L’Opéra national de Paris : La quiétude forcée de Napoléon

Photographie des frères Neurdein représentant la façade de l’Opéra de Paris en 1889.

NEURDEIN, Brothers. (1889). Façade de l’Opéra de Paris par les Neurdein. (Photographie). Éditée par Léon & Lévy. Théâtre National de Paris. Photographie tirée de https://www.artlyriquefr.fr/dicos/Palais%20Garnier.html

Attentat, guerre, culture et bourgeoisie, tel est l’essence même de l’Opéra de Paris.

L’Opéra Garnier, anciennement appelé l’Opéra de Paris, se voit être une figure emblématique des grandes modifications dans le cadre bâti par Haussmann accompagné du désir de Napoléon III de moderniser Paris et de l’amener au même niveau que la ville de Londres.

À la suite d’un grand concours d’architecture organisé par le monarque Napoléon III ayant comme but la création de l’Opéra, Charles Garnier fut déclaré vainqueur et maître d’œuvre du grand chantier. Cette victoire permit au jeune architecte d’y apposer un style méconnu et qui rebuta l’impératrice Eugénie de Montijo, qui était « mécontente que l’Opéra ne fût pas construit par Viollet-Le-Duc » (Laprade, Charles Garnier et l’Opéra, p.11). Toutefois, celle-ci revint sur son opinion et compris la complexité du style amené par Garnier qui s’identifia comme étant un éclectisme et qui s’inspira de diverses sources qui « comprenaient des éléments du baroque, du classicisme de Palladio et d’une architecture de la Renaissance mélangée » (HISOUR, Façade, sculptures et aménagements extérieurs, Palais Garnier, 2021). Cet avènement et mise en lumière de l’éclectisme par Garnier permit l’incorporation de multiples matériaux et techniques modernes. Pensons l’armature de fer, utilisée pour la structure du dôme central, qui fut démocratisée par l’Exposition universelle de 1851 et qui exposa au monde le Crystal Palace et ses techniques avant-gardistes.

Garnier s’inspira donc de ces multiples styles et courants pour créer une œuvre intemporelle et monumentale. La construction de l’Opéra débuta, après approbation de la monarchie, en 1861 et fut inaugurée partiellement au courant de l’année 1867 et inauguré en 1875.

Conséquemment à l’approbation de son projet, Garnier s’attela à la réalisation dudit bâtiment dans une approche éclectique qui finit par se ternir sous la forme du style Napoléon III, ou plus communément appelé le style Second Empire. L’Opéra se vit soutenir des lignes présentant un luxe et privilégiant la somptuosité. La polychromie fut aussi une caractéristique essentielle de l’Opéra et du style de Garnier, inspiré notamment des textes de Semper et Hittorff. Cette polychromie apporte une coloration reliée aux matériaux. Notons l’usage de diverses « variétés de marbre et de pierre, de porphyre et de bronze doré » (HISOUR, Façade, sculpture et aménagements extérieurs, Palais Garnier, 2021) permettant un détachement face aux divers bâtiments haussmanniens qui entoure l’œuvre.

Analyse des plans et coupes

Le plan suivant nous présente donc la distribution spatiale des diverses pièces et salles. Plusieurs de celles-ci sont observables dont la scène (45), la sale de concert (20, 21, 22, 23 et 24), le grand escalier (7, 8, 9 et 10) ainsi que le grand foyer (3). Le grand salon de réception (30) et le restaurant (42) sont aussi présents.

Figure 1 : Plan de l’Opéra  
(WGA, Plans of the Opéra Garnier, 2021)

La coupe transversale se voit illustrer, tel que dans la figure 1, l’emplacement de la salle de concert, du grand salon de réception dans la portion gauche de la et du restaurant dans la portion droite de la coupe. La scène est facilement identifiable du fait de sa hauteur et à son fronton de forme disproportionnée. Les dimensions transversales sont aussi facilement compréhensibles, spécialement lorsqu’on la compare à la figure 4 représentant l’élévation.

Figure 2 : La coupe transversale de l’Opéra
(Beauvert, Palais Garnier transverse section at the auditorium and pavillons, 1996)

D’un autre sens, la coupe longitudinale se voit aussi identique au bâtiment retrouvé aujourd’hui. Pensons à la disposition de la scène (avec sa volumétrie imposante), de la salle de concert, de la coupole la surplombant, l’emplacement du grand escalier, du grand foyer et même des multiples statues qui sont aussi des éléments retrouvés dans la figure 2.  

Figure 3 : La coupe longitudinale de l’Opéra
(Brossolette, Coupe longitudinale de l’Opéra Garnier, 2021)

Finalement, la vue en élévation présente de nombreux détails et éléments faiblement observables sur la photographie historique dut à l’emplacement et à l’angle de prise de la vue de la photographie. Toutefois, cette élévation se voit identique au plan, à la photographie et à la volonté de Garnier quant à la distribution des niveaux qui se voient progressivement densifiés dans l’optique d’incorporer la coupole, la salle de concert et la scène.

