L’hôtel Guimard, à l’origine un hôtel particulier du 16e arrondissement de Paris, a été édifié en 1922 au 122, rue Mozart. Lieu de résidence et de travail d’Hector Guimard, qu’il a bâti en l’honneur de son épouse, Adeline Oppenheim, l’hôtel s’inscrit dans le courant de l’Art Nouveau, qui a pris de l’ampleur au début du 19e siècle. Les mots d’ordre de ce style architectural qui tend à rompre avec les normes académiques et qui était surtout destiné aux classes moyennes : logique, harmonie et sentiment (Montamat, 2017, p. 113).
L’Art Nouveau n’a pas su s’imposer dans les édifices publics majeurs en France (Frontisi, 1988, p. 60). Il a davantage mis de l’avant dans des productions mineures, surtout adressées aux classes moyennes, « peu enclines aux aventures mais en quête de signes spécifiques » (Frontisi, 1988, p. 61) et ayant un intérêt pour ce style nouveau détaché des grandes références historiques. L’hôtel Guimard, bien qu’il était destiné à son propriétaire et à son épouse, s’inscrit dans d’autres créations érigées dans un périmètre restreint, celui de la rue La Fontaine (Vigne, 2016, p. 126). Nous n’avons qu’à penser au fameux Castel Béranger (1894) et au groupe d’immeubles de la rue Agar (1911), deux immeubles d’habitation figurant dans une vaste opération immobilière menée par Guimard (Vigne, 2016, p. 127). L’hôtel particulier de Guimard lui servait de siège social.
L’hôtel Guimard, plan du 2e étage
L’hôtel particulier de Guimard, architecte qui s’est éloigné du conformisme de l’École des beaux-arts dès qu’il y fait son entrée, en 1885 (Frontisi, 1988, p. 52), est une célébration de l’Art Nouveau. Au début du 20e siècle, l’Art Nouveau ne prêchait pas sur de nombreux principes stricts et inflexibles. Il peut se définir par une « interprétation » de la nature (Janson, 1988, p. 158). La combinaison des lignes sinueuses fait partie intégrante du langage de l’Art Nouveau : au choix, elles sont subtiles ou radicales, mais définissent l’expression de l’artiste (Midant, 1999, p. 158)
En ce qui concerne le dessin qui nous intéresse – le plan du 2e étage de l’hôtel Guimard – les formes ovales sont palpables. Se trouvent à ce deuxième étage une chambre, deux dressings et une salle de bain. L’intention avouée de Guimard était de maximiser les espaces des pièces malgré le triangle de la parcelle dans laquelle s’inscrit l’édifice, à l’angle des rues Mozart et villa Flore, à Paris (Vigne, 2016, p. 128). Le terrain est sans conteste exigu, voire difficile d’approche. Le contexte parisien y est pour quelque chose. Les lignes courbes sont par ailleurs palpables à l’intérieur de la radicalité des lignes droites du triangle de la parcelle.
Le défi de l’emplacement s’exprime pleinement. Pour épouser cette forme plutôt contraignante, l’architecte favorise les salles ovales, qui épousent mieux l’espace. Il élimine également au maximum les dégagements et les couloirs encombrants, qui auraient pu prendre le dessus sur le peu d’espace disponible (Vigne, 2016, p. 128). L’art de Guimard en est également un de commodité : dans les surfaces restantes, celles qui n’inscrivent pas à proprement parler dans les ovales, Guimard imagine l’emplacement des placards et des commodités.
Guimard pousse cette idée d’économie d’espace en mettant de côté la présence d’un escalier principal, comme nous pouvons le constater sur le plan du 2e étage. L’escalier principal est plutôt remplacé par un élévateur, soit « un ascenseur dénué de cabine » (Vigne, 2016, p. 127) qui donne sur l’antichambre. Il s’agit d’un ascenseur de glace sans tain, bien que Guimard est un habitué du fer forgé, matériau prédominant de l’Art Nouveau dès 1890 (Montamat, 2017, p. 118). À propos de l’absence d’escalier principal, l’architecte français Marcel Porcher-Labreuille (1895-1986) a déjà affirmé que Guimard disait que « l’escalier était d’un encombrement tel que son emploi, remontant à la plus haute antiquité, devait être banni » (Montamat, 2017, p. 118). À partir du plan du 2e étage et des élévations des deux façades, nous remarquons également que les plus grandes ouvertures, comme celles qui donnent accès aux balcons, se retrouvent à même les chambres. Les ouvertures plus étroites, et donc plus discrètes, se retrouvent quant à elles dans les pièces d’eau (Vigne, 2016, p. 128).
