La photographie choisie pour la réalisation de ce projet a été réalisée par Jack E. Boucher, pionnier américain de la photographie à large format (Hockman, 2012), et capture l’essence de la maison Farnsworth, pensée et dessinée par l’architecte moderne Ludwig Mies van der Rohe entre 1945 et 1951 (Giovanni, p.60). Boucher prend plusieurs photos de ce bâtiment en 1971 lors d’une visite du site; celle-ci mesure 5 x 7 pouces et a été capturée à l’aide d’un appareil photo speed graphic de format large (Hockman, 2012).
Contexte du projet
Le projet de la maison Farnsworth est développé à la suite de longs échanges entre l’architecte Ludwig Mies Van der Rohe et le maître d’ouvrage Edith Farnsworth. Médecin très réputée dans la région de Chicago, elle demande à l’architecte de lui dessiner une maison de week-end dans laquelle elle pourra se retirer quand elle le souhaitera. Après la réalisation du projet, madame Farnsworth exprime son mécontentement quant au bâtiment et à la réalisation de la commande; mauvaise ventilation, simplicité trop abstraite et surpassement des frais de construction estimés font en sorte qu’elle décide de poursuivre judiciairement Mies van der Rohe et de couper les ponts avec lui. Malgré cette fin abrupte, la maison Farnsworth reste encore aujourd’hui l’un des projets les plus admirables de l’architecte (Zimmerman, p. 64).
Le bâtiment
La maison Farnsworth est la première pièce architecturale à plan ouvert réalisée par Mies van der Rohe (Lambert dans Assouline, p.18). Celle-ci est une habitation conçue pour une seule personne (Zimmerman, p. 63). Le bâtiment, mesurant 8,80 x 23,30 mètres (Giovanni, p. 60), est entièrement constitué d’acier et de verre (Zimmerman, p. 63), matériaux mis de l’avant dans les constructions modernistes du XXe siècle, qui voulait des édifices purgés d’ornementation excessive et qui brisaient le joug des styles historiques précédents (Contandriopoulos, 2021). Le site de la maison se situe à Plano, une ville de l’Illinois à 80 kilomètres de Chicago, aux États-Unis (Cohen, p. 110).
Celleux qui visitent le bâtiment sont tout d’abord accueillis par deux plateformes parallèles, surélevées et reliée par deux ensembles de marches. La première, indépendante du bâtiment en tant que tel, est à ciel ouvert et fait office de terrasse extérieure; la deuxième, quant à elle, est créée par une extension du plancher du niveau habitable et est également recouverte du toit de la maison (Giovanni, p. 60-61). Les structures du toit et du plancher, formées à partir de panneaux horizontaux, sont toutes les deux soutenues par un ensemble de huit pilotis d’acier de couleur blanche, élevant la maison à 1,50 mètre du niveau du sol. La maison Farnsworth ne possède pas de murs concrets; des panneaux de verres, disposés de manière à créer un énorme mur-rideau, constituent effectivement l’entièreté de sa paroi extérieure (Lambert, p. 19).
L’architecte de la maison Farnsworth décide de ne mettre aucune délimitations concrètes à l’intérieur de celle-ci. En effet, seul le mobilier mobile ainsi qu’un bloc fixe, indépendant de la structure et qui englobe les deux salles de bains, la penderie et la cuisine, définissent les différents espaces de l’habitation. Ce choix d’aménagement intérieur reflète l’idée principale de Mies van der Rohe : créer un espace uniforme et adaptable (Giovanni, p. 61).
L’angle de la photographie
En photographiant la maison Farnsworth de cet angle, Boucher fait un rappel direct à la vision initiale de l’architecte quant à son projet. En effet, c’est en 1945 de Mies van der Rohe peint un premier plan d’élévation de la maison à l’aquarelle; la relation que possède le bâtiment avec l’extérieur y est très bien illustrée (MoMA, 2021).
L’image capturée par le photographe permet, comme le plan de l’architecte, de capturer l’essence-même du bâtiment; être un simple objet intégré à la nature (Assouline, p. 18). Selon Jeanne Gang, architecte au Studio Gang Architects (Assouline, p. 57), la maison Farnsworth « seemed like an absence in the landscape rather than a construction built upon it. » (Assouline, p. 57). Le plan à l’aquarelle de l’architecte est aujourd’hui exposé au Museum of Modern Arts, à New York (MoMA, 2021).
