Le Red House de William Morris

Plan au sol et plan de l’étage de la Maison rouge, Philip Speakman Webb, 1859, Angleterre. Musée no. E.59-1916. © Victoria and Albert Museum, Londres. Récupéré de : https://www.vam.ac.uk/articles/philip-webb-a-new-vision-for-domestic-space

Mise en contexte

Le projet nommé « Red House » a été conçu par l’architecte Philip Speakman Webb en 1859 et complété en 1860. Situé à Kent, Bexleyheath en Angleterre, cette maison impressionnante a été construite pour le collègue de Webb, William Morris. D’ailleurs, Webb et Morris ont collaboré pour concevoir cette maison d’après leurs idéologies. Morris étant lui-même un designer, il voulait que la maison soit un espace qui célèbre l’art, l’artisanat, la communauté et reflète ses idéaux architecturaux. En effet, il était profondément influencé par les styles néo-gothiques et par le médiévalisme. Le Red House est décrit comme la tentative de Webb et Morris d’appliquer les principes gothiques à l’architecture domestique sans la présence d’imitation archéologique. Morris et Webb ont collaboré afin que l’architecture externe et interne de la maison se fondent en un tout unifié. Le « National Trust » a même décrit la maison comme une fusion complexe de l’utopisme romantique de Morris et du bon sens pratique de Webb (The History of Red House, National Trust Organisation). Philip Webb est reconnu comme étant le père de l’architecture « Arts and Crafts » et justement, le Red House est un bâtiment qui a établi le standard pour ce style d’architecture.

Le Red House est un bâtiment imposant mais extrêmement confortable, qui met l’accent sur les matériaux naturels et donne l’illusion de faire partie du paysage. Asymétrique et pittoresque, la maison incarne un mélange de techniques de construction traditionnelle et des éléments de la période médiévale, notamment des briques rouges, un toit en pente raide, de hautes cheminées et des fenêtres avec des arcs pointus.

Analyse du plan

Le dessin architectural illustrant le « Red House » démontre le rez-de-chaussée de la maison (à la gauche) et du deuxième étage (à la droite). Il inclut aussi un petit bâtiment détaché qui sert comme espace de rangement ainsi qu’un puits situés dans la cour de la maison. Le Red House a rejeté les conventions victoriennes concernant l’organisation de l’espace, comme en témoigne sa disposition inhabituelle. Le pied de la maison, en forme de « L », lui permet de s’enrouler en partie autour d’un jardin et de créer une asymétrie typique des structures gothiques traditionnelles construites sur de longues périodes. L’arrière-cour est abritée dans la partie sud-est du bâtiment, tandis que l’entrée principale se trouve au nord, face à la rue.

La maison est munie de deux étages, avec quatre cheminées, de nombreux pignons triangulaires et est séparée en deux ailes. L’aile avant comprend les pièces principales, notamment les salles de réception, la salle à manger, le salon, le studio, la chambre principale et un porche de jardin. L’aile arrière comprend les éléments plus isolés, tels que les logements des domestiques, les petites chambres, les garde-manger, les cuisines et l’escalier de service. Différents types de fenêtres ont été créés et positionnés de manière à s’adapter à la conception des pièces et non à la symétrie extérieure. Nous pouvons observer l’utilisation de deux couleurs dans le plan technique, soit le jaune et le rouge. Les espaces coloriés en rouge sont des espaces servants; comme le vestibule, l’entrée, les escaliers, la cuisine, les passages. Les espaces en jaune démontrent les espaces servis; comme l’étude, la salle à diner, les chambres à coucher et la salle de dessin.

La plupart des maisons du style de cette époque étaient réalisées en stuc. Cependant, la nouvelle maison de Morris était faite de briques nues, ce qui lui a inspiré le nom de Red House, se traduisant par la maison rouge. L’utilisation de briques reflète l’appréciation de la beauté des matériaux naturels, que Morris et Webb considéraient comme supérieurs aux matériaux produits industriellement.

« J’aimerais que vous puissiez voir la maison que Morris s’est construite dans Kent. C’est une œuvre des plus nobles à tous égards, et plus un poème qu’une maison… mais aussi un lieu de vie admirable ».

– Écrit par le poète anglais Dante Gabriel Rossetti en 1862 (traduit de l’anglais)

(National Trust)
Dessin d’élévation nord, sud et détail pour la Maison rouge, Philip Speakman Webb, 1859, Angleterre. Musée no. E.60-1916. © Victoria and Albert Museum, Londres. Récupéré de : https://www.vam.ac.uk/articles/philip-webb-a-new-vision-for-domestic-space

Une maison vivante

Le Red House de Morris et Webb est la première maison ayant une structure organique. C’est un terme qui ne perd pas d’intérêt puisqu’aujourd’hui, il y a une fascination qui perdure chez les designers et architectes pour une architecture organique. C’est aussi un terme réutilisé par d’autres architectures courants, soit l’architecte américain Frank Lloyd Wright. En 1939, ce dernier a écrit un livre nommé An Organic Architecture basé sur les mêmes principes que ceux suivis par Morris. Dans le texte qui suit, nous allons observer comment que le Red House a permis d’approfondir les liens entre l’architecture et l’environnement extérieur.

