Parmi une série de registres de la ville de New York en changement de Berenice Abott, se trouve celui choisi comme objet de ce travail. La photographie, probablement prise dans l’insersection entre la 51th Street et la Rockefeller Plaza, donne accès à une vision partielle de la façade Nord-Est du bâtiment, lequel a été conçu peu après l’insuccès de John D. Rockefeller Jr., dû à la Grande Crise de 1929, de faire ériger la Metropolitan Opera. Le financier, en collaboration avec les chargés de développement Robertson & Todd, prend, donc, la décision de faire bâtir un complexe d’édifices dédié au commerce, aux bureaux et au divertissement, ce qui deviendra le Centre Rockefeller. Pour cela, une équipe nommée Associated Architects est recrutée, celle-ci compte sur l’expertise de Raymond Hood, architecte principal et responsable de la conception de l’édifice originalement connu comme RCA, lequel commence à être construit en 1931¹.

En analysant les composants de l’image en question, il est possible d’observer, en premier plan, un édifice en construction. Selon l’hypothèse lancée par l’autrice de ce travail, c’est l’International Building, situé sur la 45 Rockefeller Plaza. D’abord, une ossature métallique occupe plus d’un tiers de la photographie. Sa portion inférieure se compose d’une zone sombre, dense et un peu granulée, où l’on voit quatre étages d’une fondation en acier. Elle est suivie d’une région plus dégagée, ayant une plateforme reflétant la lumière du soleil et conférant plus de légèreté à la portion supérieure de la structure. L’éclairage proportionne également un contraste entre le métal, l’édifice RCA et des dizaines d’éléments minuscules sur les poutres. Il s’agit des ouvriers qui s’équilibrent sur les structures et qui ne sont que des présences dérisoires, comparativement au majestueux édifice RCA, centralisé et occupant la quasi-totalité du plan en arrière. La richesse de détails de la photographie de Abbott, permettant d’avoir une expérience immersive, a été possible dû à l’utilisation de la caméra Century Universal et à un travail minutieux de préparation de l’image, favorisé grâce à la technologie de prévisualisation sur un verre à l’arrière de l’appareil ².
« Detail and texture are the hallmarks of Abbott’s pictures. Whether her subject was a towering skyscraper, a brimming shop front, or a doomed tenement building, Abbott emphasized these qualities. […] Such detail invites viewers to linger on the image, with their eyes scanning for incidental elements that may be interesting, poignant, or just amusing to discover. »
Shimizu et TeGrotenhuis, 2009, p.51-52.
Le contraste de ce registre en noir et blanc, fait potentiellement durant l’automne ou le printemps, saisons de prédilection de Abbott pour obtenir le résultat voulu de son travail dû à la pureté dans l’air et au soleil éclatant ³, permet de bien définir les reculs de la façade en escalier de l’édifice RCA, ainsi que l’effet rayé⁴ des lignes verticales se prolongeant vers le ciel. La verticalité, renforcée par les panneaux en aluminium des 5817 fenêtres, souligne la hauteur de l’édifice de 66 étages.
Pour répondre à la demande des agents de développement d’avoir un bâtiment rentable et fonctionnel, ayant des bureaux aérés et lumineux, l’équipe d’architectes décide de regrouper les ascenseurs de grande vitesse, formant un long couloir central et de les entourer de bureaux ayant une profondeur de 27 ½ pieds tout au long du périmètre. Le résultat final d’une façade en rétrécissement est possible, car Hood enlève graduellement la masse périphérique du bâtiment lorsque les ascenseurs sont supprimés du plan, passant de 42 au rez-de-chaussée à uniquement 10 au 53e étage, conférant un aspect romantique à l’édifice⁵.
Pourtant, le bâtiment est perçu différemment en fonction du point de vue. Sa tour principale se trouve dans le côté Est, devant la Rockefeller Plaza et, en se plaçant entre les édifices La Maison Française et The British Building pour l’observer, l’absence de masse causée par la place confère une élévation sans que la tour soit mise sur un piédestal ⁶. L’édifice obtient, donc, le statut de monument. Certes, l’effet dramatique s’optimise avec les reculs très visibles de l’enveloppe architectural. Les deux façades latérales Sud et Nord, s’étendent largement de façon identique et, observées frontalement, on ne voit que deux masses solides ayant les reculs beaucoup moins évidents. Le côté Ouest est très différent, plus petit comparativement au restant de la bâtisse, ne pas surchargeant la tour de son rôle central et en étant suffisamment élevée pour cacher le jardin construit sur la base ⁷.

