La Bonne Mère, entre l’Orient et l’Occident

La Basilique mineure de Notre-Dame-de-la-Garde de Marseille a été dessinée dans le style romano-byzantin par le jeune architecte protestant Henri-Jacques Espérandieu, qui en commence la construction en 1853. 

Vue de la voûte à coupoles de la Basilique Notre-Dame-de-la-Garde à Marseille
Photo en mode panoramique prise par Marie Lansiaux en juillet 2016, lors d’une visite de la Basilique.

Achevée en 1897, la Bonne Mère, comme l’appelle les marseillais, est une église unique en son genre; 

 « C’est elle qu’on voit de la mer, première et dernière sur son sommet tout de lumière, ourlé de bleu, dominant sa Provence grecque qui sait ou ne sait plus qu’elle l’est, mais le reste. Qui manquera, croyant ou non, de monter à la Bonne Mère ? »

(Marie Mauron, En parcourant la Provence, éd. Les flots bleus, Monaco, 1954, p. 161) http://notredamedelagarde.marseille.fr

En effet, depuis l’Antiquité grecque, Marseille est considérée comme le point tournant du commerce maritime et le point stratégique militaire entre ce qui deviendra l’Europe et l’Orient. Cette position fait de la ville un endroit où les influences se mélangent énormément. Depuis le piton rocheux qu’elle surplombe, la Basilique Notre-Dame-de-la-Garde est considérée comme la protectrice des marins et des militaires de la Méditerranée (VISITE IN SITU). L’éclectisme de son style romano-byzantin et de son décor expriment bien la multitude des influences qui passent dans la région et l’ambivalence stylistique qui en découle.

Benh Lieu Song, Photo: La basilique Notre-Dame-de-la-Garde, à Marseille, dans les Bouches-du-Rhône, (1er septembre 2008) https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Notre_Dame_de_la_Garde.jpg

Le choix de la photo

La photo que j’ai choisie pour cet article est tirée de mes propres photos de voyages. Il s’agit d’un panoramique, pris depuis l’entrée de la nef sous la première coupole et montant verticalement depuis l’autel vers la voûte. Par cette prise de vue, j’ai tenté de mettre en lumière le mouvement du regard que le décor de la basilique inspire à ses visiteurs. De son plancher aux mosaïques géométriques faites de pierres de la région méditerranéenne à son extraordinaire voûte à coupoles aux mosaïques vibrantes d’or et de couleurs, la Bonne Mère émerveille dès l’entrée de la nef. Les murs de la basilique sont couverts d’offrandes à la Vierge Marie sous forme de tableaux et d’une myriade de maquettes de bateaux et d’avions de toutes les époques confondues pendant des voûtes en pleins cintres des petites chapelles bordant la nef. 

Ex-voto et offrandes : Robert Valette, Photo des chapelles latérales de Notre Dame de la Garde, (25 octobre 2009). https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Chapelles_latérales_N.D._de_la_Garde.JPG

Cette impression d’élévation, renforcée par la position géographique de la basilique, se fait ressentir dès l’époque de sa construction, comme en témoigne ce poème de François-Henri Durbec, publié en 1866, deux ans après la consécration du sanctuaire.

« Montez, montez au sanctuaire,

Montez, montez, montez toujours;

Allez invoquer le secours

De cette bonne et tendre Mère. »

François-Henri Durbec, extrait de: Notre-Dame-de-la-Garde, 1866 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58163196/f4.item

Pour moi, cette élévation n’est pas seulement topographique, elle est aussi métaphorique. On marche sur une mosaïque de teintes qui évoquent la terre. Les tableaux ex-voto et les offrandes couvrent les parois jusqu’à une hauteur où l’humain peut encore les regarder sans trop lever la tête. Les murs de marbre blanc de Carrare et rouge de Brignoles (SITE OFFICIEL) et les maquettes, comme les gens qu’elles devaient protéger, fuient doucement vers le ciel. Quand on en arrive à lever les yeux vers le plafond, un Paradis doré semble s’ouvrir sur nous. Le résultat en est émouvant de beauté. À mon sens, l’intention sous la conception d’Espérandieu, et de Revoil après lui, était d’inspirer la fidélité au culte par une beauté tirée de l’image que nous nous faisons nous-même du Paradis, contrairement à Notre-Dame-de-Paris, par exemple, qui m’a donné l’impression d’imposer cette fidélité par la puissance de sa masse. 