Figure 4 : Vue d’élévation de l’Opéra
(Curtis, 1991, p.102)

Analyse de la photographie des frères Neurdein

Continuons avec l’analyse de la photographie historique des frères Neurdein prise à la même année que l’Exposition universelle de Paris, soit en 1889. Nous débuterons avec la description de la façade.

Celle-ci se caractérise comme étant la façade sud de l’Opéra et se voit caractérisée par de multiples arcades accompagnées de clé de voûte. Ces arcades se voient quant à elles séparées par de multiples sculptures reflétant différentes formes d’arts (le chant, le drame, etc.). Ces statues sont surmontées de médaillons représentant quelques grands musiciens de l’histoire, dont Domenico Cimarosa et Johann Sebastian Bach. Garnier souhaitant représenter, sous la forme de statues, bustes, ornements, etc., la diversité des usages artistiques apposés à ce bâtiment culturel. Notons la présence d’un nombre faramineux de détails sculptés et quelques détails reflétant le style baroque (opulence, grand dôme central, sculptures d’anges, etc. (Douce cahute, Architecture baroque, 2021)) avec ses effets théâtraux et son ornementation surchargée. La forte majorité des colonnes sont de style corinthien, accompagnées de cannelures. Les deux extrémités de la façade se voient posséder des frontons arqués ornementés et présentant des scènes (voir figure 5).

Figure 5 : Fronton est de la façade de l’Opéra
(Desenclos, Les sculptures de l’Opéra – Le fronton Architecture et Industrie, 2013)

Entre ces deux frontons, une frise détaillée est présente et se constitue de triglyphes sculptés accompagnés de la lettre E retrouvés en l’honneur de l’impératrice Eugénie. Entre ces triglyphes, diverses métopes sont présentes et possèdent la lettre N en l’honneur de Napoléon III. Un réglet se trouve sous cette frise et une corniche horizontale définit le haut. Le réglet et plusieurs autres bandeaux de la façade se voient accompagnés de corbeaux ornementés. Sous ce réglet, une architrave est présente. Elle se trouve ornementée de façon à exprimer des détails provenant de la nature (pommes de pin, d’épis, feuilles de vigne, laurier, etc.). Ensuite, notons la diversification des têtes retrouvées au haut de cette corniche horizontale qui semble directement découler des diverses émotions exprimées d’actes théâtraux.

Figure 6 : Fin des colonnades et entablement de l’Opéra
(Ganay, Monument de Paris : l’Opéra Garnier, 2014)

Ce ne sont que quelques-uns des milliers de détails et ornementations retrouvés sur la façade de l’Opéra, qui se voit suivre le désir d’ornementer et détailler le plus de surfaces possible (caractérisation du courant éclectique et baroque). Précisons que l’aspect du classicisme de la façade se fait ressentir par le côté rationnel des compositions et d’une symétrie prépondérante.

Nous continuerons avec l’interprétation des décisions prises par les photographes. La première décision analysée et exprimée dans la photographie de la façade de l’Opéra tente de présenter l’effet dégagé de l’opéra face au cadre bâti l’entourant dans une perspective haussmannienne. Étant localisée dans un espace spécifiquement dégagé, établi pour celle-ci et fermant la percée de l’avenue de l’Opéra, elle se voit refléter l’expression monumentale du bâtiment accompagnée du principe de fermeture de ladite percée avec un bâtiment d’état phare.

La seconde décision prise par les photographes se voit dans l’incorporation des divers édifices longeant la Place de l’Opéra dans le but d’illustrer la taille de ladite Opéra comparativement aux divers édifices haussmanniens qui l’entoure. Cette décision semble être prise principalement dans le but de présenter la continuité des hauteurs maximales de l’ensemble des bâtiments retrouvés dans la photographie.

Ensuite, la photographie fut prise avec un certain éloignement dans un premier but d’illustrer les bâtiments qui l’entoure, mais aussi d’éviter la distorsion et la compression de la photographie si celle-ci avait été prise plus près de ladite façade. Cette idée semble être prise dans le but de conserver ainsi que de présenter la volumétrie exacte de l’Opéra, et ce dans une ère ou la photographie subissait de multiples défis. La prise fut aussi éloignée dans le but d’illustrer les mouvements de population retrouvés dans la Place de l’Opéra, reflétant ainsi le caractère rassembleur des deux entités (Opéra et Place).

Les photographes ont ensuite choisi un angle en contre-plongée léger puisque la portion de la coupole semble plus faiblement visible qu’avec un angle d’axe à niveau. Les photographes se sont installés au niveau de la Place de l’Opéra et non sur un piédestal. Cet angle fut principalement choisi dans le but d’illustrer la prise de vue du citoyen en déplacement, d’illustrer le monumentalisme ou le sentiment de grandeur de la façade sud tout en laissant ressortir le côté modeste et humain de l’angle.

