par Claude-Nicolas Ledoux
Le projet présenté ci-dessus est l’hôtel Thélusson réalisé par Claude-Nicolas Ledoux, poète de la théorie architecturale. D’abord formé à la gravure et au dessin, il sera nommé architecte ingénieur des Eaux et forêts en 1764, puis sera nommé inspecteur des Salines de Lorraine et Franche-Comté et architecte de la Ferme générale. Il sera également à la tête du chantier de l’immense projet de la Saline Royale d’Arc-et-Senans. Reconnu au 18e siècle pour l’ampleur de ses projets qui sont aussi variés et originaux les uns que les autres, il publiera en 1804 le premier tome d’un grand ouvrage ; L’Architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation.
Le projet de l’hôtel que j’observerai sous la forme d’un plan architectural est réalisé par la gravure et accompagné d’une coupe qui harmonise le tout avec des éléments naturels comme des arbres et des personnages en calèche par exemple. Cette œuvre remplie d’éléments gréco-romains rappelle énormément le courant architectural du néo-classique où ceux-ci sont reconnus par leur noblesse et inspirent des valeurs morales comme l’honneur. D’ailleurs, l’élément le plus intéressant selon moi est la magnifique entrée qui résonne de la prestance de celle qui l’a commandé à Ledoux, soit la veuve du banquier genevois Tobie Thélusson. Cette arche monumentale à demi ensevelie mène au jardin pittoresque en creux, qui lui-même mène à une grotte qui servait d’entrée à la demeure. Cette particularité permettra aux invités de pénétrer l’hôtel et se rendre au salon principal sans être mouillés par la pluie. La théâtralité du projet aura certainement attiré l’intérêt du public, car on en viendra à vendre des billets pour le visiter la durée de son existence. Effectivement, ce luxueux hôtel particulier finira par être vendu puis détruit en 1826 lorsque la rue Laffitte sera prolongée jusqu’à la rue de la Victoire.
Situé dans le quartier de la Chaussée d’Antin, l’intention de l’architecte était de concevoir un hôtel dans un environnement paysager, cependant à l’inverse du plan classique. Le visiteur fait son entrée par le jardin au travers de l’immense portique en arc dorique pour apercevoir la grotte d’entrée, une fontaine en plein centre et un rocher sur lequel était posée une galerie de colonnes faisant le tour extérieur de l’édifice. Les voitures pouvaient traverser ce jardin dans un sens giratoire pour déposer les hôtes dans la grotte devant un escalier qui menait à l’étage noble. Elles allaient ensuite se garer dans la cour demi-circulaire située à l’arrière. Seulement par cette organisation, on reconnaissait l’aspect novateur de la construction à l’époque. Le péristyle circulaire est un élément central de la composition et positionne l’hôtel de manière dominante au paysage, on pouvait le percevoir de loin. Même que de l’intérieur élevé d’un seul niveau, les terrasses et fenestrations régulières permettaient d’admirer le jardin sur des multiples vues.
Le grand salon ovale occupant la partie centrale de la façade était encadré de chaque côté par un salon de musique et d’une bibliothèque à droite ainsi qu’un salon d’Automne et une chambre de parade à gauche. L’immense coupole au-dessus surmontait ce salon tout comme l’antichambre à l’arrière avait la sienne également entourée de colonnes. Une seconde antichambre donnant sur la cour arrière était située du côté Est de l’escalier principal. À l’opposé se trouvaient un salon, une salle à manger, une bibliothèque et une chambre. C’était du côté Est que l’on retrouvait la chambre principale ainsi que ces dépendances qui se collaient sur l’escalier. Des escaliers de service surmontés de l’attique étaient aussi prévus et démontraient la hiérarchie dans les lieux. En arrière, une cour plus petite que le magnifique jardin à l’avant était en forme de fer à cheval avec une colonnade était inspirée d’une autre œuvre de Ledoux, soit l’hôtel d’Hallwyl.
