La fenêtre et le cadre, un enjeu architectural et photographique.

Cette photographie est issue du projet Looking Through : Le Corbusier window de Takashi Homma et met en scène une fenêtre d’appartement conçu par Le Corbusier. La présente analyse se voudra de réfléchir, par cette photographie, la fenêtre et son rôle architectural dans le travail de Le Corbusier

« À mon avis, n’importe quel architecte qui se respecte tient compte des fenêtres en dessinant ses plans, mais Le Corbusier, en particulier, y accordait un souci important »[1]. C’est ainsi que Takashi Honma, photographe japonais étudiant la relation entre les individus et l’environnement urbain, explique son intérêt particulier pour les fenêtres, notamment celles de Le Corbusier. La présente photo fait en effet partie d’un projet qu’il a entamé en 2013 de photographier cette relation entre l’individu et l’espace par le biais de la fenêtre de Le Corbusier[2]. Elle se situe à l’appartement-atelier de l’architecte dans l’immeuble Molitor, nous présentant ainsi la fenêtre de la chambre et sa vue sur Paris. Cette perspective de l’intérieur, mettant en contexte le cadre de la fenêtre et le balcon, propose un point de vue subjectif auquel Takashi tente d’offrir au spectateur la possibilité de l’intégrer[3].  Le temps est pluvieux, introduisant une lumière douce et calme et invitant la contemplation du paysage urbain. La force de cette photographie dépasse la seule technique picturale employée par Takashi. Elle s’explique en effet par une mise en commun des idées que Le Corbusier et le photographe partagent sur la question de la fenêtre en architecture. La présente analyse tentera d’y mettre la lumière dans l’intention de ressortir la relation proposée par Takashi et Le Corbusier entre le spectateur et la fenêtre.

Dans la littérature entourant la question de la fenêtre en architecture, l’analogie que la fenêtre représente les yeux de la maison revient à plusieurs reprises[4]. Elle semble en effet avoir été élaborée, notamment à l’époque moderne, comme une ouverture ou un instrument autorisant la lumière et la ventilation et, surtout, comme un instrument de vue.  Elle est ainsi perçue comme un médium auquel l’habitant, récepteur d’image, use pour créer un lien avec le monde qui l’entoure, dans ce cas-ci le monde extérieur[5]. La fenêtre est donc cette possibilité d’ouvrir l’espace intérieure à celui de l’extérieure, par la réception de lumière. Tout comme l’œil le ferait, voir même tout comme une caméra[6].  Ce qui attire Takashi, dans cette quête de réflexion sur notre relation avec l’environnement par le biais de la fenêtre, c’est bien cette idée d’un médium de vue qui,  étant photographe, lui est bien familier. Cette mise en abime de la perspective, de l’œil à la photographie jusqu’à la fenêtre, est ce qui l’a avant tout attiré dans ce projet.

Les fenêtres sont autant la lentille d’un appareil photo que celle d’un bâtiment. Moi j’y vois une sorte d’emboîtement. On peut même avancer que l’œil humain agit comme une autre fenêtre. C’est ce type de structure emboité qui me fascine[7]

Dans cette quête de la fenêtre, Honma élargie sa vision de la fenêtre et inclue tout point de vue qui, aider d’un cadrage clair ou partiel, encourage le regard vers cette extérieure. Dans le cas de la vue de Paris, auquel Takashi nous invite à contempler, elle est encadrée par une large fenêtre incongrue auquel le paysage peut s’étaler paisiblement et de façon dynamique. Ce concept de « médium de vue » est alors bien compris par Le Corbusier dans sa conception de la fenêtre. Notamment, car il tente d’en faire usage afin d’enrichir ce lien entre le voyeur et la vue.

Néanmoins, la fenêtre de Le Corbusier ne se contente pas uniquement d’encadrer, elle s’intègre entièrement dans l’espace et devient part entière du projet architectural. Ceci devient d’autant plus évidant à la lumière de l’exposition du Musée des Beaux-arts La Chaux-de-fond « Construire l’image : Le Corbusier et la photographie », ayant eu lieu en 2012, qui illustre la collision des pratiques architecturales et photographiques de Le Corbusier. On voit alors le projet plastique et artistique de ce dernier dépasser l’architecture dans une réelle mission de l’image et d’une prise en charge des moyens visuelles. La photographie, comme toute autre discipline l’ayant préoccupé, a définitivement intégré son architecture. Takashi, dans sa photographie, le démontre bien en intégrant aussi dans son paysage un certain élément situé à l’intérieure, comme un calorifère, une partie du plafond et un mur, pour ainsi bien révélé comment la vue oriente l’intérieure. Takashi affirme même que cette photographie est prise du lit auquel l’architecte avait fabriqué en hauteur pour assurer le parfait angle à celui qui s’y couche[8]. Le Corbusier organise ainsi l’espace sur un plan à trois dimensions, où la construction de vues et de paysages est une préoccupation de la construction plutôt que de se référer qu’au plan bidimensionnel[9]. Non seulement la vue s’étale sur la fenêtre de façon dynamique, mais l’habitant se voit offrir un espace qui dynamise sa relation avec la vue.

