Empire State Building, dynamisme et modernité.


Edward Steichen, The Maypole (Empire State Building) 1932

2021 The Estate of Edward Steichen / Artists Rights Society (ARS), New York
https://www.moma.org/collection/works/54221

La photographie
Cette photographie de l’Empire State Building, appelée The Maypole, a été réalisée par Edward Steichen en 1932, soit un an après l’inauguration de l’édifice. Photographe très respecté, Steichen n’était pas un photographe d’architecture. Il était plutôt un photographe de mode, portraitiste et peintre. Fort de son expérience et de sa réputation, il a voulu photographier l’Empire State Building tel qu’il aurait photographié le portrait d’un sujet. La première chose qui frappe en regardant ce cliché est l’effet de superposition. Steichen a en effet superposé deux négatifs l’un par-dessus l’autre afin de créer un effet tridimensionnel et dynamique. Steichen ne fut pas le premier à utiliser cette technique de superposition en photographie d’architecture. Deux ans auparavant, Jan Kamman avait utilisé la même technique pour photographier l’usine Van Nelle à Rotterdam. Le célèbre photographe et professeur au Bauhaus, Laszlo Moholy-Nagy, dit de cette photo;

De deux photographies surexposées (négatifs) émerge l’illusion d’une interpénétration spatiale, que seulement la prochaine génération sera en mesure d’expérimenter comme réalité – en tant qu’architecture de verre”. 1
– L. Moholy-Nagy

Technique de superposition utilisée pour l’usine Van Nelle

J. Kamman, Usine Van Nelle, 1929.  Publiée dans L. Moholy-Nagy, von mateiral zu architektur, Bauhausbuch, 1929.
https://chabotmuseum.nl/exhibitions/jan-kamman/

Que ce soit pour l’usine Van Nelle ou l’Empire State Building, cette technique de superposition de négatifs possède clairement une intention de démontrer la modernité, entre autres par la transparence qu’elle crée. Le nom du cliché, The Maypole, réfère d’ailleurs aux mâts enrubannés autour desquels on danse lors de célébrations. L’analogie avec ces mâts est assez forte, puisque dans les deux cas le sommet est connecté en un point central, mais que la base se sépare en plusieurs éléments distincts. La technique que Steichen a utilisée donne presque le vertige, ce qui accentue la hauteur de l’édifice. Steichen a aussi pris le cliché en contre-plongée, c’est-à-dire en pointant la caméra vers le haut. Cette technique était à l’époque encore peu utilisée. Les autres photographies de l’Empire State Building de l’époque étaient prises de plus loin, ou bien prises des airs à partir d’un avion. La vue en contre-plongée de Steichen renforce l’idée de l’élan vertical, de grandeur, de l’essor que s’apprête à connaitre la ville de New York.

Photographie plutôt traditionnelle de l’empire State Building, prise une année auparavant, en 1931. L’effet de hauteur est certainement présent, mais l’effet de dynamisme et de modernité est moindre.

Photographe inconnu, Empire State Building, 1931.
https://www.drivingfordeco.com/happy-85th-birthday-empire-state-building/

L’Empire State Building et le contexte New Yorkais

Au début du 20e siècle, New York voit son paysage être complètement transformé avec l’arrivée des gratte-ciels. Entre 1925 et 1930 seulement, la ville de New York subit un boom immobilier important, voyant ses espaces de bureaux augmenter de 92%.2 Les nouveaux immeubles à bureaux brise la tradition architecturale non seulement par
leurs volumes sans précédent, mais aussi par un style architectural complètement différent aux immeubles qu’ils remplacent. L’Empire State Building est érigé sur le site de l’hôtel Waldorf Astoria, de style renaissance, et qui était un des plus grands et luxueux hôtels des États-Unis.

