Le pavillon de Barcelone de Mies Van der Rohe a été conçu pour montrer au monde le savoir-faire de l’architecte et l’étendue des applications des matériaux nouveaux dans la construction. Ce pavillon d’apparat présenté lors de l’exposition universelle de Barcelone en 1929 ne sert qu’un seul dessein : offrir à la vue du visiteur de nombreux jeux de volumes et lumières, montrant tout l’intérêt de l’architecte pour la perception, les espaces et l’environnement.
La Ground Floor House, pensée et réalisée les deux années suivantes pour l’exposition allemande de 1931, «The Dwelling in our Time», est un essai sur l’habitat sous la forme d’un bâtiment de plain-pied. Elle est directement inspirée du pavillon de Barcelone, en apparaît comme une interprétation habitable, devant répondre aux besoins de ses locataires.
« La maison de notre époque n’a pas encore été créée. Mais l’évolution des conditions de vie garantira la création de cette nouvelle maison ».
Ludwig Mies Van der Rohe (Zimmerman, 2006)
Nous allons voir, durant cet essai, comment Mies van der Rohe a pu respecter les nécessités fonctionnelles d’un espace habité, tout en en gardant l’esprit scénaristique, où l’habitat n’offre pas une simple œuvre, mais un spectacle qui se vit de l’intérieur, et cherche à créer l’émotion, l’inénarrable… le sublime.
Une inspiration forte du pavillon de Barcelone
La Ground Floor House est un bâtiment de l’esprit moderniste, fortement inspiré du pavillon allemand de Barcelone. La déconstruction de la boîte d’habitat par le dessin de murs non contigus et le jeu avec la lumière et les angles de vue en sont significatifs.
Le toit, rectangulaire et plat dans les deux cas, est porté par des colonnes métalliques disposées de façon orthogonale et espacées de 5 mètres. Aucune n’est dissimulée dans les murs et certaines d’entre elles sont situées en dehors du volume intérieur de chacun des bâtiments. Les parois du bâtiment n’offrent donc plus de fonction structurelle, mais constitue une simple clôture servant de protection du foyer comme la décrit Semper en son temps.
La déconstruction du cube d’habitat est la discontinuité des murs extérieurs est permise par l’emploi de mur rideau en verre, donnant l’illusion d’ouverture tout en permettant de définir l’intérieur de l’extérieur. Ainsi, peu de volumes intérieurs sont masqués par des parois pour l’observateur externe, montrant l’ensemble de la construction à nu, tel un écorché.
Les plans de la Ground Floor House et du pavillon barcelonais dessinés par Mies montrent un trait commun criant : la verticalité des parois infinies s’impose aux visiteurs et découpe l’espace en autant de points de vue et oriente la lumière dans les espaces.
Avant tout un logement
Toutefois, le pavillon de Barcelone est perçu par Mies van der Rohe comme un espace extérieur, même sous la toiture. Le quadrillage intégral de la surface sur ses plans, à l’exception des plans d’eau, en témoigne. Cet espace est donc naturellement ouvert où aucun espace n’est masqué à l’observateur extérieur.
Il ne peut en être ainsi de la Ground Floor House. Faisant partie d’une exposition destinée à montrer au peuple allemand, et au monde, ce que sera le futur du logement, elle se doit de représenter un espace réellement habitable, répondant donc à la plus légitime des aspirations d’un logement : offrir un espace intérieur clos et sécuritaire.
Les murs rideaux de verre ne sont plus traités comme des entités uniques mais comme une ceinture hyaline enveloppant largement l’espace habitable intérieur d’une forme géométrique régulière, constituant le ciment rationnel de l’ensemble, tout en demeurant ouverts à la lumière. Ce grand espace non complètement, rompu par des parois non contiguës, se divise finalement en trois pièces permettant la séparation de pièces d’intimité, dont la chambre qui reste cachée du reste de la maison.
Les seuls meubles du pavillon de Barcelone étaient les iconiques chaises Barcelone dessinées par Ludwig Mies van der Rohe lui-même. Pour rendre habitable la Ground Floor House, Mies va proposer un aménagement complet du logement, proposant des aménagements complets et détaillés qui distinguent clairement l’usage de chaque pièce, qu’il s’agisse de la moindre chaise ou de la composition murale de la cuisine, afin de garder la maîtrise de l’univers visuel du visiteur.
Enfin, Mies Van der Rohe introduit pour la première fois dans ce projet un bloc technique clos en la présence de la salle de bain, située au centre de la chambre. Cet élément architectural trouvera son expression ultime dans une autre réalisation de l’architecte : la Farnsworth house, construite en 1951, où il constitue l’unique aménagement de la villa, participant pleinement à la scénarisation de ce bâtiment.