Nous constatons que Guimard rejette la volonté de la symétrie à tout prix, bien que son travail tend à se symétriser au fil de sa carrière (Descouturelle, Mignard et Rodriguez, 2003, p. 12). Or, ce sentiment premier se fait sentir dans la disposition des fenêtres, aux formes et aux emplacements des plus dépareillés. Mais encore une fois, les ornementations autour de ces dernières, faites de dentelle de pierre ou d’écume pétrifiée, célèbrent la délicatesse des lignes courbes (Vigne, 2016, p. 128). Les formes arrondies des ouvertures semblent ainsi donner vie à la façade. Même le toit dégage du rythme, du volume, rappelant la Casa Milà de Barcelone (1905-1907), un immeuble d’habitation d’Antonio Gaudí, qui met de l’avant les « formes naturelles » (Janson, 1988, p. 705) prisées par Guimard. Les formes ovales qui se dégagent du plan d’un étage de la Casa Milà rappellent celles du 2e étage de l’hôtel Guimard. Dans les deux cas, le « culte de la courbe et de l’énergie du flux végétal » (Montamat, 2017) se fait sentir dans la structure du bâtiment.
En bref, Guimard marque, dans son style, un refus de l’historicisme (Frontisi, 1988, p. 54). Ce désir de rupture est palpable dans cette citation de l’architecte, qui critiquait alors le Grand et Petit Palais de Paris, bâtis au début du 20e siècle et de style Beaux-Arts : « Imaginez-vous, aux Champs-Élysées, entre les deux palais que l’on construit, tous les Parisiens se promenant en toge romaine… Je ne veux pas, moi, de cette harmonie de carnaval. » (Frontisi, 1988, p. 54)
L’Art Nouveau ne se présente pas comme un style aux nombreuses règles dogmatiques : il laisse place à la subjectivité de l’architecte. C’est dans cette même veine que l’on parle du « style Guimard », qualificatif que l’architecte apposera à ses créations à partir de 1900 (Descouturelle, Mignard et Rodriguez, 2003, p. 12). Les œuvres de l’architecte évoquent le monde animal. Mais attention, nous ne parlons pas ici d’un mimétisme de la nature, de formes naturelles, mais bien d’une transcription. Contrairement à l’École naturiste du début des années 1900, nous ne reconnaissons pas dans le travail de Guimard des motifs de la nature reconnaissables au premier degré (Descouturelle, Mignard et Rodriguez, 2003, p. 12).
Le style Art Nouveau consiste également en une approche économique, et Guimard en était bien conscient (Frontisi, 1988, p. 53). L’emploi de matériaux rustiques, comme la brique ou la meulière, est privilégié, surtout pour les petits hôtels particuliers et les immeubles bourgeois (Frontisi, 1988, p. 53). C’est la pierre de taille qui a été utilisée pour l’hôtel Guimard. Ces matériaux permettent une utilisation diversifiée des couleurs, notamment sur la brique (Frontisi, 1988, p. 54). Dans tous les cas, comme pour l’hôtel Guimard, une « maison élégante sans être pompeuse » (Vigne, 2016, p. 127), les éléments sont calculés pour réduire les coûts de construction. Encore une fois, il faut revenir au contexte parisien au début du 20e siècle : des édifices élégants, mais sans prétention à outrance dans leur forme (Midant, 1999, p. 158).
MÉDIAGRAPHIE
DESCOUTURELLE, Frédéric, MIGNARD, André et Michel RODRIGUEZ. Le métropolitain d’Hector Guimard, Paris, Somogy Éditions d’art, 2003, 149 p.
FRONTISI, Claude. Hector Guimard entre deux siècles, In. Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 17 (janvier-mars, 1988), pp. 51-61
JANSON, H. W. Histoire de l’art : panorama des Arts Plastiques des origines à nos jours, New York, Ars Mundi, 1988 (cinquième édition), 767 p.
MIDANT, Jean-Paul. L’Art Nouveau en France, Paris, Parangon, 1999, 171 p.
MONTAMAT, Bruno. Les cercles artistiques, littéraires et philosophiques d’Hector Guimard, « architecte d’Art », In Armand Colin | « Romantisme », n° 177, 2017 (3), pp. 107 à 124
VIGNE, Georges, Hector Guimard : le geste magnifique de l’Art Nouveau, Paris, Éditions du Patrimoine, coll. « Carnets d’architecte », 2016, 208 p.