L’immeuble Haussmannien, une solution bourgeoise à la densité urbaine.

À travers l’édification de nombreux immeubles de rapport, d’immeubles d’habitation, dans la ville de Paris au XIXe siècle, c’est un programme social qui s’élabore et s’implante le long des Grands Boulevards.

Gélis-Didot, Pierre, Paris Mansions & apartments 1893, Façades, Floor Plan & Architectural Details, New York, Dover Publications, 2011, p. 75.

Les grandes métropoles du monde, qui ont des racines qui plongent jusqu’aux confins de l’Antiquité, se sont souvent érigées de façon chaotique, organique, spontanée. Celles qui ont eu la chance d’éviter de grands incendies ravageurs ou de grandes destructions guerrières ont dû se rabattre sur les volontés humaines, politiques, pour accéder à un aménagement qui sache répondre aux exigences de la modernité. C’est ce qui est arrivé avec la ville de Paris, qui faisait l’objet de nombreux projets de réformes depuis le XVIIIe siècle mais qui a vu ceux-ci prendre forme seulement vers la deuxième moitié du XIXe siècle. Ce qui a par la suite été souvent qualifié de « révolution haussmannienne » a permis à la cité millénaire de mieux respirer. Les quartiers centraux de ce qu’on appelle le Paris intra-muraux étouffaient dans ces rues étroites, obstruées, sans égouts, parfois sans soleil et surpeuplées. 

La ville de Paris et le nom du Baron Haussmann sont indéniablement liés l’un à l’autre. Cet administrateur, engagé par l’empereur Napoléon III au tout début de son règne pour entreprendre d’immenses travaux d’embellissement, a façonné la ville et tenté de résoudre une multitude de problèmes structurels historiques. Les solutions envisagées par ces hommes pour répondre aux besoins évoqués ne peuvent être neutres, elles découlent forcément de valeurs et d’une idéologie. C’est pourquoi il est intéressant de savoir lire la ville à travers ses aménagements urbanistiques et ses réalisations architecturales car ils témoignent, comme les écrits, les édits et les mouvements sociaux, des valeurs qui se sont affrontées, qui ont prédominé et se sont inscrits dans la postérité.

Carte de la ville de Paris qui permet de voir ces percées, ces Grands Boulevards, qui permettent une meilleure ciruclaition http://passerelles.bnf.fr/explo/haussmann1/index.php

Les grands travaux d’Haussmann concernent les grands Boulevards et les égouts, les places et les monuments, les gares mais aussi, le type d’habitation qui doit être construit pour remplacer les taudis qu’on démoli lors de toutes ces expropriations. L’hygiénisme servira donc de paravent aux volontés politiques de réduire la densité urbaine et de changer la composition sociale du coeur historique de la ville. En effet, ces quartiers centraux ont vu de nombreuses révoltes jaillir en leur sein au fil des siècles et une grave épidémie de choléra a tué plus de 18 000 personnes en 1832. Dans le Rapport sur la marche et les effets du choléra-morbus dans Paris et dans le département de la Seine on écrit:

« Il y a urgence surtout à dégager le centre de Paris par des rues percées dans toutes les directions, par des places publiques assez spacieuses pour être plantées d’arbres […] et répandre enfin la lumière et la vie dans ces obscurs quartiers où la moitié de la population végète si tristement, où […] l’air est si infect, les rues si étroites, et la mort si active qu’elle frappe là plus que plus partout ailleurs. » (Faure, p. 439)

Image de la ville de Paris avant les travaux entrepris par Haussmann. https://www.pariszigzag.fr/secret/paris-avant-2/a-quoi-ressemblait-paris-avant-haussmann

Pour que tous ces grands projets puissent voir le jour, il aura donc fallu que plusieurs conditions soient réunies et c’est ce qu’explique Alain Faure dans son article paru en 2004:

« Il faut une conjoncture puissante qui la rende possible. Ici, ce fut la rencontre entre une peur sociale au moment de la Seconde République, suivie immédiatement d’une conjoncture affairiste. Autre élément de conjoncture : la trouvaille d’un homme comme Haussmann, grand organisateur d’autant plus actif qu’aucun contrôle démocratique ne s’exerçait sur lui, » (Faure, p. 448)