L’architecte a su évoquer le mystère dans son bâtiment, mais la mort prématurée de la commanditaire obligea ses fils à achever la construction par l’architecte de la famille Claude Jean Baptiste Jallier de Savault. On retrouve dans Mémoires Secrets une preuve de l’intrigue ; « Depuis longtemps on parloit d’une maison bisarre, élevée en forme de temple ou de palais au bout de la rue d’Artois. Quoiqu’on eût d’abord fait mystère de la divinité qui devoit l’habiter, le bruit général s’est enfin accrédité que c’étoit pour madame Telusson, la veuve d’un banquier ; & l’on en peut douter aujourd’hui. » Malgré la disparition de l’œuvre, celle-ci reste certainement dans la mémoire de Paris par l’innovation de Claude-Nicolas Ledoux.
Afin de poursuivre l’analyse, il est intéressant de comprendre que le projet de cet hôtel particulier a été commencé par Ledoux, mais celui-ci ne l’a pas fini. Comme mentionné plus haut, c’est l’architecte de la famille Thélusson qui acheva le projet. Il avait proposé un projet d’hôtel particulier qui devait être situé au coin de la rue Louis-le-Grand et du Boulevard. Cet édifice qui ne fut jamais construit devait être circulaire pour s’agencer avec le bâtiment à l’angle adjacent, soit le Pavillon de Hanovre. Malheureusement, Claude Jean-Baptiste Jallier de Savault fut seulement le superviseur pour la fin des travaux. Cette finalité imprévue du projet me mène à soulever la question suivante : est-ce que le fait que Ledoux n’ait pas terminé le projet jusqu’à la fin a eu un impact sur l’apparence de l’hôtel particulier? En d’autres mots, est-il tout de même possible de reconnaître le style de cet architecte en le comparant à ses autres projets d’hôtels? En regardant le projet de l’hôtel d’Hallwyl ainsi que celui de Mademoiselle Guimard, on arrive à percevoir des similarités par l’innovation et l’aspect spectaculaire du talent de l’architecte.
D’abord, lorsque l’on observe d’autres projets d’hôtel particulier réalisés par Ledoux, on reconnaît le style néo-classique, dont il est un des créateurs, de celui-ci. Parmi les bâtiments encore existants s’élève l’hôtel d’Hallwyl muni de plusieurs références antiques ainsi qu’une certaine opposition au style rocaille. Ce magnifique édifice est situé sur la rue Michel-le-Compte dans le troisième arrondissement de Paris, quartier du Marais. Avant qu’on demande à Ledoux de remanier l’hôtel, il fut construit au début du 18e siècle pour la veuve de Louis de La Palu, Marie Henriette Le Hardy du Fay. Elle donnera, plus tard, cette propriété à son deuxième époux. Avant que ce dernier meure en 1764, il fait louer l’hôtel de 1757 à 1766 à la banque Thelusson & Necker. C’est seulement lorsque sa fille hérite de l’hôtel avec son époux François Joseph d’Hallwyl qu’ils font appel au service de l’architecte Ledoux.
L’hôtel s’élève par un long corps de bâtiment caractérisé par les refends taillés dans la pierre pour simuler le tracé des joints à la manière de la Renaissance italienne. On remarque que la composition symétrique est centrée sur un élégant portail sur rue, où l’on retrouve de chaque côté une colonne dorique cannelée. Sur la partie supérieure, le tympan est ornementé de sculptures ailées probablement par Louis-Claude Vassé, sculpteur et dessinateur français. Derrière le long corps de bâtiment qui renferment l’ensemble des dépendances d’un hôtel, une première cour protège le corps du logis, l’architecte y décore l’intérieur et fait preuve de talents pour ce qui est question de la conception du jardin. Effectivement, il conçoit un atrium, c’est-à-dire une cour intérieure aménagée dans le bâtiment, qui est entouré de galeries à colonnes doriques. On retrouve, au fond, deux urnes déversant des torrents d’eau, ressemblant au thème de la Saline royale d’Arc-et-Senans, qui encadrent une niche abritant une Grâce. Ce décor en trompe-l’œil permet la confusion de la perception du spectateur. La cage d’escalier impressionnante possède encore sa rampe en fer forgé à motif de balustrade donne le sentiment d’honneur. Cela n’est pas le seul élément d’origine que Ledoux a décidé de conserver, il est également possible de remarquer les plafonds du rez-de-chaussée et du premier étage ayant des poutres et des solives peintes vers les années 1630.
