La Glass House fut le premier projet architectural de Lina Bo Bardi et a été construite en 1951 comme résidence permanente pour elle et son mari, Pietro Maria Bardi. La résidence est située dans la région de Morumbi à Sao Paulo, et est posée sur la forêt tropicale, la mata Atlantica, avec sa faune et sa flore denses et exubérantes. Ce projet architectural est un des plus intéressants de l’architecture moderne puisqu’il représente exactement chaque aspect de la vie de son architecte, Lina Bo Bardi. Avec ce texte, je souhaite montrer, à partir de l’esquisse préliminaire et du plan architectural, que la maison est une représentation architecturale de tous les aspects de la vie de l’architecte, en passant par l’aspect social, l’aspect professionnel et l’aspect sociologique.
Commençons donc par l’analyse de l’esquisse préparatoire. La photo choisie est un dessin d’une perspective de l’intérieur de la maison, plus précisément de l’air commune. Le dessin a principalement été fait à l’encre noire et avec des accents de bleu au crayon de bois. L’esquisse nous permet de voir le style artistique de l’architecte qui comporte des formes plus abstraites et des lignes plus ludiques et sinueuses, qu’on peut comparer aux esquisses de Le Corbusier. Ce dessin représente bien l’essence du bâtiment et de l’architecte puisqu’il montre plusieurs caractéristiques importantes de l’espace. On voit premièrement, en avant-plan, des figures humaines assises en groupe autour de l’escalier principal qui donne sur le salon et qu’on peut observer dans l’élévation au-dessus. Les figures sont dessinées de façon abstraite, qui rappelle des traits sur les portraits de Picasso et de Matisse. Ce groupe de personnes représente bien le caractère social de Lina Bo Bardi et de son mari puisque le couple utilisait la maison comme lieu de rencontre social et professionnel. D’où la seconde caractéristique qu’on remarque dans le dessin : la grandeur de l’espace commun. On voit ici un plan qui est très ouvert, où l’air commune prend une bonne partie de l’espace de la résidence, soulignant une façon de vivre qui priorise la vie sociale à la vie privée. Et si on regarde le plan plus bas, on remarque que les espaces plus privés, comme la salle à manger, la cuisine et les chambres, sont séparés de l’air commune par une série de murs. On comprend aussi que les espaces de jour et de nuit sont séparés et que les espaces de jour sont majoritairement visibles de l’extérieur. On voit ensuite les piliers qui sont répartis à travers la maison. Les piliers ont été dessinés par des traits très fins, ce qui illustrent qu’ils ne prennent pas beaucoup d’espace visuellement et physiquement et qu’ils ne cachent pas la vue et ne sont pas encombrants.
Pietro Maria Bardi était un homme important dans le milieu des Beaux-Arts puisqu’il était un marchand d’art réputé. Il était donc entouré d’architectes importants de l’époque, dont Le Corbusier, qui a eu une grande influence sur Lina Bo Bardi. C’est pourquoi la structure de la maison a été construite avec le principe du «Dom-Ino», qui a été inventé par Le Corbusier, et qui consiste à des supports filiformes contenus entre deux dalles de béton, avec de minces pilotis corbusiens qui sont en retrait du périmètre pour permettre à la façade d’être libre de charge, et ce qui permet d’avoir une enveloppe de fenêtres de verre.
Nous pouvons ensuite constater l’exposition d’objets d’art, comme un tableau et une statue, que Pietro Maria Bardi avait accumulé au fil du temps. Il possédait ainsi une énorme collection d’œuvres d’art, et Lina Bo Bardi a aménagé la maison en fonction de leur amour pour l’art. Les œuvres étaient alors réparties à travers la maison et entouraient les résidents.
Avant de rencontrer son mari, Lina Bo Bardi devient l’une des 10 femmes à recevoir un diplôme de l’Université de Rome en 1940 et gagne de l’expérience dans différents domaines, comme l’ameublement, la mode, les articles ménagers, l’architecture et l’urbanisme, en travaillant pour dans l’atelier de Gio Ponti. C’est avec ces connaissances qu’elle pourra ensuite agencer parfaitement le mobilier de la maison puisqu’elle va concevoir le mobilier tubulaire qu’on peut voir sur la photo du salon ci-dessous.
Esther da Costa Meyer, une professeure ayant obtenue son doctorat en histoire de l’art à l’université de Yale, explique bien la façon dont le couple a aménagé la résidence et à quel point ils se démarquaient par l’esthétique de leur aménagement : « When filled with the couple’s huge art collection, the interior acquired a “lived-in” quality that differs markedly from the lapidary elegance of Mies’s minimalist approach, or the more tolerant interiors of Le Corbusier, with their eclectic mixture of art and mass-produced objects. » Un élément marquant du dessin est la statue qui semble suspendue au plafond. Cet élément peut être interprété comme une volonté de montrer que l’art était tant présent dans la maison qu’il entourait les habitants même jusqu’au plafond.
