Pour reconstruire la France après la Seconde Guerre mondiale, Le Corbusier présente « L’Unité d’Habitation de Grandeur Conforme » qui sera inaugurée en 1952. Lucien Hervé devient le photographe officiel de l’architecte après la série de photographies de ce bâtiment.
Cette photo de la « Cité Radieuse », complexe d’habitation construit par Le Corbusier, a été prise par Lucien Hervé en 1949. En une seule journée, Hervé a pris 650 clichés de l’immeuble. En recevant les photographies, Le Corbusier demande à Hervé de devenir son photographe officiel. « Tu as l’âme d’un architecte », lui écrit-il. Ils collaboreront par la suite pendant 16 ans1.
L’image en noir et blanc a un format carré. Elle interprète la façade principale du bâtiment. Le champ est occupé par la partie supérieure de la façade, tandis que le ciel occupe l’autre moitié. L’arête du toit forme une ligne transversale, presque parfaitement en diagonale d’en bas à gauche jusqu’en haut à droite.
« Lorsqu’il documentait des bâtiments à grande échelle qui ne permettaient pas facilement la fragmentation, il évitait toujours l’expression de la monumentalité et s’efforçait de ne pas souligner l’axe de composition ou de symétrie2 ».
En effet, le sens de la façade dans le champ supprime l’effet de contre-plongée qui soulignerait l’immensité de bâtiment.
Mise en contexte. Un nouveau type de bâtiment en demande : le logement social
Dans le contexte post-guerre mondiale, la France se reconstruit et le concept d’habitats sociaux se repend. Ils ont pour but de répondre à la crise du logement avec le peu de moyens disposés. Ainsi, les bâtiments comprennent des unités nombreuses et minimalistes, tout en permettant l’amélioration de l’hygiène. L’Unité d’habitation du Corbusier est une commande de l’État passée en 1946. Construit en cinq ans, l’architecte présente son projet comme « la première manifestation d’une forme de l’Habitat moderne3 ». Il s’inscrit dans ce style architectural sur plusieurs aspects.
Le Corbusier célèbre les nouvelles techniques comme celle du béton brut par exemple. Il prouve avec cette construction, tel une expérience, que le béton armé se trouve dans la même catégorie que la pierre ou la brique, mais est avantageux dans son entretien puisqu’il ternit moins rapidement4. On peut observer sa célébration sur la photographie : les bandes de béton forment des axes en diagonale qui structurent l’image. L’utilisation du matroïl (type de peinture) n’est cependant pas exprimée dans l’image. Ce matériel permet la polychromie des murs qui séparent les différents balcons (voir Figure 1). Or il est impossible de les apercevoir à cause de la saturation nulle. De la façade régulière et épurée se traduit la pensée fonctionnaliste. En effet, elle est énoncée uniquement par l’usage du bâtiment.
La vie sociale est au cœur des enjeux du bâtiment. Une association regroupant les membres est créée afin de veiller au bien-être des habitants. Dans ce « village vertical », l’espace a comme défi d’harmoniser la vie individuelle et collective5. Les unités sont liées par des espaces communs comme la cage d’escalier, le gymnase de l’immeuble, ou encore la rue marchande (partie grillagée légèrement plus foncée sur l’image), de sorte que les besoins des habitants soient comblés dans cette « micro-ville ». Cette pensée s’étend jusqu’à la pratique urbanistique : Le Corbusier a développé ces concepts a plus grande échelle, dans une « ville radieuse » imaginaire.
Analyse. Les cinq point du Corbusier à travers Hervé
Le Corbusier a émis en 1926 « cinq points d’une architecture nouvelle6 » qui présentent les faits architecturaux qui réforment l’architecture. Rappelons-les rapidement. Il mentionne :
- Les pilotis
- Les toits jardins
- Le plan libre
- La fenêtre en longueur
- La façade libre
La Cité Radieuse respecte tous les cinq principes de son architecte, et cette photographie d’Hervé en témoigne.
