Jean-Jacques Lequeu va au-delà de l’humainement possible, dans sa démarche créatrice. Alors que ses dessins n’ont pas été réalisés sur le plan technique, soit la construction de ceux-ci, il tend son œuvre vers le domaine du rêve et du fantasque. Lequeu, au cours de sa vie, a eu une évolution plutôt saugrenue, passant d’œuvres de style classique, soit inspirées de l’antiquité à quelque chose de plus exotique, ce qui a entre autres donné le dessin de la Chaumière du chef de l’île des hommes de la nature, élevée sur la tortillière. Ce dessin de Lequeu se trouve sur la même planche que la fig.169 et cette chaumière se situe au-dessous de la Vue des Cabanes des Sauvages du désert. Lequeu est donc considéré comme «un architecte de papier, un voyageur immobile, un libertin de bureau.» (Flouquet, 2018, p.118). Ce dessin de chaumière inventé par Jean-Jacques Lequeu est représenté de face et il n’existe pas de planches intérieures ou encore de plan de profil sur ce dessin au lavis et aquarelle. Par la plume et ses matériaux, Lequeu va chercher tous les détails et les ornements de la Chaumière du chef de l’île, que cela soit dans le bois, les coquillages ou encore le pignonet, en plus de cet arbre sur le dessus: référence à la nature et aux sauvages. La forme carrée en avant-plan de la chaumière est plutôt standard. Le porche quant à lui fait à partir de bois, s’éloigne de l’homogénéité de la chaumière et se détache de celle-ci par ces tons de gris et la texture de la surface.
Sur ce dessin de Lequeu, il est écrit en haut à gauche : le titre du dessin de Lequeu et un peu plus bas au niveau du toit : « Couverture de jouts plats bien cousus, enduits d’un mastic composé de gommes d’arbres. L’extérieur en bois incorruptible nommé Tecca ». Ce qui donne les composants de l’extérieur de la chaumière. Du côté droit, il est inscrit : « L’intérieur est tendus de peaux de cerf de chamois diversifiées par un mélange agréable de vives couleurs, et les grands coussins tout remplis de cotons roses qui néchauffent point les reins ». Puisque qu’il n’existe aucun plan autre ce dessin de cette chaumière, il est possible de visualiser les composants de l’intérieur par les coussins et les peaux de cerf. Juste en dessous : « Leyoné composé de coquillages calcinag et d’une sorte defable doré, qui enforme l’aire ». Et en dessous de la chaumière : « Inventé et dessiné par Jean. Jacques. Lequeu ». Aussi cette intention du dessin en noir et blanc apporte un aspect de neutralité à celui-ci, en effet la Chaumière du chef de l’île des hommes de la nature se détache du fond et permet une observation minutieuse des détails et de l’écriture de l’architecte. La lucarne sur le dessus qui semble ouverte et qui aurait pour fonction d’aérer la chaumière.
Ce dessin Chaumière du chef de l’île des hommes de la nature, élevée sur la tortillière, fait référence bien sûr à cette chaumière du Chef de l’île et non pas seulement à l’habitant de l’île, qui se trouve dans à vivre dans une cabane. (Fig. 169.) Celle-ci se différencie par cette tortillière qui fait référence à une allée étroite et tortueuse souvent dans les parcs et jardins. (Bosq, 1877-1880, p.132) Qui est donc le passage de circulation. Ainsi que par cette tour élevée avec l’arbre sur le dessus qui fait référence à La maison du philosophe. (Fig.22) Contrairement à la Chaumière, cette cabane est dépeinte comme une chaumine, voire une bicoque. Ce qui suit une logique hiérarchique d’une éducation du sauvage. Cette cabane des sauvages faite en bois et composée de terre grasse fait en sorte qu’il n’est pas possible pour les animaux sauvages de la percer. Bien sûr, la chaumière est auto suffisante en elle-même et contient les nombreuses qualités de la chaumine ainsi que d’autres plus importantes, tant au niveau matériel que technique. Contrairement à la chaumière, la chaumine du sauvage du désert n’a pas de lucarne ni de pignonet. Sur la toiture, il y a le chaume à base de paille et la Chaumière du chef de l’île qui n’est pas en paille en reprenant la texture de l’habitation.
