuble-de-rapport_constancefender_200113-v2.pdf, consulté le 02 mars 2022 Loyer, François, (Sans date), L'immeuble parisien, Atelier parisien d'urbanisme, En ligne, Récupéré de https://50ans.apur.org/data/b4s3_home/fiche/82/02_immeuble_espace_urbain_tome2_apapu100-1_16ffe.pdf, consultée le 02 mars 2022 Meyer, Jean-Paul, (2005), Images de l’immeuble dans "La Vie mode d’emploi" : une BD de façade ? : "Travailler avec un dessinateur de BD", En ligne, Récupéré de https://www.researchgate.net/publication/312376436_Images_de_l'immeuble_dans_La_Vie_mode_d'emploi_une_BD_de_facade_Travailler_avec_un_dessinateur_de_BD, consulté le 02 mars 2022 Office québécois de la langue française, 2020, Fiche terminologique - rez-de-chaussée, En ligne, récupéré de https://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8361920, consulté le 02 mars 2022 Simon, Philippe, (2020), La satire, 2500 ans et toutes ses dents, Le Temps, En ligne, Récupéré de https://www.letemps.ch/culture/satire-2500-ans-toutes-dents, consulté le 02 mars 2022 Yoh, Muji, 2018, L’Analyse de l’illustration panoptique dans les journaux illustrés au XIXe siècle, Université de Poitiers - UFR des Lettres et Langues, En ligne, Récupéré de http://neuviemeart.citebd.org/IMG/pdf/miju_yoh_memoire_m1_2017-2018.pdf, consulté le 02 mars 2022
Le sujet de cette illustration n’est pas un bâtiment haussmannien. L’influence de ce préfet en charge de la révision du tissu urbain parisien ne verra son influence apparaître sur le cadre bâti qu’à partir de 1853. Or, ce dessin est paru dans un journal satirique en 1845. De plus, les immeubles haussmanniens possèdent un deuxième balcon filant en façade de l’avant-dernier étage, qui n’est pas présent ici.
La légende accompagnant cette illustration dans le recueil « Le diable à Paris » laisse peu de doute quant à l’utilité de ce bâtiment, il s’agit d’un immeuble de rapport typique du début du XIXème siècle. Ces immeubles ont pour fonction de « rapporter » à leur propriétaire par la location des appartements. La case 6 en témoigne, montrant un propriétaire venu réclamer le loyer à un homme qui semble être bien en peine.
« Monsieur baille et madame dort en attendant les visites… Au second la floraison des vertus domestiques : le père, la mère, les enfants et les joujoux… Au troisième le propriétaire qui vient réclamer le terme échu ; sur le même palier un célibataire, vieux rentier retraité… au quatrième l’ouvrier sans argent, sa femme en pleurs et ses enfants sans feu ; l’artiste qui bat la semelle pour réchauffer l’inspiration ; le philosophe qui médite un ouvrage entre ses draps, son parapluie tout grand ouvert ».
Je salue le travail réalisé dans cette analyse concernant l’observation des saynètes et des tranches de vie qu’elles représentent. Les niveaux sont effectivement occupés par différentes classes sociales, dont le niveau d’habitation est inversement proportionnel au rang dans la société. L’ascenseur n’existant pas à cette époque, le 1er étage accueillait les populations les plus aisées, et les plus pauvres vivaient effectivement dans les combles.
Toutefois, il serait intéressant de réaliser un parallèle entre ce niveau social et les caractéristiques du bâtiment. Le premier niveau, occupé par les familles les plus riches, ont le droit à de hauts plafonds, de grandes fenestrations et de riches moulures, tant intérieures qu’extérieures, le pilastre à chapiteau corinthien ayant était relevé, et d’un balcon en pierre de taille porté par des consoles à volutes. Le second niveau est légèrement moins haut de plafond, préserve ses corniches, mais ne présente quasiment plus d’ornement en façade avec une simple console à volute sous l’appui d’une fenêtre de taille réduite. Le troisième niveau voit la hauteur sous plafond chuter drastiquement et toute ornementation est absente. Enfin, les habitations sous la mansarde sont à peine habitables, soit insalubres par des fuites d’eau perçant du toit, soit par la proximité avec les fumées rejetées par la cheminée de l’âtre des cuisines, au rez-de-chaussée.
Il apparaît donc que la gradation esthétique des immeubles est parallèle à la gradation sociale de ses occupants. Ceci rappelle le traité du beau essentiel dans les arts de Briseux, écrit en 1753, où le prestige immobilier doit être en accord avec le rang de son occupant. Malgré l’époque révolutionnaire et l’éclatement partiel des codes de la société, la population est toujours enfermée dans un déterminisme social et identitaire.
Cette illustration sera en effet souvent reprise pour dénoncer la ségrégation sociale qui existait et existe toujours derrière les belles façades de ces immeubles identitaires de la capitale de « art de vivre ».
Ressources bibliographiques :
– BLAZER, W., BENÉVOLO, L., BURDETT, R., SUDJIC, D., & CALLIAT, V. (1850). Parallèle des maisons de Paris construites depuis 1830 jusqu’à nos jours, Paris, B.
– DAUMARD, A. (1975). Quelques remarques sur le logement des Parisiens au XIXe siècle [article]. Disponible depuis : https://www.persee.fr/doc/adh_0066-2062_1975_num_1975_1_1265.