Le gratte-ciel new yorkais

Inspirée par l’évolution rapide du paysage des gratte-ciels de New York, la photographe américaine Berenice Abbott capture la typologie de l’architecture emblématique de New York durant les années 1930.

Berenice Abbott. Exchange Place, 1933. Museum of Modern Art, New York.

la photographie

À la suite de son retour à New York en 1929, Berenice Abbott a été confrontée avec un paysage hors de ce dont elle se souvenait. Grâce à son séjour en France sous la direction du photographe d’architecture Eugène Atget, elle a pu capturer cette nouvelle atmosphère spatio-temporelle qui s’est établie en réponse au développement urbain du début du 20e siècle (Moma, 2020).          

Cette photographie intitulée, Exchange Palace (1933), est une parmi plusieurs du genre et représente une vue surélevée de la rue Exchange Place, située dans le cœur du district financier de New York. Pour la démontrer, elle utilise une perspective linéaire de la rue flanquée d’imposants gratte-ciels. Cette vue unique sur la rue nous permet de remarquer l’étroitesse de la rue en contrebas, accentuée par la proximité des bâtiments avec elle et avec le spectateur. De même, elle permet une vue de l’espace négatif de l’atmosphère, invisible aux regards des piétons, qui est encadré par l’espace positif des gratte-ciels érigés. Cela démontre une conscience de l’espace et de l’atmosphère de la part de Abbott, qui exploite cette composition pour illustrer l’atmosphère sombre du paysage urbain. Cette composition est également créée par un contraste saisissant entre les espaces sombres créés par les gratte-ciels, momentanément interrompus par la luminosité frappante des rues perpendiculaires.

En outre, le point de vue d’Abbott sur le sujet incite le spectateur à prendre conscience de sa propre spatialité temporelle. Abbott nous implique à la fois dans le sujet qu’elle dépeint, dans sa place de photographe, ainsi que dans notre rôle en tant qu’humain, représenté comme piétons dans la rue. La première nous fait prendre conscience que nous sommes situés dans le sujet représenté, un grand gratte-ciel qui a permis cette vue du paysage, tandis que ce dernier contraste notre taille en tant qu’êtres humains avec la hauteur des gratte-ciels. Cette implication du spectateur démontre leur temporalité transitoire, en tant qu’humains, ainsi que leur spatialité, en tant que spectateur, vis-à-vis la permanence du gratte-ciel.

En tant que format, Abbott exprime un élément crucial des gratte-ciels en utilisant une orientation verticale: sa hauteur. En représentant son sujet dans la forme du sujet, c’est-à-dire dans la forme rectangulaire d’un gratte-ciel, sa composition photographique est non seulement renforcée, mais encadrée par la répétition de sa forme.

Cela étant dit, la photographie d’Abbott nous permet de percevoir une analogie distinguée à partir de la disposition de chaque gratte-ciel. En particulier, une division tripartite dans chaque façade. Cette division décrit ce que l’architecte Louis Henri Sullivan considère comme la configuration topologique du gratte-ciel (Klotz, p. 72). Basée sur la colonne, la façade doit comprendre un socle, représenté par le rez-de-chaussée, qui agit comme la base de la colonne et le support structurel du bâtiment. Cette base est « consacré[e] aux boutiques, banques, ou autres établissements », qui sont peu visibles en raison du point de vue surélevé, et les ombres créées par les gratte-ciels (Sullivan, p. 167). Malgré l’obscurité, on peut supposer que le nombre de personnes qui bordent la rue correspond aux espaces commerciaux qui l’occupent. Surimposé sur le socle est le fût, qui est comprise d’un nombre d’étages uniformes. Comme le fût, les étages superposés forment la longueur dominante du gratte-ciel et s’achèvent finalement par un étage orné d’une corniche.