Le Hameau de Chantilly, soit ici le salon et la salle à manger est intéressant du point de vue de la coupe par rapport à la Chaumière du chef de l’île des hommes de la nature, élevée sur tortillière. Avec son toit de type habitable comme celui du dessin de Lequeu, mais qui reste somme toute plus civilisé. L’aspect de la nature se faisant aussi ressentir autour du Hameau de Chantilly, sans qu’il y aille ce côté primitif et sauvage de la Chaumière du chef de l’île
La notion de chaumière s’appliquant au dessin de la Chaumière du chef de l’île de Lequeu se distingue par son côté pittoresque. Plutôt populaire en Angleterre au cours du XVIIIe et XIXe siècle. (Cole, 2005, p.334) Celui-ci le rapporte à la nature et à la notion de »homme sauvage ». Ce style pittoresque connu aussi sous le nom de style géorgien tardif supporte cette idée d’intérieur néoclassique. Tandis que la planche du dessus est considérée comme une chaumine soit une chaumière bas de gamme, en plus d’être moins élaborée au niveau architectural.
Cette architecture ornementale en branches d’arbres évoque cette idée de la «cabane primitive» présentée par Marc-Antoine Laugier (1713-1769), quant au néoclassisme. (Cole, 2005, p.306) Cette salle à manger d’aspect archaïque par ses arcades pointues réfère bien aux plans de Chambé. (Fig.27) Celle-ci par contre rejoint l’aspect harmonique naturel du dessin de Lequeu. Ce pavillon tout comme la Chaumière du chef de l’île des hommes de la nature, élevée sur la tortillière est considéré comme : « la cabane rustique, équivalent en architecture de l’idée de bon sauvage, offrant sans doute le point de rencontre le plus évident.» ( Baridon, Garric, 2018, p.150).
La cabane primitive de «l’homme sauvage» malgré la modernité du monde environnant s’expose à un retour à la nature. Tout comme le philosophe locataire de la Maison du Philosophe, vivant dans une modernité et souhaitant retourner à un habitat simple et isolé. Ici, la Chaumière du chef continue de s’illustrer à travers cette évolution du monde. Comme un aspect de tradition et de hiérarchie de la chaumine à la chaumière.
La maison du philosophe implantée à Ermenonville, est un endroit ayant une partie de type parc et l’autre un désert le tout imaginé par le marquis de Girardin qui évoque le désert tel une colline hérissé de rochers arides. Cette gravure illustre de manière probable ce dont pouvait ressembler l’intérieur de la Chaumière du chef de l’île de Lequeu avec des points communs au niveau matériel ainsi que l’agencement et la construction. Le tout restant dans une structure primitive. Alors qu’il était mentionné plus haut cette idée de «bon sauvage», ici c’est un choix volontaire du philosophe de s’isoler dans un endroit qui contient un foyer, quelques chaises et une couverture. Tout comme la Chaumière du chef de l’île qui contient de grands coussins qui ne réchauffent pas et des couvertures de peaux de cerfs.
Même si ce dessin de Lequeu n’a jamais été construit, il représente une certaine idéologie reliée à la nature importante chez Lequeu. Pas plus connue que d’autres œuvres de l’architecte, celle-ci aborde l’image pittoresque et sauvage du monde architectural. Au niveau de l’interprétation, elle est inexistante, alors que la plupart de ses dessins étaient irréalisables, la chaumière ainsi que la chaumine sont plus réalistes. Lequeu par son oeuvre est donc autant architecte qu’artiste par sa qualité et sa minutie du dessin.
Bibliographie
BARIDON, Laurent et GARRIC, Jean-Philippe. «Incroyables et merveilleuses, les fabriques de parc de Jean Jacques Lequeu», Revue de la BNF, 2018/2, no 57, p146-156.
BOSC, Ernest. Dictionnaire raisonné d’architecture et des sciences et arts qui s’y rattachent, Édition Paris : Librairie de Firmin-Didot, 1877-1880, Dictionnaire en 4 volumes.
COLE, Emily. Grammaire de l’architecture, Édition Dessain et Tolra, 2005, 352p.
DUBOY , Philippe. Jean Jacques Lequeu. Une enigme, Édition Hazan, c 1987, 167p.
FLOUQUET, Sophie. « Lequeu, architecte raté, artiste génial », Beaux-Arts Magazine, Décembre 2018, BAM414, p.118-123.
KAUFMANN, Emil. Trois architectes révolutionnaires Boullée, Ledoux Lequeu, Édition SADG, Paris, 1978, Troisième partie Jean-Jacques Lequeu, p. 249-307, 318p.
PÉROUSE DE MONTCLOS, Jean-Marie. Architecture Méthode et vocabulaire, ch. IV, (p.137-145), 2000, 622p.
Votre remise préliminaire est complète et bien écrite. Je vous félicite pour la bibliographie, C.
Merci beaucoup, pour votre commentaire et votre retour sur le travail ! Restera que quelques petits détails et le tout terminé à temps. (: