Un hôtel particulier dans un style Art Nouveau. ll s’agit de la dernière œuvre d’architecture civique de Gaudi et elle représente une rupture avec les conventions de son époque.

Sección de la Casa Milà, de Antoni Gaudí (1906)
Si jusqu’à la fin du XVIIIe siècle on observe une architecture réglementée, avec des codes et des traditions assez strictes en terme de conception, le début du XIXe siècle apparait comme un second souffle en terme d’innovation.
Gaudi étant l’une des grandes figure de l’art nouveau, apparut aux alentours de 1895, nous essayerons de comprendre comment le travail de cet architecte a permis de proposer une nouvelle vision de l’architecture domestique. Et puis par le biais de cette Architecture catalane, nous montrerons comment l’architecture a pu se détacher de la conception de lieux d’habitations formels pour s’orienter vers des espaces plus vivants, plus organiques.
Pourquoi l’architecte décide-t-il de délaisser les codes de l’architectures en vigueur à l’époque pour se tourner vers une nouvelle perception de l’architecture ? Plus sensible et répondant à des besoins plutôt qu’à un statut social ?


Auteur inconnu — AA.VV., Gaudí. Hàbitat, natura i cosmos, Ed. Lunwerg, Barcelona (2001)

Le choix d’un architecte comme Gaudi semble être approprié, il permet de mettre en avant une toute nouvelle façon de traiter la façade mais également d’agencer l’espace. C’est une rupture avec la tradition, on revoit les règles et les priorités du domicile.
Ici il ne s’agit pas d’une demande d’hôtel particulier classique, Pere Milà et Roser Segimon décident de faire appel à Gaudi pour leur construire une résidence en plein centre de Barcelone. Un espace souterrain, un rez-de-chaussée et un étage principal réservés aux propriétaires et quatre étages supérieurs destinés à être loués.
Le but de l’architecture n’étant pas réellement de suivre les règles de la bourgeoisie pour concevoir les espaces, il va choisir de construire des plans libre permettant de moduler les pièces quasiment à l’infini. Son travail sera principalement reconnu pour l’attention qu’il portera à l’apport en lumière naturelle, la distribution des espaces mais également la circulation privée / public.