Le prochain aspect qu’on remarque en regardant le dessin est la présence de la nature. Tous les éléments qui font partie de l’extérieur sont colorés en bleu pâle, sûrement pour assurer une lecture du dessin appropriée et ne pas mélanger ce qui fait partie de l’intérieur et de l’extérieur. Il y a donc deux sections où il est possible de voir la nature extérieure, le mur de verre qui s’étend tout au long de la façade du bâtiment, puis le cube fait de panneaux de verre qui se trouve au fond de la pièce. Le mur, fait de panneaux de verre, est complètement transparent et offre une vue panoramique ininterrompue de la nature. Le cube de verre, lui, nous laisse voir un grand arbre mature qui s’insère dans le bâtiment et qui était présent avant la construction de la maison. Lina Bo Bardi était une environnementaliste bien avant que le terme existe, elle avait conçu la maison pour éviter de couper l’arbre majestueux qui était au milieu du terrain et elle avait fait replater la végétation qui avait été défrichée pour construire la route. Ces éléments nous donnent l’impression que l’intérieur de la maison est rempli de lumière et qu’il n’y a aucun espace dans l’ombre. On peut voir les panneaux de verre comme une peinture d’arrière-plan, comme si la nature devenait une gigantesque toile qui couvrait toute la façade de la maison. Dans les années 50, la végétation n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui, on arrivait à voir la ville depuis le salon de la maison. Aujourd’hui, on ne voit qu’un panorama de la densité de la végétation, comme un belvédère installé en pleine forêt tropicale.
Terminons avec une courte analyse de deux éléments qui n’étaient pas visibles dans l’esquisse mais qui sont très importants dans la conception de l’espace et qu’on peut voir dans le plan ci-dessous. Lina Bo Bardi, étant une femme architecte dans les années 50, avait une conception de la cuisine et des espaces ménagers très différente de celle des hommes architectes de son temps. C’est pourquoi elle a repensé la cuisine en y ajoutant plein de dispositifs permettant de gagner du temps, comme une poubelle, des machines à repasser, des tables pliantes et des planches à repasser pliantes, ce qui était inhabituel à l’époque.
L’autre aspect important est sa vision du personnel domestique. En tant que femme immigrante au Brésil, elle accorde un espace repensé pour les domestiques. Bien que le couple possède toujours des domestiques, Lina Bo Bardi s’efforce de leur donner un environnement agréable et propre à eux. Conçue comme une passerelle entre les espaces principaux et les quartiers des domestiques, il y a la cuisine, qui est remplie de soleil et de couleurs vives pour rappeler la nature, la décoration avait été choisie pour rendre l’endroit agréable même s’il allait être utilisé par les domestiques. À l’extrémité droite de la cuisine, on aperçoit la résidence des domestiques, qui donne sur le jardin intérieur. Les domestiques recevaient donc leur propre appartement avec des chambres, un salon et une grande véranda. Il faut dire que cet aménagement était bien mieux que la norme.
Aujourd’hui, la maison est le lieu du siège social de Instituto Bardi / Casa de Vidro, une association à but non lucratif qui a été fondée en 1990 par Lina Bo Bardi et qui a pour but de perpétuer le travail de Lina Bo Bardi et de Pietro Maria Bardi. Lina Bo Bardi n’y habite plus mais les aspects forts de sa vie restent ancrés à jamais dans ce monument historique national, symbole important de l’architecture moderne.
Bibliographie
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COMAS, Carlos Eduardo, «Lina Bo Bardi», Journal of Architectural Education 69, no. 1, 2015. En ligne. <https://www-tandfonline-com.proxy.bibliotheques.uqam.ca/doi/pdf/10.1080/10464883.2015.989057?needAccess=true>. Consulté le 2 mars 2022.
MEHRTENS, Cristina, «Lina Bo Bardi», Planning Perspectives 31, no. 3, 2016. En ligne. <https://www-tandfonline-com.proxy.bibliotheques.uqam.ca/doi/pdf/10.1080/02665433.2016.1166587?needAccess=true>. Consulté le 2 mars 2022.
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Meyer, Esther da Costa, «Harvard Design Magazine : After the Flood», dans Back Issues, 2002. En ligne. <http://www.harvarddesignmagazine.org/issues/16/after-the-flood>. Consulté le 2 mars 2022.
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Pour commencer, tu me sembles avoir très bien compris l’essence du projet de la maison de vitre de Lina Bo Bardi que ce soit par la manière dont tu décris le contexte de construction ou par les analogies créées. Je trouve ta description des propriétaires intéressante et concise, en particulier lorsque tu expliques leur relation avec le monde des arts. Cependant, j’aurais aimé que ton texte m’informe que les propriétaires n’étaient pas originaires du Brésil, mais bien italiens. Cette information peut être intéressante quant au choix de la destination pour la construction d’une maison aussi majestueuse. La destination pourrait aussi avoir influencé la baie vitrée et la grande aire ouverte observable dans le dessin de perspective choisi. De plus, le rapprochement entre les dessins de Picasso et de Matisse au dessin de perspective sélectionné est, à mon avis, excellent. Cependant, je me suis questionnée s’il y avait des dessins précis de ces deux artistes qui avaient plus attiré ton attention. Je me permettrais même d’ajouter à cette comparaison certains sketchs de Claude Monet tels que celui de la gare Saint-Lazare. Comme celui sélectionné, les lignes sont très fluides, disparates et libres. Cependant, les dessins de Monet ont tendance à être plus détaillés et dans une ambiance presque bordéliques. Pour finir, j’apprécie le fait que tu aies abordé tous les éléments visuels du dessin tels que ceux qui ont attiré le plus mon attention, l’arbre en plein milieu de la maison et les œuvres d’art éparpillés. Afin d’approfondir ta réflexion pour le travail final, je te suggère de consulter l’article « HBIM Development of A Brazilian Modern Architecture Icon :Glass House by Lina Bo Bardi » (disponible via Sofia) et l’article « Built Transparency » de Sandra Hofmeister (disponible : https://web-s-ebscohost-com.proxy.bibliotheques.uqam.ca/ehost/detail/detail?vid=3&sid=858b07c5-a0a6-4d35-80f7-5dc2f9addb88%40redis&bdata=Jmxhbmc9ZnImc2l0ZT1laG9zdC1saXZl#db=asu&AN=103740828 )