En tant que théoricien du mouvement De Stijl, van Doesburg jette les bases d’une nouvelle architecture.
Le dessin autour duquel se concentre ce travail de recherche est contra-construction par Theo van Doesburg et l’architecte néerlandais Cornelis van Eesteren, réalisé en 1923. Ce dessin à la gouache est un des exemples les plus parlant de la façon dont le mouvement De Stijl s’est traduit dans l’architecture. Ce mouvement artistique né aux Pays-Bas est fondé sur le travail commun et la collaboration des peintres, des sculpteurs, des architectes et des designers de l’époque. Il allie le pragmatisme de l’architecture et la métaphysique propre aux beaux-arts. Le projet Contra-Construction fait le pont entre les pratiques du peintre et de l’architecte en utilisant les principes du mouvement De Stijl sur la forme et la couleur et en les traduisant dans un langage architectural.
Le travail architectural de van Doesburg est essentiellement théorique. S’il a produit un certain nombre d’œuvres picturales dans sa carrière, c’est à travers son traité Towards Plastic Architecture que sa théorie architecturale prend réellement forme. Dans ce traité en 16 points, Theo van Doesburg énonce sa vision de l’architecture nouvelle dont le dessin contra-construction est l’exemple.
Parmi ces 16 points de l’architecture plastique, certains sont en accord avec des principes élaborés par d’autres architectes de l’époque. Par exemple, le point 9 fait mention des murs intérieurs qui sont remplacés par des pans mobiles, permettant de développer un espace modulable selon les besoins. Cette facette de l’aménagement intérieur répond entre autres aux théories néoplasticistes voulant que l’intérieur et l’extérieur se rencontrent dans un dynamisme équilibré. D’autres points de son manifeste se placent, quant à eux, en opposition avec certaines pratiques de l’architecture moderne. Le point 12 rejette la symétrie et la standardisation de l’habitat. Cette dernière pratique était particulièrement appréciée de Le Corbusier, qui a construit ses nombreux habitats à partir du Modulor, un modèle humanoïde permettant de mieux adapter les intérieurs à l’homme et, par le fait même, de faciliter leur standardisation et leur production.
De la couleur
Dans le mouvement De Stijl, la couleur a un aspect qui va au-delà de l’esthétisme. Le point 14 du manifeste architectural de van Doesburg évoque explicitement la couleur comme un moyen d’exprimer les relations entre les éléments dans l’espace et dans le temps. Sans la couleur, ces relations n’existent pas.
Dans l’architecture De Stijl, la couleur n’a pas de valeur ornementale ou décorative. Elle fait partie de la structure de la construction tout comme un mur ou une porte. (Baljeu, 1974)
L’importance de la couleur prend forme avant même la réalisation d’un projet dans le mouvement De Stijl. Dès les premières esquisses, elle est réfléchie jusque dans la teinte du support sur lequel est fait le dessin. De ce fait, si un bâtiment est dessiné sur un papier blanc, il se doit d’être construit à partir d’un matériau blanc. De plus, comme la couleur est vue comme un matériau en soi, elle dictera la disposition des autres éléments dans la structure finale du bâtiment. (Troy, 1983)
De l’utopie
La vision architecturale et artistique de Theo van Doesburg relève, somme toute, de l’utopie. Ses ambitions pour le mouvement De Stijl dépassent les limites de l’art et de l’architecture pour se projeter dans la société de l’époque qui était déjà en effervescence. Bien que van Doesburg ne se soit pas associé à un mouvement politique en particulier, ses théories esthétiques n’en étaient pas moins critiques des régimes en place, faisant le lien entre l’art et la société. Par exemple, il affirme que l’individualisme de la société est équivalent au lyrisme de l’art. Il doit donc être rejeté pour être remplacé par quelque chose de plus universel. Cette position sur l’état de la société se manifeste par l’abandon dans l’architecture et dans l’art de l’ornementation traditionnelle et de l’utilisation des lignes courbes qui sont, selon lui, trop émotives. (Kramer, 2006)