La structure du Red House va à l’encontre des grandes règles d’architecture classique (la symétrie, la centralité, hiérarchie des formes). Elle suit plutôt une logique fonctionnelle, où chaque aspect de la maison réponds à des buts précis. Par exemple, la fenestration du Red House est étonnante et non-conventionnelle. Chaque fenêtre a été construite et conçue différemment pour maximiser ou minimiser la chaleur, l’éclairage et la vue. Dépendamment de la pièce où la fenêtre est localisée, elle changera de forme. Par exemple, la salle de dessin, l’étude et la salle de diner sont munies de grandes fenêtres pour éclairer l’espace. Contrairement à la cuisine, qui a peu de fenêtres pour conserver les aliments à une température fraiche et le cabinet, qui n’a aucune fenêtre pour préserver la privacité et l’intimé de la pièce.

L’asymétrie des fenêtres reflète l’asymétrie de la verdure environnante et tente de créer un lien entre le monde intérieur et le monde extérieur. Morris tente de briser les barrières mise en place par l’architecture classique et populaire de cette époque qui sépare strictement l’intérieur d’une maison et les paysages avoisinants. Habituellement, la cour est un espace structuré, notamment un jardin géométrique, caractérisé par sa symétrie et des buissons taillés. Au Red House, la flore est laissée pour ce qu’elle est, avec sa propre logique de croissance. On observe ici un des concepts clés de Pugin, qui a été réinterprété par William Morris, soit la vérité et l’honnêteté par rapport à la matérialité. La végétation ajoute à l’esthétique de la maison et illustre une relation plus libre avec le paysage. De plus, la maison est asymétrique et n’a pas de composition rigide, organisée ou systématique qui est en opposition avec l’ordre de la nature. Sa logique asymétrique semble en cohérence avec la croissance naturelle et diversifiée du terrain.

La Red House (1860), William Morris and Philip Webb. Londres, Angleterre. Photographe: Tony Hisgett. Photo prise en 2020. Récupéré de : https://voices.uchicago.edu/201504arth15709-01a2/2015/11/16/arts-and-crafts/

Ces nombreuses petites particularités font en sorte que la maison suit une forme organique, tant désirée par Morris. L’architecture organique peut-être décrite comme étant une philosophie de l’architecture qui prône une harmonisation entre la vie humaine et le milieu naturel. Suivant cette définition, il est incontestable que le Red House est correspond à ce mouvement architectural. L’architecture organique est associée à une sensibilité envers l’environnement, ce qui est respecté par le Red House. Le domicile s’assimile à son environnement puisqu’au moment de sa construction, le bâtiment a été adapté au paysage et construit en fonction du site. Cette théorie permet d’approfondir la compréhension du sujet et de la comparaison suivante.

Un peu comme une plante, l’espace interne du Red House est organisée selon une circulation fluide. La circulation génère l’espace et donne l’illusion d’être tourné et courbé. Dans le cas de la plante, la tige grandi de manière circulaire et fluide, il n’y a aucun angle droit ou ligne symétrique. Les tiges secondaires et les feuilles se développent à partir de la tige principale, tout comme les pièces du Red House se déploient à partir de l’escalier, servant de pivot. De plus, les branches d’une plante vont s’orienter vers le soleil pour faciliter la photosynthèse. Cela s’avère pertinent lorsqu’on analyse le Red House de Morris et Webb car la fenestration s’oriente pour selon le design de la salle en question afin de répondre à un besoin précis. À l’instar d’une plante, le Red House est une maison vivante. Il ne s’agit pas d’un bâtiment construit simplement pour l’admirer de loin, pour publier dans les journaux ou pour le prestige. Tout en étant une œuvre d’art réalisée par des architectes de génie, il s’agit d’une maison vivante. Avant tout, le Red House était non seulement le lieu d’habitation de Philip Webb et de sa famille mais aussi un endroit pour nourrir la créativité artistique de Morris. En effet, elle représentait une source d’inspiration pour le travail artistique en cours de Morris et le lieu d’encrage pour inspirer d’autres artistes. Plusieurs amis de Morris et Webb se rassemblaient au Red House pour peindre, faire des meubles et même jouer. D’ailleurs, il existe une série d’éléments originaux et de meubles de Morris et de Philip Webb, ainsi que des vitraux et des peintures des autres artistes qui visitaient le Red House, soit Edward Burne-Jones, Dante Gabriel Rosetti et Elizabeth Siddal. Ce collectif d’artistes et concepteurs deviendra par la suite le mouvement Arts and Crafts, ce qui signifie que le Red House a été la pierre angulaire de ce mouvement.