Tout d’abord, les diagonales fortes de l’image, tracées par les différents étages créés un contraste avec les murs de la façade, en diagonale opposée. Ce contraste oblique permet de souligner la finesse des murs de la façade, comparée aux larges bandes qui délimitent les étages. Elle témoigne du plan libre et de la façade libre. En effet, les pilotis porteurs permettent d’alléger le poids des cloisons verticales7. C’est d’ailleurs grâce à ce concept de plan libre, libéré des exigences des murs porteurs, que Le Corbusier a pu emboiter les habitations (voir Figure 2). Ainsi, les pilotis permettent également de libérer la façade des parties portantes. Les balcons sont comme posés autour de la façade, sur un plancher en porte-à-faux.
Aussi, on peut observer les fenêtres en longueur qui occupent la façade de mur-à-mur. On peut déduire la lumière qu’elles permettent, révélée par la façade très claire, ensoleillée, dans l’image.
« L’organisation de la façade, (y compris de « la fenêtre ») et la composition frontale sont les éléments où on voit Le Corbusier transformer la « grande » tradition de l’architecture – le déplacement de concept existants – et qui par conséquent font partie de la signification de ses bâtiments8 ».
Colquhoun
On peut bien observer sur cette photo l’uniformité des unités, des foyers, qui ne permettent pas de révéler le statut social des habitants de l’immeuble.
Finalement, on peut observer sur cette image d’Hervé des éléments qui dépassent du toit, qui sous-entend la présence d’une terrasse. En effet, on aperçoit sur l’axe principal de l’image la tour d’ascenseurs qui forme un carré au milieu du cadre, les deux cheminées identiques, ainsi que le toit du gymnase et même celui du solarium des adultes.
Avec ces pilotis et ces colonnes, l’immeuble rappelle une forme de paquebot. Les pilotis donnent une impression de flottement, et les cheminées évoquent le pont de navire. Aussi, la forme du gymnase ressemble fortement à la quille d’un bateau. Cette « machine à habiter » est pionnière dans la configuration de l’habitat collectif. Tandis qu’elle s’inscrit au patrimoine de l’UNESCO, quatre autres bâtiments semblables seront construits par l’architecte, dont un à Berlin.
1 Kilston, L. (2011, 16 septembre). “The Photographer Kilston. L. (2011, 16 septembre). “The Photographer with the Soul of an Architect”: Lucien Hervé. Getty. http://blogs.getty.edu/iris/the-photographer-with-the-soul-of-an-architect-lucien-herve-le-corbusier/
2 Rouyer, R. (2002). Review: Lucien Hervé. Architecture photographique. Journal of the Society of Architectural Historians, 61(4), 559–561.https://doi-org.proxy.bibliotheques.uqam.ca/10.2307/991876
3 Conrads, U. (1926). Programmes et manifestes de l’architecture du XXe siècle. Les éditions de la Villette, Paris.
4 Loc. cit.
5 Fondation Le Corbusier. Extrait de Le Corbusier, Oeuvre complète, volume 7, 1957-1965. Unité d’habitation, Marseille, France, 1945. http://www.fondationlecorbusier.fr/corbuweb/morpheus.aspx?sysId=13&IrisObjectId=5234&sysLanguage=fr-fr&itemPos=58&itemSort=fr-fr_sort_string1%20&itemCount=78&sysParentName=&sysParentId=64
6 Conrads, U. Op. cit.
7 Loc. cit.
8 Colquhoun, A., & Osborne Michèle. (1985). Recueil d’essais critiques : architecture moderne et changement historique. Pierre Mardaga
Bibliographie
Abittan, D. (2015, 25 avril). Le Corbusier avait-il la recette des HLM qui rendent heureux ? Slate fr. http://www.slate.fr/story/99517/reze-le-corbusier
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Cité de l’architecture et du patrimoine. (2015, avril). Les fonctions du bâtiment. Dans La Cité radieuse. Éduthèque. https://www.citedelarchitecture.fr/sites/default/files/documents/2017-09/fo_citeradieuse_def_0.pdf
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Luliano, M. (2016). Lucien Hervé and Le Corbusier: pair or peers? The Journal of Architecture, 21(7),1100-1126, DOI: 10.1080/13602365.2016.1231213
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