Source: https://paulpiazzaarchitect.com/home/wp-content/uploads/30Rock_0022_BW.jpg

Un regard soigneux de la façade dans la photographie de Abbott nous amène aussi à voir des sinuosités dans la finition de la toiture. Il s’agit de grappes de feuilles, de style Art Nouveau, ornant les crêtes en aluminium et capturant l’organicité proposée par Henry Van de Velde et Victor Horta. Un autre élément important concernant la façade de l’édifice RCA est son caractère épuré, ayant un revêtement en pierre calcaire grise. Tel matériau, déjà familier à Hood, qui l’a utilisé lors de l’élaboration de l’édifice Chicago Tribune ⁸, dicte le traitement extérieur de tous les édifices du complexe Rockefeller ⁹ . En voulant illustrer le défi derrière l’exercice de définir l’enveloppe de la bâtisse, Koolhaas¹⁰ parle des arrangements entre le capital et l’art ou entre agent de développement versus architecte.
« When Todd, for instance, balks at the cost of cladding the entire RCA slab in limestone, Hood retaliates by suggesting they cover it with corrugated iron, “painted, of course”. Todd wants limestone after all. »
Rem Koolhaas, 1994, p.195.
Pour arriver à mieux saisir la base de l’édifice RCA, omise dans la photographie de Abbott, nous allons analyser brièvement le plan architectural du rez-de-chaussée sur une coupe horizontale. Initialement, l’accès Est du bâtiment se fait par les six portes pivotantes et deux portes à deux battants. À côté de l’ensemble de portes, on voit deux escaliers, lesquels donnent accès à la mezzanine et au Sous-sol. Ensuite, les 42 ascenseurs précédemment mentionnés dans le texte composent une séquence de six rangées alignées, nous faisant comprendre à peu près la délimitation spatiale de la tour de l’édifice. Deux axes centraux donnent accès au côté Ouest de la bâtisse, ainsi qu’à l’entrée Sud et à l’entrée Nord, lesquelles sont centralisées et disposent de deux portes pivotantes. L’entrée Ouest, ayant trois portes pivotantes, donne également accès à la mezzanine et au Sous-sol par des escaliers, ainsi qu’à une salle de spectacle qui se trouve juste en face des portes principales. Un autre élément facilement observable dans le plan est la présence d’espaces consacrées au commerce. Ceux-ci ont une porte donnant accès à la rue et une autre ouverte au corridor intérieur, ou, selon écrit dans le document, au North Lobby et au South Lobby. Le tracé plus délicat des délimitations extérieures du bâtiment, suivi par des lignes plus foncées en « T », nous fait croire que la façade contient des vitrines intégrées à la maçonnerie, entrecoupées par des colonnes.

¹ Jonathan Duval et Dietrich Neumann, 2020, Raymond Hood and the American Skyscraper (catalogue d’exposition), Rhode Island, David Winton Bell Gallery, 2020, p.35-36. En ligne. <https://www.brown.edu/campus-life/arts/bell-gallery/sites/brown.edu.campus-life.arts.bell-gallery/files/publications/DWBG_Hood_Catalogue_Web.pdf >. Consulté le 05 décembre 2021.
² Meredith Shimizu et Ann TeGrotenhuis, « Photography in urban discourse: Berenice Abbott’s changing New York and the 1930s », Thèse de doctorat, Evanston, Northwestern University, 2009, p.50-51.
³ Ibid, p.19.
⁴ Malka Simon, « Rockefeller Center», dans Smarthistory, Août, 2015. En ligne. < http://smarthistory.org/rockefeller-center/ >. Consulté le 05 décembre 2021.
⁵ City of New York, Landmarks Preservation Commission, 1985, « Rockefeller Center- Designation report », New York, p.60.
⁶ Rudivan Cattani, « Torres que rematan manzanas », Thèse de doctorat, Universidad Politécnica de Cataluña, 2013, p.36.
⁷ Ibid, p. 40.
⁸ Jonathan Duval et Dietrich Neumann, 2020, Raymond Hood and the American Skyscraper (catalogue d’exposition), Rhode Island, David Winton Bell Gallery, 2020, p. 35. En ligne. <https://www.brown.edu/campus-life/arts/bell-gallery/sites/brown.edu.campus-life.arts.bell-gallery/files/publications/DWBG_Hood_Catalogue_Web.pdf >. Consulté le 05 décembre 2021.
⁹ City of New York, Landmarks Preservation Commission, 1985, « Rockefeller Center- Designation report », New York, p.61.
¹⁰ Rem Koolhaas, Delirious New York: A Retroactive Manifesto for Manhattan, New York, Monacelli Press, 1994, p.195.