Achevé en 1903 et conçu par la société D. H. Burnham and Co., le Flatiron Building doit en grande partie sa popularité à la volumétrie particulière et aux ingéniosités de son design.
Le choix de la photographie du Flatiron Building a été fait en fonction de l’angle particulier duquel l’édifice est représenté pour ainsi analyser une de ses perspectives les plus fascinantes. Il est à ce jour l’une des icônes new-yorkaises les plus photographiées, artistes et touristes l’ont immortalisé et sous chaque angle, il semble différent. Le cliché ci-dessus fut capturé en 1902 par le cabinet d’architectes responsable de sa construction, D.H. Burnham and Co. L’orientation verticale de la photo augmente l’effet longiligne de ce gratte-ciel de 21 étages. Le bâtiment se trouve sur le plan médian de la composition avec un avant-plan dénudé et des édifices environnants de moindre hauteur à l’arrière-plan, le tout accentuant l’effet monumental et les prouesses architecturales de l’œuvre du cabinet d’architectes. Bien que Daniel Burnham ait donné l’approbation finale de tous les projets de son bureau, il a peu travaillé à la conception des bâtiments produits par la société D. H. Burnham and Co. Le Flatiron Building doit une grande partie de sa conception et de ses détails classiques élaborés à Frederick P. Dinkelberg (1859-1935), un architecte né et formé en Pennsylvanie qui a d’abord travaillé pour Burnham sur les bâtiments de l’Exposition universelle de 1893 à Chicago[1].
La photographie est prise depuis le Madison Square Park en direction ouest vers la rue Broadway et expose la plus longue des trois façades de l’édifice, lui donnant l’apparence spectaculaire d’un mur autoportant. De cet angle, nous faisons face à l’hypoténuse de ce bâtiment érigé sous la forme d’un triangle rectangle (fig. 1) situé à la confluence de la 5e Avenue et Broadway entre la 22e et la 23e rue. Le surnom « Flatiron » aurait d’ailleurs préalablement été donné à cette parcelle de terrain en forme de coin, d’environ neuf mille pieds carrés, des années avant la construction de l’édifice, vestige de la coupe diagonale de Broadway dans la matrice géométrique de Manhattan[2] (fig. 2). Sa localisation nous permet de l’apprécier sous tous les angles et de tous les côtés.
L’angle de la prise de vue de notre photo dévoile la splendeur de la représentation architecturale de la colonne grecque classique conçue par D.H. Burnham and Co. Il n’est pas le premier gratte-ciel de New York à avoir un squelette en acier, mais il est le premier de cette volumétrie. Le Flatiron, à l’origine Fuller Building, a été édifié et financé par la George A. Fuller Co, une compagnie basée à Chicago qui entretenait des liens étroits avec le bureau de Burnham[3]. Pionnière dans l’innovation des constructions à structure métallique, la compagnie Fuller a travaillé de concert avec le cabinet d’ingénieurs Purdy & Henderson à la conception de l’ossature en acier entièrement porteuse renforcée par des contreventements[4] (fig. 3). Cette charpente métallique a permis l’élévation sur 21 étages du design cunéiforme du Flatiron (fig. 4 et 5). À son extrémité nord, mise de l’avant sur la photo, sa dimension est de moins de deux mètres. Une structure exclusivement en maçonnerie n’aurait jamais permis de construire en hauteur à cette intersection de la ville qui rencontre d’énormes charges de vent et nécessitait donc une planification particulière quant à sa charpente.
Le Flatiron, finalisé en 1903, semble toutefois achevé sur notre photo de 1902. Elle fut probablement prise tout au début de l’hiver en fin d’année, puisque les arbres sont dénudés de leurs feuilles et le sol semble recouvert partiellement d’une faible couche de neige, ce qui permet d’apprécier le bâtiment depuis le sol, malgré les quelques arbres qui nous en séparent. La distance de la prise de vue est à considérer puisqu’elle offre un regard intégral sur la division tripartite de cette œuvre monumentale au style Beaux-Arts (fig. 6 et 7). C’est-à-dire que l’organisation élaborée de l’enveloppe du bâtiment est un mélange d’inspiration de différents styles et d’époques, avec une profusion de formes et de détails ornementaux formant une sorte d’éclectisme (fig. 8 et 9). Le bâtiment est composé d’une base de cinq étages en pierre calcaire (piédestal), d’une section médiane en terre cuite vernissée de 12 étages (fût) et d’une corniche de quatre étages (chapiteau) qui épouse un toit horizontal. Le fait que, depuis cet angle, le bâtiment puisse être perçu comme une colonne est une manifestation littérale de l’essence de la tour autoportante[5].
Le moment de la journée est également bien choisi pour croquer l’édifice élancé, puisque malgré un ciel légèrement ennuagé, une éclaircie vient mettre en valeur la surface riche en textures. Les ombres et lumières créées par le soleil provenant du sud-est accentuent les ondulations du mur formées par les trois séries d’oriels entre le 8e et le 15e étage. Les mêmes séries d’oriels peu profondes se trouvent sur la surface de l’édifice donnant sur la 5e Avenue, ce type d’élément architectural n’était pas courant dans les immeubles de bureaux new-yorkais, mais de nombreux gratte-ciel de Chicago, dont le Fisher Building de la société Burnham (1895-96), les avaient utilisés comme brise-vent[6]. Compte tenu de l’exposition du bâtiment à de fortes rafales, cette intégration au design architectural était judicieuse.