La vision universaliste de Theo van Doesburg peut donc être étendue au-delà des limites de l’habitat individuel et s’appliquer à une ensemble bien plus grand. Selon lui, les principes s’appliquant à l’architecture domestique peuvent et doivent s’appliquer à l’échelle d’un îlot, d’un quartier, voire d’une ville entière. (Baljeu, 1974)
L’utopie inhérente à l’architecture De Stijl fait en sorte qu’elle a très rarement été appliquée dans la réalité. En effet, s’il existe des manifestations «pures» des théories architecturales de Theo van Doesburg, elles sont très rares. Plusieurs architectes ont conçu des bâtiments alors qu’ils étaient associés au mouvement artistique, mais ces constructions ne correspondaient pas aux concepts établis par van Doesburg. La maison Schröder par l’architecte Rietveld est un de ces rares exemples. Située à Utrecht, aux Pays-Bas, elle a longtemps été considérée comme la seule maison De Stijl. (Overy, 1991)
En regard de ce qui a été mentionné dans cet essai sur le projet Contra-construction et sur l’architecture De Stijl, il serait intéressant de pousser les recherches plus loin quant aux raisons qui pourraient expliquer le manque d’exemples d’architecture De Stijl. Serait-ce dû à une trop grande intellectualisation du mouvement? Peut-on supposer que Theo van Doesburg, en tant que porte-étendard et théoricien du mouvement De Stijl, a établi des standards et des normes qui relevaient d’une trop grande utopie pour être appliqués?
Dans tous les cas, les quelques exemples qui existent nous permettent de reconnaître toute l’importance et la magnitude de ses théories. Celles-ci vont même au-delà des théories architecturales et artistiques. Quand Theo van Doesburg parle d’une architecture en quatre dimensions et traite de l’espace-temps, l’art se rapproche soudainement du monde de la physique. Albert Einstein a en effet élaboré sa théorie de la relativité en 1905. Cette influence des avancées scientifiques se fait très présente dans les écrits de van Doesburg. et mériterait d’être approfondie dans des recherches ultérieures, si ce n’est déjà fait.
Bibliographie
Baljeu, J. et Doesburg, T. van. (1974). Theo van Doesburg (1st American ed.). Macmillan.
Bois, Y.-A. (1987). Mondrian and the Theory of Architecture. Assemblage, (4), 102‑130.
Boudon, P. (1992). L’objet//l’écran. Étude d’un schème dans les arts plastiques : l’axonométrie (note de recherche). Anthropologie et Sociétés, 16(1), 73. https://doi.org/10.7202/015200ar
H.Barr, Jr, A. (1952). De Stijl. The Bulletin of the Museum of Modern Art, 20(2), 6‑13.
Kramer, H. (2011). Abstraction and Utopia. Now & Then.
Museum of Modern Art. (s. d.). Theo van Doesburg, Cornelis van Eesteren. Contra-Construction Project (Axonometric). 1923 | MoMA. The Museum of Modern Art. https://www.moma.org/collection/works/232
Overy, P. (1991). De Stijl. Thames and Hudson.
Straaten, E. J. van, Brimont, B. de et Sautier-Greening, A. (1993). Theo Van Doesburg, peintre et architecte. Gallimard/Electa.
Troy, N. J. (1983). The De Stijl environment. MIT Press.
J’ai apprécié l’analyse fait du dessin sorti de tout contexte, laissant place à la déconstruction de la structure et à l’interprétation de celui qui la regarde. L’analyse de l’axonométrie fait un bon survole du projet de Théo van Doesburg et du courant artistique qu’est le De Stijl.
Une source qui pourrait être complémentaire à ce texte de recherche, est le livre de Joost Baljeu, Théo van Doesburg. Comme le titre le mentionne cet ouvrage nous permet un survol sur la vie de l’artiste. La lecture de ce document permet de comprendre le cheminement intellectuel de l’homme, comment le contexte dans lequel il a évolué l’a mené vers le De Stijl. Ce livre nous détail aussi comment il conçoit la théorie de l’architecture en quatre dimensions et comment il l’applique à sa vision déconstructiviste de l’architecture. De plus, dans l’analyse faite du plan, le sujet de la relation entre van Doesburg et le Bauhaus a été effleuré. Afin d’approfondir ce thème, le livre de Joost Baljeu peut aussi être une source pour débuter les recherches à ce sujet puisqu’un chapitre complet y est dédié. Cette section du livre met en lumière l’évolution des rapports entre le De Stijl de van Doesburg et l’école du Bauhaus de Gropius.