Dans l’ensemble de l’hôtel, on remarque encore l’innovation de l’architecte que ce soit par la conservation d’éléments antiques et symboliques, ou encore par l’intégration d’un magnifique jardin et d’une cour intérieure. Pareillement à l’hôtel Thélusson, on pénètre la demeure par un prestigieux portique muni de colonnes, la présence d’un escalier délibérant vers une pièce centrale, une composition symétrique comportant plusieurs fenêtres pour offrir de multiples vues, etc. On reconnaît facilement le style de Claude-Nicolas Ledoux par l’effet théâtral et novateur qu’il arrive à imprégner dans ses hôtels particuliers.
Dans le même ordre d’idées, à l’époque on reconnaissait déjà les prouesses architecturales de Ledoux. Dans l’article, écris par Jean-Jacques Gloton « Les Grandes Manœuvres aixoises de Claude-Nicolas Ledoux », l’intendant général des finances, Trudaine de Montigny, recommande Ledoux pour des changements urbanistiques considérables pour l’arrondissement d’Aix-en-Provence. Trudaine de Montigny le recommande sans alternative : « C’est, dit-il, un artiste distingué, qui a fait de beaux ouvrages […] ». Dans un autre article de journal écrit par Mona Ozouf, « Architecture et urbanisme: L’image de la ville chez Claude-Nicolas Ledoux », on souligne son attention aux détails : « Dans chaque édifice, on le voit soucieux de prévoir des « airs passans » qui assurent le renouvellement de l’air […] ». L’architecte a effectivement créé plusieurs œuvres architecturales qui impressionnèrent tout le public, et comme l’Hôtel Thélusson, l’hôtel de Mademoiselle Guimard était un chef-d’œuvre théâtral tellement impressionnant qu’il fût une concurrence à l’Opéra. Comparable à l’édifice des Thélussons, on remarque encore le style néo-classique dès l’entrée de l’hôtel, par les colonnes doriques et les matériaux massifs créant une façade symétrique. En avant de l’hôtel situé sur la rue Chaussée-d’Antin, on retrouvait une salle de spectacle pouvant contenir cinq cents personnes étant donné que cet hôtel particulier fût construit pour cette danseuse d’opéra Marie-Madeleine Guimard. Il ouvra ses portes en décembre 1772, mettant fin aux spectacles de l’hôtel de Pantin, là où dansait Mademoiselle Guimard auparavant. Malheureusement, cet hôtel fait également partie des bâtiments de Ledoux qui fussent détruits.
Pour conclure, il est effectivement remarquable dans le projet de l’hôtel particulier de la famille Thélusson que malgré que Ledoux ne l’aura pas terminer, on reconnait toujours son style néo-classique. C’est par la comparaison avec l’hôtel de Mlle Guimard et l’hôtel d’Hallwyl qu’on peut le constater. La théâtralité et l’innovation de l’architecte n’ont pas pu être conservées dans son entièreté ; une grande majorité de ses œuvres fut démolie. Cependant, l’hôtel Thélusson ainsi que ces autres prouesses restent gravés dans les textes architecturaux que l’on continue de relire aujourd’hui. Bien que ces hôtels existassent pour un bref instant, Ledoux est imprégné dans l’histoire de l’architecture depuis les Lumières par ses exploits modernes spectaculaires.
BIBLIOGRAPHIE
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