En étant perpendiculaire au sol depuis le rez-de-chaussée, le Flatiron offre une cassure avec la tradition new-yorkaise de bâtir des gratte-ciel comme des tours émergeant de bases beaucoup plus massives, ce qui renforce son caractère de mur-écran. La citation de Paul Goldberger ne pourrait mieux décrire l’essence capturée par notre photographie :
« The facade is a richly detailed tapestry of rusticated limestone, with gently undulating bays in the mid section that break the sense of sheer wall, yet still keep in balance with the overall shape of the tower. »
Paul Goldberger, The City Observed, 1979[7]
Il n’est pas anodin que le cabinet d’architectes ait voulu immortaliser l’édifice sous cet angle. Le paysage urbain environnant de l’époque étant peu chargé et les arbres du parc n’ayant pas la maturité d’aujourd’hui permettent d’offrir la distance et l’aération nécessaire entre l’œil de l’objectif et le bâtiment pour admirer son caractère majestueux. Sa volumétrie triangulaire n’est pas représentée dans cette photo, comme dans les célèbres clichés d’Alfred Stieglitz ou d’Edward Steichen, mais la singularité de cette perspective fait ressortir le tour de force réalisé avec grâce à ce tournant de siècle.
[1] John Zukowsky et Pauline Saliga, « Late Works by Burnham and Sullivan », Art Institute of Chicago Museum Studies, vol. 11, n° 1, automne 1984, p.72-73. En ligne. https://www.jstor.org/stable/4115889. Consulté le 21 octobre 2021.
[2] Sam Roberts, A history of New York in 27 buildings : the 400-year untold story of an American metropolis, New York, Bloomsbury Publishing, 2019, p.142.
[3] John Zukowsky et Pauline Saliga, op. cit., p.72.
[4] David R. Goldfeild et al., « Flatiron Building », dans Encyclopedia of American Urban history, Thousand Oaks, SAGE Publications, Inc., 2007, vol. 1, p. 275. En ligne. https://www.doi.org/10.4135/9781412952620.n152. Consulté le 13 octobre 2021.
[5] Eric Peter Nash et Norman McGrath, Manhattan Skyscrapers, New York, Princeton Architectural Press, 2005, revised and expanded edition. En ligne, p.8. https://ebookcentral.proquest.com/lib/uqam/detail.action?docID=336752. Consulté le 13 octobre 2021.
[6] Sarah Bradford Landau et Carl Wilbur Condit, Rise of the New York Skyscraper, 1865-1913, New Haven, Yale University Press, 1996, p.304.
[7] Peter Gwillim Kreitler, Flatiron : A Photographic History of the World’s First Steel Frame Skyscraper, 1901-1990, Washington, D.C., American Institute of Architects Press, 1990, p.178.
Bibliographie
ALEXIOU, Alice Sparberg, The Flatiron: The New York Landmark and the Incomparable City That Arose with It, New York, Thomas Dunne Books/St. Martin’s Press, 2010, 298p.
CARONE, Guillermo Blanco Luciano, www.wikiarquitectura.com, Building, Flatiron Building. En ligne. https://en.wikiarquitectura.com/building/flatiron-building/. Consulté le 4 décembre 2021.
GOLDFEILD, David R. et al., « Flatiron Building », dans Encyclopedia of American Urban history, Thousand Oaks, SAGE Publications, Inc., 2007, vol. 1, p. 275. En ligne. https://www.doi.org/10.4135/9781412952620.n152. Consulté le 13 octobre 2021.
KREITLER, Peter Gwillim, Flatiron : A Photographic History of the World’s First Steel Frame Skyscraper, 1901-1990, Washington, D.C., American Institute of Architects Press, 1990, 217p.
LANDAU, Sarah Bradford et Carl Wilbur CONDIT, Rise of the New York Skyscraper, 1865-1913, New Haven, Yale University Press, 1996, 478p.
NASH, Eric Peter et Norman McGRATH, Manhattan Skyscrapers, New York, Princeton Architectural Press, 2005, revised and expanded edition. En ligne. https://ebookcentral.proquest.com/lib/uqam/detail.action?docID=336752. Consulté le 13 octobre 2021.
ROBERTS, Sam, A history of New York in 27 buildings : the 400-year untold story of an American metropolis, New York, Bloomsbury Publishing, 2019, 285p.
SAFYAN, Eric, Commercial, Flatiron Building Landmarks Preservation, New York, Architect P.C., 2021. En ligne. http://www.es-architect.com/flatiron-building-landmarks-preservation#. Consulté le 4 décembre 2021. ZUKOWSKY, John, et Pauline SALIGA. « Late Works by Burnham and Sullivan », Art Institute of Chicago Museum Studies, vol. 11, n° 1, automne 1984, p. 70-79. En ligne. https://www.jstor.org/stable/4115889. Consulté le 21 octobre 2021.
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