Petite histoire de la Garde

Perchée sur un piton calcaire de 149 mètres d’altitude, la Basilique a été construite sur les fondations d’une première petite chapelle datant du XIIIème siècle qui a ensuite été entourée d’un fort sous François 1er. Excellent point de vue stratégique sur la côte marseillaise, le sommet du pic était partagé entre la chapelle et les installations ecclésiastiques l’entourant et les forces militaires françaises pendant un peu plus de 400 ans. Elle a dû être agrandie plusieurs fois pour permettre aux pèlerins de plus en plus nombreux de visiter le site, et même récemment avec un agrandissement du musée attenant, ajouté à l’origine dans les années 1950. Peu de plans architecturaux précis étaient disponibles pour cette recherche, mais en voici tout de même quelques exemples, dont une vue en coupe de la statue monumentale de la Vierge, soutenue par « […] une flèche en acier […] » (SITE OFFICIEL) créée par Espérandieu et entourée d’un escalier; structure interne qui n’est pas sans rappeler celle de la statue de la Liberté new-yorkaise (1886), crée peu après la Vierge de la Bonne Mère (1869-70). 

Voici également un rendu en trois dimensions de l’extérieur de la cathédrale: https://3dwarehouse.sketchup.com/model/uabf9279b-9672-4e20-93b5-7a96ab82944b/Basilique-Notre-Dame-de-la-Garde-Marseille

Le romano-byzantin et sa définition imprécise

De style romano-byzantin, cette petite basilique est devenue emblématique d’un nouveau mouvement architectural qui se veut la réponse du sud de la France au néo-gothique du nord (LOYER, p. 159-164) et une façon de représenter « […] the notion of historical accretion through the chain of continuous progress and the vital lessons to be learned from moments of cultural transition and intermingling […] » (BERGDOLL, p. 227). On entend par romano-byzantin un « […] syncrétisme historique […] » (LOYER, p. 159) qui allie un renouveau du style roman (PP LATOUCHE, p. 98), lui-même une évolution du style carolingien (Ibid., p. 73), et d’un style dit « byzantin » mais qui s’inspire en fait de l’idée floue que l’on se faisait au XIXème siècle des styles paléochrétiens, grecs du Moyen-Âge et turques (MAGOULIOTIS p.1028-29 et LOYER p.160). 

Le style de la construction

La basilique que nous pouvons encore visiter aujourd’hui est construite sur une crypte de style néo-roman, taillée à même la pierre calcaire du pic au tout début de la construction de la partie supérieure. Plus humblement décorée, c’est un endroit de recueillement composé de murs de pierre nue ou couverts de chaux, surmontés de voûtes d’arêtes en maçonnerie typique du style roman (LATOUCHE, p. 81) de sols de dallages géométriques de différentes couleurs de pierres. 

Dans ce lien, on peut aussi visiter la crypte grâce à une vue circulaire prise depuis un point juste devant l’autel: http://notredamedelagarde.marseille.fr/sites/notredamedelagarde/files/contenu/pages/visites360/crypte-chapelle/la_chapelle_de_la_crypte.html

À l’étage supérieur, la structure de la basilique est un mélange de style roman, présent dans cette partie de l’Europe depuis le Xème siècle (LATOUCHE, p. 81), et de style byzantin. Le style byzantin, aussi appelé « […] grecque […] » (MAGOULIOTIS, pp. 1031-38) par Blouet, a été enfin pris au sérieux grâce à un nouvel intérêt pour les constructions de l’époque médiévale de la Grèce, qui avaient jusque-là été ignorées par les historiens au profit de la pureté des « […| temples hellénistiques […]» (MAGOULIOTIS, pp. 1031-38). En 1967, Charles Delvoye associera plutôt ce style à « […] la jeune Serbie indépendante, qui savait combiner en des synthèses originales les apports de l’Orient byzantin et ceux de l’Occident latin. »(DELVOYE, p. 213). Dans les années 1820 à 1840 environ, la France cherchait les liens religieux qu’elle entretenait autrefois avec le Moyen-Orient des croisades pour en quelque sorte valider la conquête napoléonienne de ces territoires (MAGOULIOTIS, pp. 1029-31). À cause du précédent manque d’intérêt et de conquêtes successives, les seules traces restantes de cette époque se trouvaient dans l’architecture et dans certaines chansons traditionnelles grecques répertoriées par Fauriel en 1825 (Ibid., p. 1030). Plusieurs ouvrages parurent sur ce style, que nous connaissons aujourd’hui comme byzantin, lui permettant de se répandre un peu plus tard dans l’architecture éclectique du sud de la France de Vaudoyer et d’Espérandieu. En 1852, Vaudoyer entreprend l’un des projets architecturaux les plus connus du style romano-byzantin en érigeant la Cathédrale de Marseille, dont la construction sera bientôt prise en charge par son apprenti, le jeune Henri Espérandieu (CASTELLAN. p.114). 

