En 1929, l’Armée du Salut confia la réalisation de son centre d’accueil et d’hébergement pour les personnes sans-abris à Pierre Jeanneret et à Le Corbusier. La Cité de Refuge, qui fut le premier projet architectural de grande envergure pour ce dernier, abrite 680 chambres et plusieurs salles communes. Son inauguration eut lieu le 7 décembre 1933 à Paris.
« …L’architecture est sociale, mais surtout plastique,- elle doit apporter aux hommes la joie de vivre et non pas seulement une stricte utilité ». Le Corbusier
Cette citation illustre adéquatement la philosophie moderniste de Le Corbusier qui, dans sa conception de la Cité de Refuge, a souhaité à travers la luminosité et la couleur créer de l’harmonie pour des personnes dans la pauvreté et dans le besoin. Bien qu’elle remplisse pleinement sa fonction utilitaire, la cité se démarque aussi par la volonté de l’architecte à améliorer les conditions de vie des résidents. La description de cette photographie va nous permettre de comprendre plus en profondeur sa démarche.
Ce cliché pris par le photographe d’architecture Cemal Emden illustre la Cité de Refuge, centre d’accueil et d’hébergement de l’Armée du Salut pour les personnes sans-abris situé dans le 13e arrondissement de Paris, peu après sa dernière rénovation en 2016. Cette cité, construite par Le Corbusier et Pierre Jeanneret entre 1929 et 1933 (date de son inauguration) se compose d’un grand bâtiment d’hébergement, d’un hall d’entrée ainsi que d’un pavillon d’entrée.
Bien que je n’aie pu trouver d’informations relatives à la démarche du photographe dans cette capture, je peux affirmer après analyse du secteur dans lequel se localise le site, qu’il a dû se surélever pour prendre ce cliché. Il se trouvait en retrait directement sur la rue Cantagrel qui donne sur la Cité de Refuge, pour obtenir une perspective en contre-plongé en se positionnant au niveau du rez-de-chaussée, afin de laisser apparaître les éléments les plus importants du site. La figure 2 montre une photographie d’époque dans laquelle on peut observer le bâtiment plus en largeur depuis la rue Cantagrel. Il est important de mentionner qu’à cause des nombreuses constructions adjacentes au site, il n’est pas possible de photographier la façade du bâtiment d’hébergement dans son ensemble (voir figure 1 pour le plan d’ensemble).
Sur cette photographie de Cemal Emden, on voit au premier plan sur la gauche le hall d’entrée, ouvert vers l’extérieur sur deux côtés et maintenu par une colonne sur un des quatre coins. La dalle en béton qui fait office de toit permet de se protéger des intempéries tout en restant à l’extérieur. La structure de ce bâtiment est en béton armé et un mur pavé de briques de verres occupe un des deux côtés fermés. La lumière qui pénètre à l’intérieur et la zone d’ombre qu’elle génère, laisse entendre que la photographie a été prise en après midi. Sur le mur face à nous, plusieurs parallélépipèdes sont peint de trois couleurs : le bleu, le rouge et le jaune, qui correspondent aux couleurs officielles de l’Armée du Salut. Sur le grand carré bleu, il est inscrit en rouge Armée du Salut et en dessous sur le rectangle rouge est écrit Cité de Refuge en jaune. Toutes les lettres de ces écriteaux ont été disposées à quelques centimètres du mur, laissant leur ombre se refléter sur le mur. Au premier plan sur la droite, nous pouvons observer le passage qui mène au pavillon d’entrée, surplombé d’une structure en acier faisant office de protection contre les intempéries là encore. Il est donc possible d’accéder du hall d’entrée au pavillon d’entrée (dont on ne voit qu’une petite partie sur cette photographie) par l’extérieur tout en étant protégé contre la pluie. Bien que la photographie soit coupée, on peut observer la structure arrondie du sas sur la droite ainsi que les parois vitrées recouvrant la totalité de sa façade.
