Antonio Gaudí (1852-1926), Casa Calvet, 1898, plan de l’élévation et section de la façade, Barcelone (publié par Princeton University Press).
Fachada, Barcelona, 29 marzo 1898. Ce dessin signé Antonio Gaudí de la façade de la Casa Calvet, un immeuble d’habitation et un espace commercial, a été dessiné pour la descendance du marchand de tissus Pedro M. Calvet. Il fait construire ce bâtiment où seront conduites les affaires professionnelles au rez-de-chaussée et où sa famille et lui-même pourront loger aux huit appartements des étages suivants. Cette architecture d’Antonio Gaudí est l’une des plus conventionnelles de sa carrière, mais elle conserve tout de même une façade formidable, par ses éléments décoratifs et structurels et son mélange de matériaux. La Casa Calvet est construite entre deux bâtiments préexistants, c’est pourquoi des lignes fines limitent les côtés de la façade.
L’architecte ne représente aucun élément naturel sur son dessin. Le plan est frontal. Les pierres de la façade sont toutes dessinées par des traits fins. La façade est arrangée en 4 étages, en plus du niveau de la rue et en cinq rangées de fenêtres. La façade est assez symétrique. A. Gaudí inclut aussi un plan en coupe de l’élévation du bâtiment. L’entrée centrale est bien identifiée, parmi les cinq ouvertures du niveau de la rue, en dessous de la tribune, par un élément de sculpture héraldique.[1] On peut aussi identifier deux éléments de décoration organiques qui centrent, de chaque côté, cette entrée. Au-dessus, l’architecte ajoute une tribune, pour le propriétaire de la Casa. La tribune est supportée par une console de soutien ornée d’éléments végétaux. La balustrade ornée de chapiteaux organiques rejoint la coupole et son pignon. Le dessin de cette tribune est assez précis, on peut y voir les éléments de décorations, ainsi que sa structure dans le dessin en tranche. Ensuite, l’architecte s’est assuré de dessiner à chaque fenêtre la plate-forme d’un balcon. Les balcons centraux, des rangées qui sont à droite et à gauche de la rangée du milieu, sont plus imposants, plus larges et le dessin de leurs consoles est plus détaillé. Sur le plan en tranche, les ornements qui forment la console de ces balcons sont plus précis, ils sont organiques et rappellent les chapiteaux et les ornements de la tribune. L’architecte ajoute aussi au haut de chaque fenêtre un élément décoratif aux linteaux, ce qui centre la composition des fenêtres de la façade. Les cadres des fenêtres sont simples et arrondis. Finalement, le haut du bâtiment est serpentin, par ces deux pignons sur lequel se forme la corniche et sur lequel l’architecte dessine des balustres. Les pignons ont aussi des ouvertures aux formes trilobées. Dans les trois creux de ces pignons, Antonio Gaudí dessine des petites têtes de personnages, comme décorations, ce sont des bustes de saints martyrs.[2] Dessous, il y a des ronds dessinés en intervalle des rangées de fenêtres, ils représentent les systèmes de poulies que l’architecte inclut au bâtiment.
Les détails dessinés dans ce plan de la façade de la Casa Calvet sont fascinants, puisqu’ils sont tous lourds de sens. Malgré que les contemporains d’Antonio Gaudí qualifient ce bâtiment comme « conventionnel » ou « conservateur », la Casa Calvet a tout de même marqué sa place dans les livres d’histoire, par son style et ses détails :
« The facade is a rather conventional Barcelona one, enlivened here and there by the fluid rococo and Art Nouveau details that appeared together at this moment. The latter are most advanced in the iron derricks at the top, in the plant motifs of the owner’s oriel window and in tiny fronds amongst the iron balconies. »[3]
Il est certain que si l’on compare la Casa Calvet aux autres œuvres d’Antonio Gaudí, celle-ci est bien moins impressionnante, complexe et farfelue. Cependant, mise aux côtés des autres bâtiments qui l’entourent, la Casa Calvet se démarque des autres façades planes et austères par sa hauteur, ses décorations et ses balcons qui contrastent et donnent du volume à la façade.[4] La preuve, la ville de Barcelone offre à Gaudí le prix du meilleur édifice artistique de la ville.[5] C’est la seule marque de reconnaissance qu’Antonio Gaudí a reçue au cours de sa carrière d’architecte.