Agence photographique Rol. (commanditaire), Docks de Marseille [cathédrale de la Major en arrière-plan] : [photographie de presse] / [Agence Rol] (1912) https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6920985m.r=Cathédrale%20Saint-Marie-Majeure?rk=85837;2

Ce dernier se voit aussi confier la reconstruction de Notre-Dame-de-la-Garde, projet dont il ne verra pas la complétion. L’extérieur de la basilique camouffle la structure des coupoles de la nef mais révèle fièrement celle de la grande coupole qui surplombe le sanctuaire. Des clairevoies percent tout le tour de la coupole et deux niveaux de la nef, de la même façon que les clairevoies romanes ou paléochrétiennes des premières basiliques mais sans la lourdeur des murs caractéristiques du roman, illuminant ainsi les somptueuses mosaïques terminées après la mort d’Espérandieu par Henri Revoil (LOYER pp. 163-64). Il s’inspirera entre autre des décors du sanctuaire de San Vitale de Ravenne (LOYER p. 164), duquel il prendra les formes et les motifs mais laissera « […] the most elaborate interlinking of the strands of politics, church and art in Ravenna […] » (CORMACK , p. 58) à San Vitale. En effet, à part la mosaïque de l’Annonciation faisant face à l’entrée et la monumentale statue dorée de la Vierge, placée haut au-dessus des visiteurs, les statues et les icônes, qui ne font pas parties de la construction en elle-même, sont les seules à représenter des saints sous formes humaines. Même les figures ecclésiastiques de l’Évêque de Mazenod et de l’Évêque Cruice, les fondateurs du projet, ne sont représentés que par leurs blasons, intégrés dans des vitraux proches de l’entrée. Les représentations picturales ne sont constituées que de symboles, de signes et d’indices des mythes religieux; on pourrait prendre en exemple les quatre anges sans noms, flanqués des symboles du lion, du taureau, de l’ange et de l’aigle des évangélistes, tenant le rosaire de la grande coupole dans une invitation à la prière et comme symbole de l’ascension vers le ciel (SITE OFFICIEL). Nous devons peut-être cette interprétation de l’image dans le lieu de culte à la religion protestante de son architecte, qui prône une foi intrinsèque à la personne plus que sa démonstration picturale dans les églises. 

Bibliographie :

BERGDOLL, Barry, (2000)  »New Technology and Architectural Form, 1851-90 » dans European Architecture 1750-1890, Oxford, Oxford Paperbacks. pp. 224-232.

CASTELLAN, Dominique (Abbé), (1893), Notre-Dame de La Garde : histoire et description / par l’abbé D. Castellan, Vanves, à la Bibliothèque Nationale de France. 187 pages. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1419443/f121.item

CORMACK, Robin, (2000) Byzantine Art, Oxford, NY, Oxford University Press. pp. 59 et 157. 

DELVOYE, Charles, (1967)  »Le classicisme byzantin » dans L’Art byzantin, France, B. Arthaud. pp. 208-217.

LATOUCHE, Pierre-Édouard, (4 octobre 2021), L’architecture des lieux de culte des paléochrétiens à l’époque romane [Document PowerPoint], Moodle, Notes du cour: Les arts du Moyen-Âge à la Renaissance.

LOYER, François, (1999) Histoire de l’architecture française de la Révolution à nos jours, Chapitre: « Le beau, le vrai, l’utile ». 6 rue du Mail – 75002 Paris, Éditions Mengès et Paris, Caisse nationale des monuments historiques et des sites/Éditions du Patrimoine. pp. 153-175

MAGOULIOTIS, Nikos, (4 décembre 2020) « French architects and ‘églises grecques‘: the discovery of Byzantine architecture in Greece, 1820s-1840s » , The Journal of Architecture, vol. 25, Issue 8 : European peripheries of architectural historiography. pp. 1028-1054. DOI: 10.1080/13602365.2020.1849355 https://www-tandfonline-com.proxy.bibliotheques.uqam.ca/doi/full/10.1080/13602365.2020.1849355

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One thought on “La Bonne Mère, entre l’Orient et l’Occident

  1. Daniel Michon

    Très bon travail, texte descriptif et clair, références précises, illustration abondante et à propos. Le tout nous fait bien sentir la confluence et la symbiose de cultures dominantes de cette époque, autant architecturales que religieuses.

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