Les deux autres tiers de la photographie illustrent une partie du bâtiment d’hébergement ainsi que son mur rideau. Cette photographie prise en contre plongé permet de capturer idéalement son essence bien que le cadrage nous empêche de le voir dans son entièreté. Ce qui nous illumine dans un premier temps lorsqu’on la regarde, ce sont les couleurs de l’Armée du Salut, le bleu, le jaune et le rouge, qui recouvrent chacune un étage dans la longueur du bâtiment. Pour rappel, l’Armée du Salut est un mouvement international protestant fondé en 1865 par le pasteur William Booth dans les districts pauvres de Londres, pour propager la foi et lutter contre la pauvreté. Ces couleurs sont donc basées sur une idéologie religieuse, le bleu symbolisant la pureté de Dieu, le rouge le sang versé par Jésus-Christ et le jaune le feu du Saint-Esprit. Pour élaborer la structure de ce bâtiment qui fut le premier projet de grande envergure de sa carrière, Le Corbusier a appliqué ses 5 points de l’architecture moderne, à savoir les pilotis, le toit plat, le plan libre, les fenêtres en longueur ainsi que la façade libre. Ce dernier point, le plus visible et flagrant de cette photographie, est celui qui nous intéresse. Pris en 2016, ce cliché capture le bâtiment peu après sa dernière grande rénovation. Il est cependant important de mentionner que la construction de la Cité de Refuge fut accomplie en plusieurs temps. D’abord en 1933, où sa façade principale exposée plein sud, était un gigantesque pan de verre « à respiration exacte » de plus de 1000m2 (voir Figure 2). Cela permettait à l’air réchauffé par le soleil de circuler abondamment à l’intérieur tout en étant régulé par la chaufferie et les souffleries. De plus, ce type de façade sans ornement permettait de révéler du mieux possible toute la volumétrie du bâtiment. Cependant à cause de plusieurs complications comme la climatisation insuffisante en été pour combattre l’effet de serre, la lumière jugée trop intense pour des pièces de nuit ou les difficultés psychologiques des résidents à accepter des façades sans ouvrants, des modifications incessantes durent être apportées. Des ouvrants ont d’abord été pratiqués en imposte sur les bâtis de bois. Puis des brises soleils (que l’on peut toujours observer à l’heure actuelle) ont été installés par Le Corbusier lui même lors de travaux consécutifs aux dégâts générés par la seconde guerre mondiale. Ces cadres en béton protecteurs ont donc remplacé le mur rideau (voir la figure 3 illustrant le plan latéral d’une fenêtre du bâtiment d’hébergement). Lors de la commande de la Cité par l’Armée du Salut à Le Corbusier en 1929, celui ci en profita pour mettre en application certaines de ses préoccupations théoriques dont la typologie de l’immeuble allongé de grande hauteur. Alors que le terrain dont la forme irrégulière (en dénivellation) était relativement défavorable, il eut l’idée de d’implanter cette barre toute en longueur adossée sur la face nord du terrain avec la façade comprenant le mur de verre exposée plein sud. Les autres « objets » adjacents au bâtiment d’hébergement furent construits relativement à celui-ci.
Photographie de la facade de la Cité de Refuge peu après son inauguration lorsqu’elle présentait encore son immense mur de verre.
Source: Le Moniteur, Gruson et Chatillon, Cité de refuge Paris XIIIe, https://www.lemoniteur.fr/article/gruson-et-chatillon-cite-de-refuge-paris-xiiie.1149714#!
Source: Le Moniteur, Gruson et Chatillon, Cité de refuge Paris XIIIe, https://www.lemoniteur.fr/article/gruson-et-chatillon-cite-de-refuge-paris-xiiie.1149714#!
Si la Cité de Refuge porte ce nom, c’est parce qu’elle a été pensée comme cité. C’est à dire un lieu qui regroupe en son seul édifice la totalité des composantes de la ville: un centre d’hébergement, une cantine populaire, des ateliers de travail pour former les résidents à des métiers et mieux préparer leur réinsertion, des vestiaires pour s’habiller, une crèche, et une bibliothèque. Il s’agit là de toutes les composantes de la ville moderne de l’époque. Et surtout, cette cité était révolutionnaire par sa fonctionnalité et sa modernité, d’autant plus dans une démarche humanitaire.
François Chatillon et François Gruson, les deux architectes en charge de la dernière rénovation du site, ont souhaité dans leur travaux garder cette vision de la ville moderne voulue par Le Corbusier, en respectant les côtés patrimoniaux et sociaux de la Cité de Refuge. Son aspect simple, utilitaire et fonctionnel, est pleinement illustré par cette captation de Cemal Emden.
Bibliographie
BRACE TAYLOR Brian, Le Corbusier : The city of refuge, Paris 1929-33, Chicago, London : The University of Chicago Press, 1987, 185 p.
Commission du vieux Paris, Séance plénière du 16 décembre 2010, DHAAP, Mairie de Paris, 2010. En ligne < https://cdn.paris.fr/paris/2020/02/26/d4d404638304da34b46ea3dcc153fb3f.pdf >. Consulté le 6 décembre 2021.
COHEN Jean-Louis, Monique ELEB, Antonio MARTINELLI, Paris Architecture 1900-2000, Paris, Ed. Norma, 2000, 286 p.
EMDEN Cemal, Le Corbusier, The complete buildings, Londres, Prestel Publishing Ltd., Burcu Kütükcüoglu, 2017, 319 p.
EQUITONE France, Conférence de François Gruson – Cité De Refuge – Centre Espoir, Paris, Equitone, Youtube, 2017, 50 min. 56 sec. En ligne < https://www.youtube.com/watch?v=I8_43T7ZTng >. Consulté le 6 décembre 2021.
KHAN Hasan-Uddin, Le style international, Le modernisme dans l’architecture de 1925 à 1965, Cologne, Taschen, 2009, 224 p.
MOREL JOURNEL Guillemette, Le Corbusier : Construire la vie moderne, Paris, Éditions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2015, 223 p.