Bauhaus Building, Dessau, view from the vestibule window looking toward the workshop wing, 1926, Source : © Estate of Lucia Moholy / DACS 2020
Le titre de cette photographie est Bauhaus Building, Dessau, view from the vestibule window looking toward the workshop wing. C’est une photo prise par l’illustre Lucia Moholy, femme du célèbre peintre László Moholy-Nagy, en 1926. C’est une petite photo de 160 par 113 mm en noir et blanc imprimé sur papier par le procédé de gélatino-argentique.
Cette image s’inscrit dans une nouvelle mouvance artistique en Allemagne dans les années 20 qui est Neue Sachlichkeit (Nouvelle Objectivité). Après la Première Guerre mondiale et voulant se détacher de l’expressionnisme, ce mouvement, avec un style sobre veux, veux documenter et décrire à partir d’observation. On le voit au titre, qui n’est qu’une description de la photographie. On peut le voir à l’image aussi qui a pour but de documenter le sujet architectural observé ; le bâtiment du Bauhaus à Dessau.
Construit selon les plans de l’architecte Walter Gropius en 1926, le Bauhaus à Dessau est un établissement moderne qui fait office d’école d’art, de design et d’architecture. Ce bâtiment est complètement encré dans les principes du modernisme architectural du début du XXe siècle. Tout d’abord, on remarque l’absence de façade principale. On remarque aussi une prépondérance de matériaux nouveaux comme le verre et l’acier, notamment sur le mur-rideau de la façade des ateliers. De plus, il y a la notion d’asymétrique qui est importante chez les modernistes est que l’on voit dans la compostions du plan. En effet, le bâtiment, en plan, se dépolit sur un glissement de cinq volumes créant une composition dynamique. Il y a d’abord les ateliers-logements (Prellershaus) des étudiants, sur cinq étages (1). Ensuite, il y a les lieux sociaux où se trouve l’auditorium, la scène qui se prolonge pour devenir la salle à manger (2). Puis, il y a les ateliers (3) et les lieux d’enseignement technique (5) qui sont relier par un pont (4) où se trouve les bureaux administratifs. Le point de vue unique qui permet de saisir toute la richesse de l’architecture n’existe plus. La notion de parcours devient alors centrale.
C’est exactement ce que Lucia Moholy souligne. Elle rejoint László à Weimar en 1923 et le suit à Dessau. C’était une photographe avec déjà quelques connaissances et elle documenta toute l’architecture du Bauhaus. Gertrud Arndt confirme qu’elle était pionnière dans son domaine :
“Nobody could take a photograph when I arrived in Weimar, the only one who could use acamera was Lucia Moholy, she had learned it. She came to the Bauhaus as a photographer.”
Ulrike Muller, Bauhaus Women: Art, Handicraft, Design (Flammarion, 2009), p. 126
Elle parcourt cet établissement, sans être ni étudiante, ni maitre, et documente tous ces principes nouveaux. Elle met de l’avant ces innombrables lignes verticales et horizontales, la transparence de ces façades vitrées et cette multitude de géométrie simple et épuré. La photographie est donc prise par Lucia Moholy a l’intérieur du vestibule regardant par la fenêtre vers les ateliers. Le sujet architectural est doublement cadré, d’abord par les limites de la photo, puis par les contours de la fenêtre. L’angle avec lequel la photo est prise est en opposition avec la verticalité des motifs quadrillés de la façade. On peut aussi remarquer les différents traitements de lumière ; le fort contraste entre l’intérieur très sombre qui entoure le cadre, la lumière qui est refléter par la façade vitrée, à droite de l’image, et la lumière naturelle qui à gauche de l’image. Ce qui donne un ton dramatique et renforce les éléments graphiques par l’accentuation des ombres. L’historien Robin Schuldenfrei dit à ce sujet :
“Blacks, whites and greys additionally defined the buildings, while shadowing was also carefully considered. Moholy’s photographs of the Bauhaus were multivalent tools, serving specific needs through seemingly straightforward shots that communicated basic information about the edifices themselves while simultaneously enunciating the buildings’ architectural innovations and Gropius’s architectural ideas.”
Robin Schuldenfrei, ‘Images in Exile: Lucia Moholy’s Bauhaus Negatives and the Construction of the Bauhaus Legacy’, History of Photography, vol.37, no.2, 2013, pp.182–203.
Tous ces éléments font encore plus écho lorsqu’on compare la photographie prise par Lucia Moholy et une photo prise à peu près du même point de vue.
Bien que ce fut une des figures les plus influentes de la photographie moderne, Lucia Moholy est longtemps restée sous l’ombre des hommes du Bauhaus. Avec son époux László Moholy-Nagy, ils ont été en collaboration sur plusieurs projets photographiques, bien que Lucia avec un style axé sur la documentation ou de la reproduction photographie qui reste fidèle à la réalité alors que László, lui, est plutôt dans la production artistique de la photographie. Leur collaboration a permis de développer leurs compétences et d’explorer leurs styles à travers plusieurs expérimentations et certaines d’entre elle ont été publier dans le magasin De Stijl. Plus tard, ils rassemblent leurs travaux et publient un ouvrage (Malerei, Photografie, Film, 1925-27). Bien que l’édition ainsi que plusieurs des œuvres sont de Lucia Moholy, l’ouvrage fut publié sur le nom seul de László Moholy-Nagy.
Robin Schuldenfrei souligne que Bauhaus Building, Dessau, view from the vestibule window looking toward the workshop wing de Lucia Moholy a un poids historique parce que c’est aussi marquer par l’histoire d’un double exil. En effet, Moholy quitte Dessau pour Berlin avec Moholy-Nagy, puis se sépare de lui. Elle se voit ensuite obliger de quitte l’Allemagne en 1933 avec la monté du Parti nationaliste-socialiste au pouvoir. Elle confit donc à Walter Gropius plus de 500 photographies de documentation et d’expérimentation pendant ces années passées au Bauhaus. Ce n’est que dans les années 50, lorsque Gropius s’était déjà approprié plusieurs des photos de Moholy que plusieurs organismes lui ont redonné ces droits d’auteur. En 1957, Gropius accepte de lui redonner quelques 230 de ces photographies avec l’autre moitié manquante.
La documentation de Lucia Moholy, de par ces photographies, pendant les années 20 a joué un très grand rôle dans l’édification de l’héritage du Bauhaus. Pendant la période d’entre-deux-guerres, alors que l’Allemagne était divisée et instable et donc difficilement accessible par les acteurs internationaux, le travail de Moholy a permis de continuer la propagation et la distribution des idées du Bauhaus pendant et après sa fermeture. Cette photographie de Moholy représente à la fois l’impact qu’elle a eu sur la photographie moderne, le tremplin que sa documentation a eu pour le statut Bauhaus et son combat pour se réapproprier son travail et re rétablir l’implication des femmes dans le mouvement du Bauhaus.
Bibliographie
Lucia Moholy, A Hundred Years of Photography Harmondsworth (Middlesex, England), Penguin Books Limited, 1939. pp. 182; 35 ills. 25 cents, Beaumont Newhall, 2021
Lucia Moholy’s Bauhaus Photography and the Issue of the Hidden Jew , Rose-Carol Washton Long, Article 2014
“What I could lose”: The Fate of Lucia Moholy, Forbes M, Article 2014
https://www.moma.org/collection/works/83854
Images in Exile: Lucia Moholy’s Bauhaus Negatives and the Construction of the Bauhaus Legacy, Robin Schuldenfrei, 2013