D’autre part, il est vrai que la lecture de ce dessin n’est pas simple à analyser. Dans un article de John G. Hatch, Some Adaptations of Relativity in the 1920s and the Birth of Abstract Architecture, on y retrouve des citations de Théo Van Doesburg qui peuvent nous lancer sur des pistes de sa réflexion lors de la création de ces plans éclatés. On y comprend aussi à quel point l’architecte était lui-même vague dans ses descriptions et qu’il n’a pas laissé énormément d’information quant à la possibilité de comprendre la complexité de sa pensée. Cet article nous montre aussi comment Van Doesburg perçoit l’architecture dans son entièreté puisqu’il affirme que l’extérieur se définit par l’intérieur. Ce principe de la forme suivant la fonction peut nous aider à concevoir plus clairement la vision de l’architecte facilitant ainsi, la lecture de ce dessin. En effet, il ne faudrait pas le percevoir comme le dessin de la structure final, mais plutôt comme une esquisse de l’organisation de l’espace intérieur. L’éclatement de la structure, représenté par les couleurs et les formes, ordonne la gestion des pièces et de leur fonctionnalité.
Sources complètes:
John G. Hatch. “Some Adaptations of Relativity in the 1920s and the Birth of Abstract Architecture.” Nexus Network Journal 12, no. 1 (2010): 131–47. https://doi.org/10.1007/s00004-010-0024-6.
Baljeu, Joost. Theo Van Doesburg. New York: Macmillan, 1974.
En général, le texte interprète très bien le dessin en expliquant brièvement chaque composante visuelle qu’on peut y observer. Cependant, « il peut devenir difficile de bien s’imaginer la configuration de cette maison » est un point qui n’est pas exact. Effectivement, les dessins techniques du type axonométrique sont censés d’avoir une bonne représentation de l’échelle et des dimensions d’un objet, mais ces dessins sont aussi susceptibles à être déformé dépendamment des angles qui sont utilisés. Il est aussi important à garder en considération le style du dessin et pour quelle situation/mouvement elle a été créer. En effet, le mouvement De Stijl oui est un mouvement qui est logique du point de vue qu’elle veut fusionner les formes avec les fonctions, ainsi par son usage de la géométrie stratégique qui lui donne cette illusion. Par contre, il est aussi essentiel à retenir que le mouvement représente en soi-même l’abstrait. Les grands artistes du mouvement tel que van Doesburg et Mondrian cherchent à se séparer de la réalité actuelle et c’est pour cela que le dessin n’est pas lisible d’un point de vue architectural.
Il aura de plus été intéressant d’avoir des éléments plus approfondis dans le texte. Par exemple une analyse plus profonde sur l’usage des couleurs dans le dessin. Le mouvement De Stijl croit énormément dans le pouvoir des couleurs et garde les couleurs primaires parmi les principes de base de leur langage technique. Il aurait alors été intéressant de voir si le dessinateur avait caché un langage codé dans son utilisation des couleurs. Il est évident que leur application n’est pas égale ce qui nous pose la question : pourquoi certaines couleurs ont une plus grande présence dans le dessin? Est-ce qu’on présume qu’elles ont une plus grande importance? Est-ce que ceux-ci ont une signification plus profonde? Ou est-ce que cela était tout simplement un choix esthétique de l’artiste?
Source pertinente :
Barcio, P. (2017). Colors of De Stijl Artists at Kunsthal Kade. https://www.ideelart.com/magazine/de-stijl-artists
Laroche, D. (s.d.) Dessins d’architecture (par type). https://www.didierlaroche.org/dessins-d-architecture-par-type#:~:text=L'axonom%C3%A9trie%20est%20une%20repr%C3%A9sentation,’observateur%20%C3%A0%20l’objet.
Maingon, C. (2020). De Stijl en 2 minutes. https://www.beauxarts.com/encyclo/de-stijl-en-2-minutes/#:~:text=Fond%C3%A9%20aux%20Pays%2DBas%2C%20il,la%20peinture%20%C3%A0%20l'architecture%20!