LE GRATTE-CIELLE GRATTE

le gratte-ciel

Parmi les toits plats des gratte-ciels de premier plan, on peut apercevoir un toit particulier. Elle appartient à un des gratte-ciels les plus hauts et iconiques de Manhattan, le City Bank Farmers Trust Company Building (Landmarks Preservation Commission, p. 1). Dominant les autres, la couronne qui boucle le gratte-ciel est représentée lumineusement contre l’obscurité du premier plan. Ce bâtiment démontre également des continuités dans les facteurs typologiques des gratte-ciel, ainsi que de nouvelles approches en tant que style et forme esthétique. Réalisé en 1931, le City Bank Farmers Trust Co. Building est situé au 20 Exchange Place. Il a été conçu par la firme d’architecture Cross & Cross pour accueillir un groupe de banques new-yorkaises, tel que le nouveau siège de la City Bank-Farmers Trust Co, ainsi que les branches respectives de la National City Bank of New York et de la Banque Canadienne de commerce(p. 1).

Le gratte-ciel de Cross & Cross est composé de 60 étages et composé d’un ossature métallique ainsi qu’une enveloppe faite en maçonnerie de granit et calcaire (p. 3, ). Comme ceux au premier plan, il suit une division tripartite, mais ne correspond pas à la forme rectangulaire uniforme de ces derniers. En revanche, sa forme pyramidale commence par un grand site horizontal comme base, qui reprend l’horizontalité de la rue. Ci-dessus, le gratte-ciel se rétrécit en un « fût », qui est surmonté d’une forme couronnée.

En ce qui concerne son style,

« The architects hold no brief for any particular architectural style and have been at some pains to clothe the structure in material and form to serve as a frank expression of the mechanical and economic forces involved and at the same time to express, with some degree of originality, the place of the building in the life of its location. »

Cité par Landmarks Preservation Commission
Figure 3, Construction of the City Bank Farmers Trust Building, 1929 – 1931
Source: https://www.nycurbanism.com/icons/20x

Cependant, leurs notions de style exprime l’esthétique philosophique du structuralisme, « (that is) aimed at expressing social patterns and relations » (Söderqvist). Selon le Landmarks Preservation Commission, le gratte-ciel reflète les styles populaires des années 1920 et peut être considéré comme de l’ « art déco » ainsi que du « moderne classique » (p. 4). 

En retournant à la photographie d’Abbott, on peut apercevoir une juxtaposition entre les gratte-ciels sombres et démodés en premier plan, en contraste avec le gratte-ciel lumineux et moderne du City Bank Farmers Trust Co. Building qui domine le ciel. Cette composition illustre une connotation temporelle sur les innovations architecturales de l’époque. En particulier, l’invention innovative du ossature métallique qui permet la hauteur imposante du dernier. Cela dit, le format vertical de la photographie, qui permet cette perspective dominante du bâtiment de la ville, souligne également ce fait.

Pour conclure, la photographie de Berenice Abbott illustre parfaitement ce dont Sullivan exprime dans son récit, Pour un art des gratte-ciels :

« La force et la puissance de l’altitude, la gloire et la fierté de l’exaltation…(en) chaque pouce quelque chose de fier et élancé, qui s’élève dans la pure jubilation d’être d’en bas jusqu’en haut une unité sans une seule ligne dissidente »

Louis Henri Sullivan

Bibliographie

BIBLIOGRAPHIE

PARAGRAPHE

Bibliographie

MOMA, « Berenice Abbott », dans Art and Artists, New York, Museum of Modern Art, 2014. En ligne, < https://www.moma.org/collection /works/43866?artist_id=41&page=1&sov_referrer=artist >. Consulté le 27 octobre 2021.

KLOTZ, Heinrich, « Les buildings de Chicago: un problème architectural théorique » , dans Chicago : Naissance D’une Metropole : 1872-1922, Munich : Prestel. Paris : Editions de la Réunion des musées nationaux, 1987.

LANDMARKS PRESERVATION COMMISSION, City Bank-Farmers Trust Company Building, 1996. En ligne, < http://s-media.nyc.gov/agencies/lpc/lp/1941.pdf >. Consulté le 27 novembre 2021.

SÖDERQVIST, Lisbeth. Structuralism in architecture: a definition, Journal of Aesthetics & Culture, 3:1, 2011. En ligne, < 10.3402/jac.v3i0.5414 >. Consulté le 2 décembre 2021.

SULLIVAN, Louis Henri, Pour un art du gratte-ciel, (tr. de “The Tall Office Building Artistically Considered,” Lippincott’s Monthly Magazine), 1896.

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