Charlotte Perriand – La maison au bord de l’eau

Projet de maison au bord de l’eau (Charlotte Perriand, architecte), encre sur calque cuir, 20 octobre 1934. Projet non réalisé. AChP 34 001.

À l’occasion du concours organisé par la revue « l’architecture d’aujourd’hui », l’architecte et designer Charlotte Perriand réalise en 1934 les plans d’un logement de vacances : « la maison au bord de l’eau ». Ce projet résolument moderne remporte la deuxième place, mais ne sera jamais réalisé, du moins de son vivant. Cette maison minimaliste et modulable, a contribué à faire d’elle une véritable pionnière de l’architecture préfabriquée de loisirs. 

Initialement destinée à une classe relativement populaire, elle sera par la suite déclinée en « maison de week-end », une version plus confortable, pour une population plus aisée. C’est finalement cette version, légèrement différente des plans originaux du concours, qui sera montée par Louis Vuitton, pour la première fois en 2013, à l’occasion de la design Miami fair puis, plus récemment, à la fondation Louis Vuitton de Paris, en 2019, à l’occasion d’une exposition qui lui est consacré : le monde nouveau de Charlotte Perriand

La maison au bord de l’eau (reproduction), design Miami fair, Miami, 2013. Récupéré de : https://www.designboom.com/design/charlotte-perriands-la-maison-au-bord-de-leau-is-a-louis-vuitton-tribute-12-14-2013/
La maison au bord de l’eau (reproduction), exposition « le monde nouveau de Charlotte Perriand », Fondation Louis Vuitton, Paris, 2019
Récupéré de : https://www.flickr.com/photos/erichudson/49541688401

Le dessin original présenté pour le concours est une composition de sept dessins d’architecture : trois façades, trois coupes, et une axonométrie. Ils sont organisés de manière tout à fait remarquable puisqu’ils semblent liés entre eux par de fins traits de crayons, qui évoquent les éléments de la nature. 

Un intérêt marqué pour l’homme et la nature

« L’Ambiance de notre habitat doit nous procurer le calme, la détente, l’harmonie. Il y a communion de nôtre être avec le milieu et, en retour, répercussion de celui-ci en nous-mêmes. Notre milieu évoluera en même temps que nous, tout comme nous évoluons au cours des étapes de notre vie, son expression n’est pas fixe mais en perpétuel développement. »

« Art d’habiter », Technique et architecture, n° 9-10, août 1950 (Récupéré de : Perriand, Charlotte. Charlotte Perriand. FAGE, 2018.)

Sur ces plans, Charlotte Perriand représente distinctement les arbres, les rochers, les arbustes, l’herbe et l’eau. On peut également relever la présence d’un canot qui suggère très clairement non seulement la présence d’eau autour de cette maison, mais également l’aspect de loisirs naturellement associé à ce projet. Elle intègre également dans ses dessins la représentation des matériaux qu’elle utilise : le bois des murs et du sol de la terrasse ainsi que la pierre des pilotis, avec une certaine irrégularité qui laisse entendre un état primitif. Son intérêt pour la lumière est quant à lui révélé par de fins traits de crayons qui représentent des rayons du soleil à travers l’ouverture d’une des grandes fenêtres qui donnent sur la terrasse.

Cette terrasse centrale agit d’ailleurs comme pièce maitresse du projet, un véritable lieu de vie qui favorise à la fois la contemplation de la nature, mais également la circulation et la porosité des espaces. Cette porosité est également incarnée par les nombreuses ouvertures : chaque espace possède en effet une double orientation vers le paysage : d’un côté la terrasse, de l’autre la nature environnante. La fluidité entre l’intérieur et l’extérieur est ainsi favorisée, tout en conservant une certaine intimité pour les occupants de cette maison. 

Perriand réfléchit avant tout pour l’homme, elle conçoit du mobilier et des habitations en tenant compte de la place qu’il aura dans son espace, de ses déplacements, mais aussi du regard qu’il lui sera donné de porter. Elle s’intéresse à la vie qui habitera les lieux qu’elle conçoit. Ce souci se lit dans ses dessins puisqu’on y retrouve non seulement des représentations humaines en tant que telles, mais également des indices de présence humaine : douche en fonction, mais aussi représentations d’éléments de la vie quotidienne comme une bouteille posée sur une table par exemple. L’absence de plans de sols peut également s’expliquer par la froideur de ce type de représentation architecturale domestique qui exclut totalement et systématiquement l’homme destiné à habiter les lieux. 

« Pour moi le sujet c’est l’homme, ce n’est pas l’objet » – Charlotte Perriand

BARSAC, Jacques, Charlotte Perriand : un art d’habiter, 1903-1959, Paris, Norma, 2005, 512 p. 

Un projet moderne et fonctionnel

Associée à Le Corbusier pendant près de 10 ans en tant que responsable du mobilier et de l’équipement, Charlotte Perriand a naturellement été influencée par cet architecte moderne. On retrouve d’ailleurs dans les plans de la « maison au bord de l’eau » des points clés de ses théories architecturales, notamment la présence de pilotis. Ce dispositif permet à la fois de s’adapter à tous les terrains – élément essentiel pour une maison préfabriquée et modulable – mais permet également de laisser de l’espace pour un véhicule sous la maison. 