« Le paysage a redonné à son tour un modèle à la fenêtre, au sein cette fois de la conception architecturale. Sous l’influence des nouvelles structures de la perception, les architectes eux-mêmes se sont mis à concevoir les fenêtres comme des tableaux, c’est-à-dire comme des cadrages visuels sur l’espace extérieur[10]

La photographie de Takashi Honma fut prise dans la chambre (en haut à gauche) vers la fenêtre donnant sur le balcon. Il est justement possible d’y apercevoir le calorifère présent dans l’image.
Le Corbuser, Plan de l’appartement-atelier de l’immeuble Molitoire à Paris. Source : https://www.lescouleurs.ch/en/journal/posts/studio-apartment-le-corbusier-experiments-of-architectural-colour-theory

Au-delà de la fonction d’organe de vue et de mise en relation entre l’extérieure et l’intérieur, la fenêtre est aussi présentée, dans la photographie de Takashi, comme un espace en soie. C’est ici que l’élément contemplatif encouragé par la lumière prend tout son sens. Le photographe n’a pas choisi d’attendre les conditions météorologiques conditionnelles à l’image préconstruite dans son esprit. Sa méthode est exclusivement orientée sur le moment où il souhaite exprimer sa réaction directe [11]. La lumière a présenté à Takashi une approche unique. Cette dernière permet donc le regard sur des éléments comme la lumière, mais aussi le mouvement ou même l’espace, qui renvoie à soi. La fenêtre est en effet « […] un espace à part entière qui a le pouvoir de modifier nos états de conscience, d’influencer notre équilibre émotionnel, de stimuler nos rêveries. Comme la marche ou la promenade »[12].

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La photographie de Takashi Honma présente alors la fenêtre comme un élément architectural qui n’est pas comme les autres. Par le biais de la pensé de Le Corbusier qui, dans des réflexions similaires au photographe, conçoit une importance capitale à la fenêtre, cette dernière se voit caractérisée à la fois comme un organe de vue, comme un outil de dynamisation entre intérieur et extérieur et, enfin, comme un espace isolé influent fortement l’habitant.


[1]CCAChannel, De l’oeil à la fenêtre : Takashi Honm sur Le Corbusier. 3 décembre 2020 [vidéo], https://www.youtube.com/watch?v=7MpKBwBAp4M&ab_channel=CCAchannel

[2]HONMA, Takashi, Looking throw : Le Corbusier window’s, Montréal, Centre Canadien d’Architecture, 2019, 192p.

[3] CCAChannel, De l’oeil à la fenêtre : Takashi Honm sur Le Corbusier.

[4] VIAL, Stephane, « Habiter les interfaces : Usages de la façade et pratique de la fenêtre en architecture », Les Annales de la recherche urbaine, No106, 2010, p. 160.

[5] Ibid, p. 161.

[6] TEYSSOT, Georges, «  Fenêtre à écrans : entre intimité et extimité », Appareil, 2019. https://journals-openedition-org.proxy.bibliotheques.uqam.ca/appareil/1005

[7] CCAChannel, De l’oeil à la fenêtre : Takashi Honm sur Le Corbusier.

[8] Idem

[9] BERTON, Tim, « From the fenêtre en longueur to the ondulatoire », Looking throw : Le Corbusier window’s, Montréal, Centre Canadien d’Architecture, 2019,p. ix

[10] TEYSSOT, Georges, «  Fenêtre à écrans : entre intimité et extimité »

[11] CCAChannel, De l’oeil à la fenêtre : Takashi Honm sur Le Corbusier.

[12] VIAL, Stephane, « Habiter les interfaces : Usages de la façade et pratique de la fenêtre en architecture », p. 165.

Bibliographie :

BERTON, Tim, « From the fenêtre en longueur to the ondulatoire », Looking throw : Le Corbusier window’s, Montréal, Centre Canadien d’Architecture, 2019, 192p.

CCAChannel, De l’oeil à la fenêtre : Takashi Honma sur Le Corbusier. 3 décembre 2020 [vidéo], https://www.youtube.com/watch?v=7MpKBwBAp4M&ab_channel=CCAchannel

CCA, « Pourquoi les photographes sont-ils fascinés par les fenêtres – Takashi Homma photographie les fenêtre de Le Corbusier », Centre Canadien d’Architecture, https://www.cca.qc.ca/fr/articles/71432/pourquoi-les-photographes-sont-ils-si-fascines-par-les-fenetres, Consulté le 24 octobre 2021.

HERSCHORFER, Nathalie et Lada UMSTÄTTER-MEDOVA, Construire l’image: le Corbusier et la photographie, Paris, Textuel, 2012, 255 p.

TEYSSOT, Georges, «  Fenêtre à écrans : entre intimité et extimité », Appareil, 2019. https://journals-openedition-org.proxy.bibliotheques.uqam.ca/appareil/1005.

VIAL, Stephane, « Habiter les interfaces : Usages de la façade et pratique de la fenêtre en architecture », Les Annales de la recherche urbaine, No106, 2010, p. 160-165.

2 thoughts on “La fenêtre et le cadre, un enjeu architectural et photographique.

  1. Christina Contandriopoulos

    Ce serait intéressant d’intégrer une analyse des concepts de survivances et de transformations de tradition à partir de la fenêtre chez le Corbusier comme le fait Colquhoun dans son texte de 1985 (sem.13).

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