Caricature du Baron Haussmann. http://passerelles.bnf.fr/grand/pas_050.htm

Les immeubles de rapport qui vont être construits à cette époque répondent aux besoins d’une classe sociale, la bourgeoisie. Cette dernière tire profit de ces expropriations et investit dans l’édification de ces habitations conçues pour accueillir un mode de vie bourgeois. En effet, la mixité sociale est plutôt mal-vue et si on intègre aux édifices des chambres de bonnes sous les combles, ce sont pour des raisons pratiques mais on est loin des étages complets destinés aux ouvriers. Ces derniers sont plutôt invités à quitter ces nouveaux quartiers qui s’érigent pour aller gagner les faubourgs à l’est de la ville. 

« Ce nouveau type de maison, installée sur des parcelles de dimension souvent double des parcelles traditionnelles, offre à ses locataires, gens aisés pour l’essentiel, des appartements sinon identiques, du moins obéissant à un plan nouveau, où les fonctionnalités étaient bien séparées: la cuisine, le coucher, la réception… La bourgeoisie urbaine avait trouvé la maison adaptée à son mode de vie ». (Faure, p. 438)

Les plans intérieurs de ces appartements permettent de mieux comprendre le mode de vie de ses occupants; ils disposent de pièces nobles, des salles de réceptions, avec foyers, planchers de bois verni, porte-fenêtres à crémone et certains disposent de balconnet. Les pièces de services se trouvent à l’arrière de l’appartement et on y accède par un escalier de service qui donne sur la courette intérieure. Un système de communication est même installé pour que les domestiques puissent être appelés. Ces derniers peuvent être logés au dernier étage de l’immeuble, dans ce qui sera communément appelé des « chambres de bonnes ».

Exemple d’un plan pour illustrer la division des pièces dans un appartement typique de style Haussmannien. https://www.pariscorporatehousing.com/fr/location-meublee-corporate-Boulevard-Haussmann-appartement-08069

L’image choisie pour illustrer ces nouvelles constructions, qui deviendront une des signatures visuelles de la ville de Paris, est un dessin d’une façade d’immeuble situé au 197, boulevard St-Germain qui a été réalisé par l’architecte Jean-Louis Pascal. L’édifice est un prototype presque parfait de l’immeuble dit « Haussmannien ». Ces immeubles d’habitation comprennent habituellement, comme c’est le cas ici, des espaces commerciaux au rez-de-chaussée et une porte-cochère pour donner accès à la cour. Des balcons en enfilade sont souvent présents aux deuxième et cinquième étages (Sur cet immeuble, tous les étages bénéficient de balconnets). Les immeubles de rapport de cette époque doivent également respecter certaines normes quand à leur revêtement, ils ont presque tous une façade en pierres de taille, qui proviennent de carrières près de Paris (pierre de Saint-Maximin). Cette pierre pâle confère une impression d’uniformité, de propreté, de luminosité aux ensembles d’immeubles qui se jouxtent le long des avenues et des boulevards. 

Intérieur d’un appartement Haussmannien, à Paris. Plancher en chevrons, cheminée de marbre, plafonds hauts et moulures sont typiques de ces habitations bourgeoises.

Le nombre d’étages est aussi régit par les normes urbanistiques; selon la largeur du boulevard, le nombre d’étage peut varier entre cinq et sept tout au plus. Ici, dans le cas qui nous intéresse; en plus du rez-de-chaussée, l’immeuble compte cinq étages pleins et un étage en retiré, presque sous les combles. La toiture, dont le brisis est joliment arrondi,  semble être en zinc et la cheminée est recouverte de maçonnerie en brique. 