La structure de la Casa Calvet est plutôt conventionnelle, le plan horizontal et symétrique s’élève en hauteur. Le bas de l’immeuble est un espace commercial, le haut sert d’appartements. Ce sont les détails de la Casa qui expliquent pourquoi il faut porter un intérêt particulier à cette architecture. D’abord il est important de souligner que c’est une œuvre d’art totale. Antonio Gaudí a dessiné les meubles, la décoration intérieure et l’architecture elle-même. Cette architecture naturaliste, qui s’inspire de la nature et souhaite l’imiter, se définit d’abord par la variété de matériaux utilisés pour sa construction. La façade est composée de pierres brutes. Le relief de ces pierres enrichit la façade pour lui donner un effet plus naturel.
Ensuite, le fer forgé est utilisé pour la coupole de la tribune, les balustrades des balcons et certains éléments décoratifs fonctionnels comme les systèmes de poulies, qui servent aussi d’ornements sur les pignons. Le fer forgé est aussi utilisé à l’intérieur pour la cage de l’ascenseur et la balustrade de l’escalier. Finalement, la façade présente un troisième matériau pour la porte d’entrée. C’est une porte en bois richement sculptée qui présente aussi des barreaux de fer forgé et un heurtoir hautement symbolique : « Ce marteau frappe le dos d’un pou symbolisant le mal. À chaque coup, l’invité punit, surmonte donc le mal avant de pénétrer dans la maison.[6] »
Ce heurtoir n’est pas le seul détail d’ornementation qui est aussi fonctionnel et surprenant, l’architecte installe sous les pignons dans le haut de la façade trois têtes de Saints qui surplombent la rue. Ces têtes sont pourtant difficiles à voir de la rue, étant relativement petites et très hautes. Sculptés dans la pierre, Saint-Pierre, ainsi que les saints martyrs du village natal de Pedro M. Calvet font décoration et permettent un rythme visuel avec les systèmes de poulies qui servent à monter plus facilement des meubles.[7] Ces décorations, ainsi que toute l’ornementation faite de fer forgé, font partie intégrale de la structure et contribue à l’œuvre d’art totale. La hauteur du bâtiment, qui dépasse les règles de la ville est aussi purement ornementale.[8] Antonio Gaudí a réussi à convaincre les autorités de lui permettre cette hauteur, pour que les pignons et les croix qui ornent le haut du bâtiment ne soient pas coupés. Un autre détail qu’a intégré A. Gaudí à sa façade dans le but d’évoquer le propriétaire de l’immeuble, est le choix d’une ornementation mycologique autour de la tribune, Pedro M. Calvet était un passionné des champignons.
Ce bref résumé des détails qui font de la Casa Calvet une œuvre d’art totale à la façade surprenante et distinguée démontre l’aptitude de l’architecte de représenter le propriétaire d’un immeuble dans son architecture, en plus d’utiliser l’ornementation à des fins structurales et fonctionnelles. La façade illustre d’abord une structure conventionnelle, mais après l’avoir étudiée plus en détail, elle est assez surprenante par la variété et l’harmonie de ses matériaux, ainsi que par le détail et l’abondance des décorations naturalistes qu’a inclus Antonio Gaudí à l’architecture.
[1] George R. Collins, Juan Bassegoda Nonell, The designs and drawings of Antonio Gaudì, Princeton, N.J, Princeton University Press, 1983, planche 38B.
[2] Marc Llimargas, Joan Bergós I Massó, Gaudì : l’homme et son œuvre, Paris, Flammarion, 1999, p.61.
[3] George R. Collins, Antonio Gaudì, New York, George Braziller, 1960, p.19.
[4] Rainer Zerbst, Gaudì 1852-1926 : Antonio Gaudí i Cornet, une vie en architecture, Cologne, Taschen, 1990, p.105.
[5] George R. Collins, op. cit., p. 19.
[6] Rainer Zerbst, op. cit., p. 106.
[7] Marc Llimargas, Joan Bergós I Massó, op. cit., p. 61.
[8] Rainer Zerbst, op. cit., p. 102.
Bibliographie
BASSEGODA NONELL, Juan, Gaudí : le génie des formes, New York / Paris / Londres, Abbeville , 2000, 144 p.
LLIMARGAS, Marc, BERGÓS I MASSÓ, Joan, Gaudì : l’homme et son œuvre, Paris, Flammarion, 1999, 308 p.
R. COLLINS, George, Antonio Gaudì, New York, George Braziller, 1960, 136 p.
R. COLLINS, George, BASSEGODA NONELL, Juan, The designs and drawings of Antonio Gaudì, Princeton, N.J, Princeton University Press, 1983, 83 p.
ZERBST, Rainer, Gaudì 1852-1926 : Antonio Gaudí i Cornet, une vie en architecture, Cologne, Taschen, 1990, 239 p.