Un sublime toujours présent
Selon Laroque, la pensée du sublime permet de saisir la qualité d’une œuvre d’architecture. Il est une manifestation du tout par sa vertu d’équilibre. Selon les définitions les plus contemporaines, le sublime va s’exprimer chez l’observateur par des moments de contemplation due à des phénomènes lumineux, spatiaux ou formels, qui sont autant de moyens d’exprimer cette notion insaisissable.
Ce mouvement d’expression d’une émotion recherché chez l’usager par les designers est un héritage de la pédagogie du sensible développée par l’école du Bauhaus que Mies van der Rohe a dirigé entre 1930 et 1933.
Malgré les concessions faites par l’architecte pour rendre habitable l’architecture du pavillon de Barcelone, de nombreux efforts sont faits pour faire de ce bâtiment une ode au moderniste et à son art de vivre. Chaque point de vue intérieur est travaillé et désiré, offrant au visiteur, au spectateur, une nouvelle scène à analyser et comprendre. Ainsi, on y retrouve de nombreux artifices de Mies Van der Rohe issue du pavillon de Barcelone.
« L’ornement est absent dans la maison Mies, et aucun n’est nécessaire. … La beauté essentielle de la maison réside dans le traitement des murs comme des plans et non comme des éléments porteurs. Mies a placé ces plans de telle sorte que l’espace semble s’ouvrir dans toutes les directions, donnant le sentiment d’ouverture qui, peut-être, plus que toute autre chose, est la principale caractéristique de l’architecture moderne ».
Philip Johnson. (1978).
Ainsi, de nombreuses parois offrent de petites continuités de murs ne semblant pas être utiles à la formation de pièce ou à la structure du bâtiment. Elles représentent autant de guides pour le regard, indiquant à l’observateur les meilleurs angles de vue et guider ce que Le Corbusier appelait la promenade architecturale.
Le mur isolé au centre de l’espace à vivre et totalement déconnecté du reste de la structure du bâtiment est un élément architectural type de Mies van der Rohe. Il s’offre en spectacle au visiteur tel un tableau et donne du sens au volume intérieur en créant les espaces et les couloirs. Il définit, avec son tapis, un salon de réception est occupé par un mobilier fait sur mesure par l’architecte lui-même. On sort ici de l’abstraction ou de l’imaginaire pour réellement guider le visiteur dans sa démarche analytique de l’espace en orientant ses angles de vue et sa lecture des volumes.
Point majeur de la mise en scène de Mies van der Rohe, la continuité des volumes et des espaces offerts ici par la non-continuité des murs offre sans cesse de nouveaux espaces changeant de dimensions et offrant toujours plus de nouvelles perspectives. Mies van der Rohe reste ici fidèle à ses dogmes, ne créant pas de seuil brutal ou de rupture, entre les volumes intérieurs ou entre intérieur et extérieur du bâtiment, brouillant les frontières entre l’architecture et la nature. Il dissimule les entrées par un jeu de corridor, laissant au visiteur un temps de repos entre deux espaces, comme pour assimiler la précédente dynamique architecturale et se préparer à la nouvelle qu’il va rencontrer.
C’est là la véritable création de Mies van der Rohe, dans cette ébauche des futures œuvres construites dont la Farnsworth House, inventant un habitat qui se découvre progressivement malgré son apparente nudité.
Bibliographie
– Johnson, P. (1978). Mies van der Rohe (p. 188). New York: Museum of modern art.
– Kim, D. S. ; Kim, I. H. ; Choi, W. J. (2010). A Study on Characteristics of the Court in Mies van der Rohe′ s Hubbe House. Journal of Asian Architecture and Building Engineering, 9(1), 1-8.
– Klee, P. (2003). Mies Van Der Rohe : l’esthétique de la construction et le classicisme industriel. La multiplicité des tendances : les années 1940, 1950 et 1960., 54.
– Laroque, D. (2010). Sublime et architecture: recherche pour une esthétique. Hermann.
– Lizondo Sevilla, L. et al. (2013). La idea materializada en la muestra » Die Wohnung unserer Zeit » de Mies van der Rohe. Proyecto, progreso, arquitectura, 8, 28-41.
– Schulze, F. ; Windhorst, E. (2012). Mies van der Rohe: A critical biography. University of Chicago Press.
– Zimmerman, C. (2006). Mies van der Rohe. Taschen.