Le dessin permet aussi de bien voir à quel point l’architecture de la Belle-époque est attachée à la symétrie, à l’ornementation et à l’élégance. Les immeubles haussmanniens se ressemblent et se singularisent par leur pléthore de détails ornementaux comme le souligne Loyer dans son ouvrage Paris XIXe siècle, l’immeuble et la rue : « L’application du principe d’uniformité provoque, par compensation, la recherche d’individualisation dans le détail. Cette variation de l’écriture dans la petite échelle crée la stylistique de l’immeuble haussmannien, stylistique fondée sur la répétition d’une trame identique en même temps que sur une étonnante proxilité du détail ». (Loyer, p. 250)

Vue aérienne d’une rue de Paris qui donne à voir l’alignement de ces immeubles et la largeur des boulevards.

En terminant, voici un documentaire sur les nombreux aménagements qui ont été effectué lors de ces années 1851-1869, intitulé La révolution Haussmann: https://www.youtube.com/watch?v=nHfsnDlp13Y

Bibliographie

COHEN, Jean-Louis et Bruno FORTIER, dir., Paris. La ville et ses projets, Paris, Éditions Babylone, 1988, 253 p.

Faure, Alain. « Spéculation et société : les grands travaux à Paris au XIXe siècle », Histoire, économie & société, vol. 23, no. 3, 2004, pp. 433-448.

Gélis-Didot, Pierre, Paris Mansions & apartments 1893, Façades, Floor Plan & Architectural Details, New York, Dover Publications, 2011, 100 p.

Lacave, Michel. “Stratégies d’expropriation et Haussmannisation: L’exemple de Montpellier.” Annales. Histoire, Sciences Sociales 35, no. 5 (1980): 1011–25.

Lepoutre, David. « Histoire d’un immeuble haussmannien. Catégories d’habitants et rapports d’habitation en milieu bourgeois », Revue française de sociologie, vol. 51, no. 2, 2010, pp. 321-358.

LOYER, François, Paris XIXe siècle. L’immeuble et la rue, Paris, Hazan, 1987, 478 p. 100

Site internet: https://www.citedelarchitecture.fr/sites/default/files/documents/2017-09/fo_boulevardsaintmichel_def.pdf

Gélis-Didot, Pierre, Paris Mansions & apartments 1893, Façades, Floor Plan & Architectural Details, New York, Dover Publications, 2011, p. 76.

One thought on “L’immeuble Haussmannien, une solution bourgeoise à la densité urbaine.

  1. Gazagne

    Profitant de cet exercice pour redécouvrir l’architecture européenne je n’ai pas pu m’empêcher de m’attarder sur cette prouesse architecturale qu’est l’immeuble Haussmannien.
    Le choix de l’image illustre avec justesse la complexité de ces immeubles de rapport du XIXe siècle. Tout dans ce dessin est très représentatif de la réalité et à mon humble avis l’accent est mis sur le rez-de-chaussée ainsi que sur les ornementations de la bâtisse qui ont leur importance dans ce projet. Il est surement un peu dommage de ne pas pouvoir apprécier les maçonneries apparentes en façade mais d’autres détails sont bien mieux représentés.
    Comme l’a parfaitement expliqué Shannon le rapport à l’existant était primordial pour le Baron qui prévoyait d’homogénéiser les rues de Paris. En façade comme en alignement sur rue, ces immeubles respectent scrupuleusement l’harmonie de ces longs boulevards. Le choix d’un dessin fait sur le boulevard Saint Germain est très intéressant selon moi car il est assez représentatif du travail d’Haussmann. J’ai une petite préférence pour ceux du 6e et du 5e arrondissement qui ont peut être mieux vieillis mais peu importe. Comme l’a aussi dit Shannon le dessinateur a fait le choix de rendre le bâtiment vivant et habités et il rend vraiment hommage à ce bâtiment. Les détails comme la calèche permettent également de daté cette oeuvre, ce qui est assez important car sans on pourrait penser qu’il s’agit d’un dessin bien plus récent avec ce genre d’architecture aussi pérenne.
    Finalement la description de ce dessin était super intéressante et très complète. On sens une réelle connaissance dans les travaux effectués durant la Belle Epoque. Merci

    Et pour les deux sources, je vous conseillerais :
    https://www.cairn.info/revue-histoire-economie-et-societe-2004-3-page-433.htm
    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k220530f/f8.item

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