La Villa Noailles au Soleil Levant par Jacqeline Salmon, 1943, France, Inventory no AM-1999-58. Souce: Centre Pompidou, ressources, oeuvres, 1996. En ligne < https://www.centrepompidou.fr/en/ressources/oeuvre/cez96oK. > Consulté le 15 octobre 2021
Cette photographie de Jacqueline Salmon, suscite un sentiment d’intrigue, malgré la prise de vue, qui donne l’information nécessaire pour comprendre l’architecture de la façade. Le tons tout en contraste, amplifient les ombrages et accentue les lignes dures et sévères de l’image. On pourrait y voir un désir de mettre en valeur le je de plein et de vide, qualité première de la villa. L’oeil est en premier lieu attiré par le bâtiment qui est le point principal de lumière. Le rapport ombres et lumières entre le bâtiment et la nature environnante, donne de l’importance à l’architecture de Robert Mallet-Stevens, les formes organiques enveloppent le jeu de cube en béton et soutiennent le désir de communication entre l’intérieur et l’extérieur. L’angle de prise de vue intensifie le jeu de cubes imbriqués et empilés. L’absence d’ornementation sur l’extérieur du bâtiment respecte les principes du mouvement rationnel, cependant, grâce au travail de couleur et texture en chambre noire, la matérialité est mise de l’avant. On y comprend le béton, le verre et le métal. Cette photographie, illustre la volonté de l’architecte; faire de la lumière un élément important de la matérialité.
Jacqueline Salmon est une photographe française. Elle exerce ce métier depuis 1981. Très souvent critiquée pour l’absence d’humain et de vie dans ses photos, elle voit plutôt son art comme une mise en scène de l’espace, l’architecture d’un lieu est « comme une seconde peau, la manière dont on agence l’endroit où l’on vit est une représentation de soi, de ses peurs, de ses angoisses, de son caractère. » Il s’agit, là, d’un portrait de société. Son intérêt pour la Villa l’a amené en 1996 à la photographier, en utilisant un appareil argentique. On reconnait l’épreuve gélatino-argentique [1] par le grain de la photo. Celle-ci est plus texturé qu’en numérique, les teintes, ombres et lumières sont également contrôlées en chambre noire par la photographe. Dans le cas de la Villa, l’intensification des façades ombrées nous apparaît rigide, droite et massive. Quant aux points de lumières, ils apportent la même légèreté que les murs rideaux ou les porte à faux. La lumière accentue donc les volumes cubiques, très représentatifs de la modernité, ainsi qu’une dramatisation de l’image. Le contraste du noir et du blanc de l’image vient soutenir le contraste entre lourdeur et légèreté qui est traduit par la matérialité du bâtiment; le verre et le béton.
Jacqueline Salmon a fait transparaitre au travers de son objectif, le travail de la lumière, du cube, de la transparence ainsi que l’horizontalité tant travaillée par l’architecte. Salmon a mis en valeur, voir accentuée les qualités du bâtiment. Le grain et le contraste du noir et du blanc donnent une profondeur et un effet dramatique à l’image.
La villa Noailles, située sur la colline du château d’Hyères, fait partie du mouvement rationaliste, [2] privilégié à l’époque de Viollet-Le-Duc. De style moderne [3], elle s’inscrit totalement dans l’esprit de la rationalité et de la fonctionnalité. Dans cet architecture, on y célèbre un nouvel art de vivre où le corps et la nature sont privilégiés. Il répond à un objectif simple : laisser entrer la lumière et en faire l’élément central du bâtiment.
Atlas of Interiors, maquette of architecture (interior) masterpieces, lapblog, publié en mars 2014. En ligne <http:/www.atlasofinteriors.polimi.it/2014/03/19/robert-mallet-stevens-villa-noailles-hyeres-france-1928/>. Consulté le 29 Novembre 2021
Robert Mallet-Stevens, est l’une des plus grandes figures de l’architecture française de l’entre-deux-guerres, principalement au service des bourgeois, il suit une vision rationnelle et moderne. Il refuse l’ornement et affectionne la fonctionnalité d’un espace.
Dans sa conception initiale, l’architecte a misé sur une architecture qui suit une ligne horizontale prédominante. L’angle de prise de vue de la photo suit cette idée, l’orientation de l’image permet d’encadrer une partie importante de la façade, l’entrée principale est reculée de la façade, donnant une certaine intimité et recule encore plus l’accès à la maison de la rue. Cette photographie est tout à fait représentative de l’architecture de Robert Mallet-Stevens, qui a rendu célèbre ce bâtiment avec ses jeux de cubes, sa matérialité tout en modernité, ainsi que son travail de la lumière. Son passé dans le cinéma lui donne une approche qui s’apparente à la mise en scène. Sa conception de la lumière est novatrice, il traite cet élément comme un matériau à part entière. En privilégiant l’orientation à l’horizontale, Salmon y va droit au but. On comprend les formes, les ouvertures, les différentes hauteurs et même la matérialité malgré la teinte noire et blanche. Le volume de la villa se fond à la couleur du ciel, un effet de hauteur s’en résulte ainsi qu’une douceur par rapport au sol.