Pour conclure, le Red House est, selon les termes même employés par le British National Trust «one of the most influential buildings in the history of domestic architecture and garden design » (William Morris and his Palace of Art at Red House, National Trust Organisation). C’est un projet qui représente un retour au néogothique où l’on retrouve les formes de l’architecture monumentale et sacrée alliés à la simplicité du bâti domestique. Le Red House porte toujours l’empreinte de vies humaines entremêlées et de forces créatives qui ont permis la conception de cette maison mémorable.

Bibliographie

Cooper, N. (2006). Architectural History: Red House, some Architectural Histories, (vol. 49, pp. 207–221). [Livre]. http://www.jstor.org/stable/40033823

Fiederer, L. (2017, 3 juin). AD Classics: Red House / William Morris and Philip Webb. ArchDaily. https://www.archdaily.com/873077/ad-classics-red-house-arts-crafts-william-morris-philip-webb

Harkness, K. M. William Morris and Philip Webb, Red House. Khan Academy. https://www.khanacademy.org/humanities/becoming-modern/victorian-art-architecture/pre-raphaelites/a/william-morris-and-philip-webb-red-house

National Trust. The History of Red House. National Trust Organisation. https://www.nationaltrust.org.uk/red-house/features/history-at-red-house

National Trust. William Morris and his Palace of Art at Red House. National Trust Organisation. https://www.nationaltrust.org.uk/features/william-morris-and-his-palace-of-art-at-red-house

Vallance, Aymer. William Morris: His Art, His Writings and His Public Life. London: G. Bell, 1897. Internet Archive. Digitized by Google. Web. 14 December 2014. https://archive.org/details/williammorrishi01vallgoog

Victoria and Albert Museum. Philip Webb: a new vision for domestic space. Victoria and Albert Museum. https://www.vam.ac.uk/articles/philip-webb-a-new-vision-for-domestic-space

Waithe, M. (2004). Victorian Studies: The Stranger at the Gate: Privacy, Property, and the Structures of Welcome at William Morris’s Red House, (vol. 46, pp. 567–595). [Livre]. http://www.jstor.org/stable/3829919

One thought on “Le Red House de William Morris

  1. Kelahear Simon

    William Morris, bien sûr ! Je me suis rappelé d’avoir entendu son nom dans un documentaire de la BBC traitant sur les « council houses » de Raymond Unwin entre les deux guerres. Dr Mervyn Miller affirme : « la forte influence arts and crafts, particulièrement celle de William Morris », par rapport à l’effet qu’il a eu sur la vision d’Unwin et de ses « garden cities ». Il est intéressant de voir l’influence de la Red House, qui a clairement inspiré Unwin sur les dessins architecturaux des « council houses » et du choix de leurs matériaux : l’omniprésence de la brique, mais surtout, des toitures en croupe et de la simplicité des façades. Ces maisons qui parsèment les villes et banlieues du Royaume-Uni en sont découlées. Cela soutient, entre autres exemples, la grande influence que Morris a eu sur l’environnement bâti créé par ses contemporains. En cherchant des informations sur la contribution de Morris et Webb au mouvement Arts and crafts, j’ai découvert une vidéo sur une des maisons faites par Morris and Co., la maison Standen. L’historienne de l’art, Abigail Harrison-Moore, n’explique pas seulement la relation professionnelle qu’avait Morris et Webb, mais entre autres leurs motivations à faire évoluer le mouvement arts and crafts : la réponse à la disparité sociale entre les riches et les pauvres qui explose et l’insignifiance montante des produits issus de la production de masse, causée par la révolution industrielle. La montée du socialisme va de pair avec ce mouvement, qui promeut de rendre chaque produit purement utile et de faire développer une meilleure reconnaissance de la classe ouvrière, à travers la qualité supérieure des produits artisanaux. Morris & Co. semble être l’équivalent en Angleterre du Bauhaus en Allemagne, cherchant tous deux à donner une place primordiale à l’art dans un monde pendant et après la révolution industrielle.

    HENI, William Morris: Useful Beauty in the Home, Londres, HENI talks, 2018, 12 min. 28 s.
    https://henitalks.com/talks/william-morris-useful-beauty/#details

    GREENSTED, Mary, The Arts and Crafts Movement in Britain, Londres, Bloomsbury Publishing PLC, 2010, 128 p.

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