L’effet de la lumière
La maison Farnsworth, sur la photographie de Boucher, est ensevelie par la neige de l’hiver nord-américain de l’Est. Cependant, le bâtiment ne semble pas être obstrué par l’omniprésence de celle-ci. L’habitation, laquée de blanc et constituée principalement de verre comme mentionné ultérieurement, engage un jeu harmonieux avec la lumière naturelle tout au long de l’année, peu importe la saison (Lambert, p. 19). Seule la plateforme servant de plancher crée une ombre au sol; l’absence d’ornements surdimensionnés et de reliefs marquants sur la structure permet à la lumière de traverser les fenêtres de la maison naturellement, sans frapper quoi que ce soit d’inutile. Encore une fois, la vision de Mies van der Rohe est respectée : « Nous devrions essayer d’intégrer la nature, les maisons et les hommes dans une unité supérieure. » (Mies van der Rohe, 1953).
Nature et espace
Cette photographie de la maison Farnsworth met très bien en valeur le projet de Mies van der Rohe et reflète justement les intentions derrière celui-ci. En effet, comme mentionné précédemment, l’architecte de la maison souligne, dans ses travaux, l’importante relation qu’entretiennent espace et nature dans l’architecture moderne. Selon Ken Smith, architecte paysagiste américain s’intéressant aux relations qu’entretiennent art et paysage, Mies van der Rohe Comme souligné sur le cliché de Boucher, la transparence du bâtiment étudié permet un échange inné et spontané entre celui-ci et l’environnement dans lequel il se trouve :
La nature aussi devrait vivre sa propre vie. Nous devions nous garder de la perturber par les couleurs de nos maisons et de leurs aménagements intérieurs. […] Lorsque vous contemplez la nature à travers les parois en verre de la maison Farnsworth, elle prend une signification plus profonde que lorsque vous la contemplez à l’extérieur. La nature révèle ainsi davantage de choses – elle devient une partie intégrante d’un grand tout.
Mies van der Rohe dans Zimmerman, p. 63
Le chemin pour se rendre vers la maison s’est, lui aussi, plié au mariage du bâti et de la nature; le visiteur se voit devoir marcher à travers une prairie afin d’accéder au terrain qu’il convoite (Lambert, p. 19). Parsemé de buissons et d’arbres, dont un grand tilleul juché devant la rivière Fox, le site de la maison Farnsworth ne connaît pas de limites concrètes. L’architecte choisit volontairement l’emplacement de cette dernière en rapport avec le grand arbre (Kanopy, 2008); la nature est omniprésente dans l’entièreté du projet de Mies van der Rohe.
Bibliographie
COHEN, Jean-Louis. Ludwig Mies van der Rohe, Birkhäuser Basel, 2007, p. 110
GIOVANNI, Leoni. Ludwig Mies van der Rohe, ACTES SUD, 2009, p. 60-61
CONTANDRIOPOULOS, Christina. Architecture depuis les Lumières, notes de cours, Université du Québec à Montréal, 2021.
HOCKMAN, Dennis. Remembering Jack Boucher, Photographer and Preservationist, National Trust for Historic Preservation, 2012. Consulté ici.
LAMBERT, Phyllis. Mies van der Rohe: l’art difficile d’être simple, Centre Canadien d’Architecture, 2001, p. 19-20
LAMBERT, Phyllis et Sylvia LAVIN. Modern Views: inspired by the Mies van der Rohe Farnsworth House and the Philip Johnson Glass House, Assouline Pub., 2010, p. 11-110
Lost and Found productions. The Farnsworth House, Kanopy (firme) société de production, 2008. Consulté ici.
Museum of Modern Arts. Ludwig Mies van der Rohe: Farnsworth House, Plano, Illinois (Elevation). Révisé en 2004, publié en 1999. Consulté ici.
Zimmerman, Claire. Mies van der Rohe, Taschen, 2015, p. 63-64
Annexe
Figure I:Jack E. Boucher, NORTH ELEVATION – Edith Farnsworth House, 14520 River Road, Plano, Kendall County, IL. (Photographie). 1971
Figure II: DU CHÉ, Héloïse et Vanessa TOUBIANA. Less is more, plan de niveau de la maison Farnsworth.
Figure III: Ludwig Mies van der Rohe, Farnsworth House, Plano, Illinois (Elevation). 1945