Dans ses écrits, Mallet-Stevens affirme que le béton armé est le matériau le plus à même de mettre en œuvre «l’art essentiellement géométrique» qu’est pour lui l’architecture. [4]
D’un point de vue plus architectural, le dessin de l’édifice se lit comme une promenade architecturale, pour reprendre les mots de Robert Mallet-Stevens. L’horizontalité est privilégiée et équilibrée avec le volume vertical du belvédère, qui contient l’escalier. Éventuellement, cet élément sera rabaissé sous les ordres du propriétaire puisqu’il trouvait la hauteur trop décorative et inutile, on revient donc à la fonctionnalité de l’architecture.
« Dans sa correspondance avec l’architecte, Charles de Noailles précise : « Je ne compte plus sacrifier un pouce de fenêtre pour obtenir une façade Louis XVI que pour obtenir une façade moderne et intéressante » (1923), « Je ne pourrais jamais supporter quoi que ce soit dans cette maison ayant un but seulement architectural et je cherche une maison infiniment pratique et simple, où chaque chose serait combinée du seul point de vue de l’utilité » (1924), « Je veux le soleil le matin dans les chambres à coucher et le soleil de l’après-midi dans le salon, parce que c’est pour avoir le soleil que j’irai dans cette maison » (1925) » [4]
La construction de la Villa de Noailles arrive à la suite de la première guerre mondiale et de la grippe espagnole. Qualifiée d’années folles, ces années sont marquées par un intérêt plus fort pour la culture ainsi qu’un mouvement d’euphorie et de libération, en plus de mettre en priorité les équipements sanitaires tant dans les résidences privées que les commerces, suivant là le courant hygiéniste du modernisme. Les équipements sportifs et sanitaires étaient une des demandes principales du couple de mécènes. En effet, en 1927, la villa Noailles est l’une des premières maisons où l’on trouve une piscine intérieure privée.
Le vicomte et sa femme avaient déjà un goût très développé pour l’art, leur maison de vacances est devenue au fil du temps, une grande collaboration avec les plus grands designers de mobilier, architectes et artistes de l’époque. Ce bâtiment avant-gardiste va tout de même s’adapter aux techniques traditionnelles et locales du sud de la France, encore une fois dans un désir d’utilité et de fonctionnalité. De l’extérieur, les volumes sont impressionnants, et c’est ce que Jacqueline Salmon à communiqué au travers de la photographie, cependant, les pièces à vivres à l’intérieur de la villa sont plutôt modestes tout en restant fonctionnelles. On adopte le mobilier intégré en niche à l’architecture, les toits terrasses, le toit plat et les fenêtres de types industrielles. En éloignant la villa de la rue ou la circulation, on y comprend un désir d’intimité. Les ouvertures soigneusement placées, conserve l’intérieur de la villa à l’abri des regards indiscrets. Les matières sont nombreuses : bois, caoutchouc, tôle, tubes chromés. Aucune limite n’existe ici à la créativité, entre un jardin en forme de triangle, dit « cubiste », un salon rose, une pièce entièrement fermée en mur rideaux, des cubes emboités. La villa est l’une des premières construction moderne en France et reste encore aujourd’hui un des bâtiments les plus célèbres.
[1] Le procédé gélatino-argentique est le procédé chimique fondamental de la photographie argentique, que ce soit en noir et blanc ou en couleur. En tant que tels, les films disponibles pour la photographie argentique reposent rarement sur un autre procédé chimique pour enregistrer une image.
[2] Mouvement rationaliste : un courant architectural, origine de la théorie architecturale. Mouvement architectural, pendant les Lumières (le néo-classicisme). Opposition à l’imitation des traditions et croyances archaïques.
[3] Style moderne ou modernisme, pas exactement un mouvement au sens artistique du terme. Regroupe plusieurs écoles artistiques internationales avec des styles techniques et des principes parfois très différents (construire le monde de demain).
BIBLIOGRAPHIE
Agnès Zamboni, La Villa Noailles à Hyères, publié le 1er Novembre 2014, En ligne < https://www.maison.com/architecture/histoire/villa-noailles-hyeres-temoin-son-temps-8077/ > Consulté le 24 octobre 2021
Carine Calafato-Calba, La Villa Noailles Hyères 1923-1924. En ligne < https://terrevaroise.files.wordpress.com/2012/01/la-villa-noailles-ppt.pdf.com >. Consulté le 2 décembre 2021.
EPFL, La Villa de Noailles, Hyères, 1923, Robert Mallet Stevens, architecte, publié le 9 Février 1987. En ligne <https://www.epfl.ch/campus/art-culture/museum-exhibitions/archizoom/fr/villa_noailles/>. Consulté le 24 octobre 2021
[4] Mallet Stevens, sous la direction d’Olivier Cinqualbre, page extrait du site internet de l’Association de Sauvegarde de la Villa Cavroi. Robert Mallet-Stevens, « l’oeuvre complète », centre pompidou. En ligne < http://www.malletstevens.com/oeuvre.htm >. Consulté le 2 décembre 2021.
Reseau-canope.fr, Villa Noailles, En ligne <https://www.reseau-canope.fr/fileadmin/user_upload/Projets/Preac_Patrimoines_et_creativite_Paca/Transmettre_l_architecture_contemporain_pdf/Villa_Noailles.pdf> Consulté le 24 octobre 2021