Le choix de cette coupe réalisé par l’architecte en personne en 1898 est la preuve irréfutable d’un changement drastique de la vision de l’architecture domestique. Au lendemain d’une architecture logique, ordonnée et réglementée (l’exemple d’Haussmann qui propose une organisation très claire avec un rez-de-chaussée dédié aux commerces, et les étages supérieurs organisés en fonction des classes sociales avec des balcons plus ou moins généreux). Gaudi choisit de privilégier des formes organiques, des puits de lumière mais également une nouvelle manière de gérer les pièces communes.
On entrevoit dans ce dessin technique les neuf étages que propose Gaudí. Avec un sous sol, un rez-de-chaussée, une mezzanine, un étage principal, quatre étages supérieurs et le grenier. La particularité de cet hôtel qui donne directement sur une rue de Barcelone est le traitement de l’entrée. En effet le rez-de-chaussée fait office de garage et le premier niveau (ou la mezzanine) sert de vestibule pour desservir le reste du bâtiment.
Cette coupe permet de mettre en avant différents enjeux importants :
Tout d’abord elle nous permet d’identifier la fin d’une hiérarchie des étages attribués en fonction de la classe sociale. On observe une certaine homogénéité dans l’ensemble du bâtiment et un point d’honneur est mis sur les espaces de circulations (spécialement pour les escaliers). De plus, et malgré le fait qu’il s’agisse d’une coupe technique, on peut très clairement voir la présence d’un gigantesque patio, qui apporte une source de lumière naturelle importante.
Il ne s’agit plus d’une simple cours d’immeuble mais bien d’une approche plus concrète des besoins visant à rendre l’architecture plus sensible, plus agréable.
L’ensemble du bâtiment forme une oeuvre typique de Gaudí. En effet on reconnait l’artiste à l’entremêlement de lignes droites et courbes.
On retrouve des formes organiques dans les escaliers qui s’imposent dans la coupe mais également au sommet du projet sur la toiture. C’est également le cas des balcons (encore plus évident sur une façade du projet) qui dialoguent avec le toit et rappellent l’importance accordé par l’architecte à la lumière naturelle. Cette lumière que l’on retrouve également au coeur du projet : dans les deux cours centrale. Même si Gaudí n’a pas désiré accentuer ce détail sur ses dessins qui sont dans l’ensemble plus techniques que graphiques, on observe grâce à cette coupe un immense puit de lumière qui éclaire tout le projet par l’intérieur.
On retrouve dans ces lignes courbes une certaine raisonnance à des projets effectués en Europe quelques années auparavant. L’escalier de Victor Horta dans l’Hotel Tassel ou encore les entrées de métro de Guimard. Gaudí se réfère beaucoup à l’art nouveau français en apportant sa propre vision de l’architecture qu’il avait déjà illustré dans la Sagrada Familial ou encore au palais Guell.
Nous sommes bien loin de l’utilisation classique qui est faite d’un hôtel particulier. Ici on modernise, on loue, on éclaire, ou courbe des lignes droites et surtout on est au coeur de la ville.
Gaudi à travers cette oeuvre qui sera d’ailleurs sa dernière réalisation brise les codes théoriques de l’architecture. En Espagne certes, mais non loin de Paris et de ses nombreux hôtels particuliers, Gaudi réinvente une architecture jusqu’ici très réglementée. Il se libère de réglementations contraignantes pour proposer une nouvelle façon d’appréhender le domicile.

Il ne sera pas le seul en Europe, son travail s’apparente sous certains aspects à celui de Guimard à Paris ou encore à Victor Horta à Bruxelles.
La volonté des Mila (commanditaires du projet) reste néanmoins proche des commandes de l’époque avec une volonté d’exposer leur richesse. De nombreux désaccords auront lieux entre l’architecte et les Mila qui auront du mal à se projeter dans la vision de Gaudi. D’ailleurs ceci est une preuve que la bourgeoise au début du 19e siècle en Europe est encore très attaché à ses traditions. Les propriétaires refuseront d’ailleurs le propositions de décoration faites par l’architectes pour choisir quelque chose qui reflétaient mieux la richesse à l’époque.
Finalement, Gaudi aura amorcé une nouvelle approche de l’architecture domestique en apportant de la nouveauté, propre au mouvement « Art nouveau ». Cela va se traduire par la suppression de certains codes et la mise en place d’une nouvelle manière d’organiser les espaces.
« Gaudí a bâti une maison selon les formes de la mer, ’représentant’ les vagues un jour de tempête […] il s’agit de bâtiments réels, véritable sculpture des reflets des nuages crépusculaires dans l’eau »
Dali, 1933
Encore aujourd’hui, des habitants de la Casa Mila comme Ana Viladomiu soulignent le confort de vie de ces logements et la liberté qui leur est donnée de vivre comme bon leur semble.
La Pedrera qui signifie littéralement « carrière de pierre » sera un des surnoms de ce bâtiment. Aujourd’hui il est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO est c’est un incontournable lors d’une visite à Barcelone.
« Man makes art for man and hence it must be rational »
Antoni Gaudí
Sources :
Corredor-Matheos, José. La Pedrera. Gaudí i la seva obra. Fundació Caixa Catalunya, Barcelona. 1998
https://www.antoni-gaudi.com/casa-mila/
https://www.archdaily.com/367681/ad-classics-casa-mila-antoni-gaudi
https://www.lapedrera.com/en/la-pedrera
https://fr.wikipedia.org/wiki/Casa_Milà
https://www.theguardian.com/artanddesign/2007/oct/10/architecture