L’organisation de cette « maison au bord de l’eau » se veut simple et minimale. Il s’agit d’une structure légère, démontable et modulable dans laquelle deux volumes se font face : l’espace nuit d’un côté, et l’espace jour de l’autre. C’est une maison de plein pied qui prône une de-hiérarchisation des espaces, notamment par l’ouverture des espaces, qui se révèle d’une grande modernité. L’intérieur dicte ici la forme dans la contrainte d’un espace minimum. Pour ce projet, tout est donc question d’économie : de place, mais également de matériaux, en éliminant tout ce qui n’est pas nécessaire. Cette pionnière engagée souhaitait plus que tout apporter les avancées de la modernité au plus grand nombre, en leur apportant des solutions confortables et abordables. 

Ce projet en lui-même est donc l’incarnation de son engagement politique, elle qui luttait pour la reconnaissance des congés payés qui ne seront généralisés qu’en 1936. Elle considère que l’organisation des loisirs est un des problèmes les plus urgents, dans un contexte social, économique et politique en pleine évolution. Avec la « maison au bord de l’eau », elle propose un projet innovant et en phase avec les besoins de son époque, ce qui contribuera à faire d’elle une figure majeure du XXe siècle. 

Maison au bord de l’eau, 1934, perspective de la terrasse, encre de chine rehaussée de couleurs sur calque. Archives Charlotte Perriand. 

L’oeil de Charlotte Perriand

Il est intéressant de voir à quel point un projet peut incarner l’esprit d’un.e architecte, comment ses traits de crayons et ses choix de représentations expriment ses intérêts et ses valeurs. L’étude des dessins pour le projet de « la maison au bord de l’eau » nous aura permis de voir à travers l’œil de Charlotte Perriand la visionnaire, la femme libre, la novatrice. 

Elle reste avant tout attachée à des principes simples : l’économie de moyens, la rationalité de la forme et de l’espace, l’utilisation de matériaux simples, mais aussi l’amour de la nature. Ces mêmes principes guideront la pratique de cette designer et architecte tout au long de sa carrière. Elle y resta fidèle pour d’autres projets d’architecture de loisirs, notamment la station des Arcs à la fin des années 1960, qui a largement contribué à sa notoriété. 

La maison au bord de l’eau (reproduction), design Miami fair, Miami, 2013. Récupéré de : https://www.designboom.com/design/charlotte-perriands-la-maison-au-bord-de-leau-is-a-louis-vuitton-tribute-12-14-2013/

BIBLIOGRAPHIE

BARSAC, Jacques, Charlotte Perriand : un art d’habiter, 1903-1959, Paris, Norma, 2005, 512 p. 

Collectif. Le monde nouveau de Charlotte Perriand : à la fondation Louis Vuitton. (Catalogue d’exposition), BEAUX ARTS ED, 2019. 81p 

PERRIAND, Charlotte. Projet de Maison Au Bord de l’eau. p. 1, https://jstor.org/stable/community.16515523.

PERRIAND, Charlotte. Charlotte Perriand un art de vivre : Musée des Arts Décoratifs du 5 février au 1er avril 1985. Musée des Arts Décoratifs, Flammarion, 1985.

PERRIAND, Charlotte. Charlotte Perriand. FAGE, 2018.

VATTANO, Starlight. « The Minimum House Designs of Pioneer Modernists Eileen Gray and Charlotte Perriand ». ATHENS JOURNAL OF ARCHITECTURE, vol. 2, no 2, 2016, p. 151. Crossref, https://doi.org/10.30958/aja.2-2-4.

« Pourquoi Charlotte Perriand est-elle toujours la référence ? » France Culture, 5 octobre 2021, www.franceculture.fr/emissions/sans-oser-le-demander/pourquoi-charlotte-perriand-est-elle-toujours-la-reference.

One thought on “Charlotte Perriand – La maison au bord de l’eau

  1. David Kalumba

    Bonjour Julie,

    J’aime beaucoup la manière dont tu approché et l’analysé de ton sujet, tu as su relever les points importants nous faire notamment part des éléments qui sont marquants dans ce projet tels que les et tu as su mettre en évidence tous les détails qui semblaient être utiles à la compréhension de la conception de cet habitat de vacances.

    La seule chose qui manque dans ton commentaire selon moi, c’est la définition de certains termes que tu as utilisé, comme l’axonométrie qui est revenu a plusieurs reprises. Et j’aurais également aimé que tu parles un peu plus de l’intérieur, ça aurait été intéressant. Sinon en dehors de ça; je félicite ta présentation qui est comme je l’ai surement mentionnée, complète et très bien faite. Bravo!

    Comme autre ressources bibliographiques, je pourrais te proposer cet article court mais qui possède des petites informations assez interessantes:
    https://www.lemonde.fr/m-styles/article/2019/11/20/charlotte-perriand-la-liberte-en-mouvements_6019887_4497319.html

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