L’hôtel Waldorf Astoria, qui fut démoli pour ériger l’Empire State Building

https://mjobrien.com/ARCH606S09/Empire_State_Building.pdf

La firme d’architecte charge de l’Empire State Building, Shreve, Lamb et Harmon s’inspira fortement de deux bâtiments de style Art déco, soit la Carew Tower de Cincinnati et le Reynolds Building À Winston-Salem. Ainsi, les plans initiaux de l’Empire State Building furent réalisés en seulement deux semaines. Le style Art déco était très en vogue à New York durant les années 1920, incarné par le faste des années folles (roaring twenties). Déjà une décennie plus tard il était moins populaire, étant réservé pour les projets de grandeur. Ce style très ornementé était intimement lié aux styles Sécession viennoise et art nouveau. L’une des caractéristiques Art déco la plus forte de cet immeuble est sa volumétrie verticale. La verticalité est présente autant dans les différents volumes, mis en valeur par les retraits, que dans la disposition des fenêtres. Le basilaire possède même une fenestration en retrait accompagnée d’imposants meneaux, ce qui crée une sorte de colonnade. Tous ces éléments de verticalité sont à l’époque propre au Style Art Déco, et sont très bien mis en valeur dans le cliché de Steichen. Ils participent à guider l’œil vers le haut, où se trouve le mât fortement ornementé.

D’ailleurs, l’ornementation représente la deuxième caractéristique propre au style Art déco. Ce style architectural fait usage d’éléments graphiques dramatiques ainsi que l’usage de matériaux tout aussi dramatiques, tel que l’aluminium. L’intérieur de l’immeuble est lui aussi très ornementé, avec une utilisation importante de marbre et de dorures.

Verticalité et ornementation: éléments de l’Empire State Building propre au style Art déco

Le style Art déco de l’Empire State Building fut aussi accentué par le Zoning Resolution de 1916, qui voulait que les bâtiments en hauteur aient des retraits, pour ne pas créer trop d’ombre sur la rue. Ce concept, relativement nouveau, était particulièrement important pour l’Empire State Building puisque l’emprise de ce dernier occupait l’îlot en entier. D’ailleurs, il fut le premier bâtiment à avoir son propre code postal. Les plans de l’édifice étaient donc différents selon les étages. On aperçoit toutefois une continuité, avec le cœur du bâtiment comprenant les ascenseurs et les différents équipements, alors que les espaces de bureaux se situent en son périmètre. On peut même affirmer que les retraits, demandé par le zoning resolution participent à renforcer le style Art déco. En effet, le style art déco se veut un agencement entre modernité et traditions architecturales anciennes. Ici, on peut voire que les retraits font un certain rappel à la forme pyramidale.

Les plans de l’Empire State Building

https://mjobrien.com/ARCH606S09/Empire_State_Building.pdf

Dessin original, qui ne devait mesurer que 1055 pieds. Le mat et l’antenne n’étaient initialement pas prévue. On voit les retraits dès les plans initiaux.

https://www.smithsonianmag.com/us-history/empire-state-building-1929-31-180957195/

La construction de l’Empire State Building commence en 1930 et ne dura que treize mois. Les lignes directrices du projet étaient assez simples. L’édifice devait être prêt en mai 1931 et devait avoir le plus grand nombre d’étages possible. Le design de l’Empire State Building changea plus de 15 fois entre le concept initial et le produit final. Le projet initial ne devait avoir que 50 étages, mais la compétition avec des projets voisins créa une folie des hauteurs, si bien que l’Empire State Building vu revu à 80 étages. Lors de son inauguration, l’Empire State Building était bien le plus haut bâtiment au monde, même s’il ne possédait qu’une partie de son antenne mythique, qui ne fut complétée que 21 plus tard.

Modernité, grandeur et dynamisme sont les termes les plus appropriés pour parler du cliché d’Edward Steichen. L’Empire State Building était certainement un immeuble grandiose et moderne pour son époque, mais le choix artistique employé par Steichen pour représenter cet immeuble iconique a certainement participé à créer le mythe du gratte-ciel New Yorkais.

Bibliographie

1 Fanelli G. Histoire de La Photographie D’architecture Édition française révisée et augmentée ed. Lausanne: Presses polytechniques et universitaires romandes; 2016.

2 Flowers, Benjamin. Skyscraper: The Politics and Power of Building New York City in the Twentieth Century. University of Pennsylvania Press. 2011

Centre canadien d’architecture, Pare R, Pare R, et al. Photographie Et Architecture : 1839-1939. Liège: P. Mardaga; 1984.

Nash, E. P.; McGrath, N. Manhattan Skyscrapers, Rev. and expanded.; Princeton Architectural Press: New York, 2005.

Szarkowski, John. « Edward Steichen ». Encyclopedia Britannica, 18 Jul. 2021, https://www.britannica.com/biography/Edward-Steichen. Consulté le 26 Octobre 2021.

Tauranac J. The Empire State Building : The Making of a Landmark. New York: Scribner; 1995.

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