Conséquemment à cet angle, les effets de lumières ne sont pas la priorité de Garnier dans la réalisation de l’Opéra et dans la photographie. La lumière se voit principalement pénétrer par les grandes fenêtres du second niveau de la façade dans le but d’illuminer le grand foyer, pièce décorée avec excès (figure 7). Cependant, peu d’éléments permettant l’accès naturel de la lumière sont présents dans la photographie. Garnier n’osa pas jouer spécifiquement avec la lumière comme principale source d’éclairage, il préféra conserver le caractère fermé des multiples salles, dont le grand escalier, contre de multiples caractéristiques d’ouvertures lumineuses naturelles. Il usa toutefois du principe de profondeur, notamment pour la galerie extérieure au grand foyer et pour les arcades. 

Figure 7 : Grand foyer de l’Opéra
(Dalbéra, Grand foyer of Palais Garnier, 2010)

La seule façade exposée dans la photographie se voit refléter le monumentalisme exprimé par Garnier. La façade se voit structurée et localisée dans l’espace dans le but de la rendre visuellement attractive, prépondérante face au cadre qui l’entoure et à lui donner l’espace qui lui permet de perceptualiser ses détails et ses dimensions. De même, les photographes reprennent diverses conventions graphiques apprises plusieurs années auparavant et usent de celles-ci dans la réalisation d’une foule de cartes postales (les frères possédant une boutique photographique spécialisée dans lesdites cartes). Ils n’ouvrent donc pas les conventions, mais firent preuve d’un doigté leur permettant de photographier un lieu tout en ouvrant la perspective sur celui-ci et donc d’élargir la vision simplifiée d’un bâtiment en y ajoutant le cadre qui l’entoure accompagné d’un mouvement de foule. Ils joignirent ainsi la photographie et la relation à l’espace, dans ce cas-ci la relation avec le bâti. Cependant, les frères se démarquèrent du fait de la quantité surprenante de photographies réalisées dans l’optique de création de cartes postales et se caractérisèrent par « une excellente qualité photographique et par un très grand soin dans l’édition » (LeonC, Neurdein Frères : Photographes – Éditeurs, 2014).

Pour conclure, l’Opéra Garnier se voit être un édifice patrimonial complexe, influencé par la pensée de plusieurs théoriciens, philosophes et architectes ayant façonné la ville de Paris au 19ème siècle. Cette œuvre d’art se verra être un exemple d’éclectisme et Second Empire pour les dizaines de générations futures tout en éveillant les sens liés aux détails et à la finesse d’une telle œuvre en plein cœur du 9ème arrondissement. Charles Garnier se verra perdurer dans le temps grâce à cette œuvre et incorporation de divers styles architecturaux qui se voient se mélanger et confronter avec une aisance sans pareil.

Médiagraphie

Beauvert, Thierry. (1996). Palais Garnier transverse section at the auditorium and pavilions – Opera Houses of the World. The Vendome Press et Wikipédia Commons. New York, États-Unis. Récupéré de https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Palais_Garnier_transverse_section_at_the_auditorium_and_pavilions_-_Beauvert_1996_p106.jpg

Brossolette, P. (Décembre 2021). Coupe longitudinale de l’Opéra Garnier. Pinterest. Récupéré de https://www.pinterest.fr/pin/169940585909148996/

Curtis, Christopher. (1991). Charles Garnier’s Paris opera : architectural empathy and the renaissance of french classicism. MIT Press. Londre, Royaume-Uni. P.102.

Dalbéra, Jean-Pierre. (Avril 2010). Grand foyer of Palais Garnier. Wikipéra Commons. Paris, France. Récupéré de https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Le_grand_foyer_de_l%27Op%C3%A9ra_Garnier_(Paris).jpg

Desenclos, R. (2013). Les sculptures de l’Opéra – Le fronton Architecture et Industrie. Paristoric : Autre regard sur Paris. Paris, France. Récupéré de https://www.paristoric.com/index.php/paris-d-hier/statues/statues-de-l-opera-garnier

Douce Cahute. (Décembre 2021). Architecture baroque. Maison-Monde Douce Cahute. Europe. Récupéré de https://maison-monde.com/architecture-baroque/

Dupchez, Charles. (1984). Histoire de l’Opéra de Paris : Un siècle au palais Garnier 1875-1980. Librairie Académique Perrin. Paris, France. 443p.

Epron, Jean-Pierre. (Avril 1997). Comprendre l’éclectisme. Éditions Norma. France. 368p.

Fontaine, Gerard. (Octobre 2004). L’Opéra de Charles Granier : Une oeuvre d’art total – Architecture et décor intérieur. Éditions du patrimoine. Paris, France. 190p.

Ganay, Gérard. (Octobre 2014). Monument de Paris : l’Opéra Garnier. Gérald Ganay Atelier. Paris, France. Récupéré de http://www.geraldganay.com/actualite_monument-de-paris-l-opera-garnier_fr_5.html

HISOUR. (Décembre 2021). Façade, sculptures et aménagements extérieurs, Palais Garnier. Hisour Art Culture Histoire. Paris, France. Récupéré de https://www.hisour.com/fr/facades-sculptures-and-outdoor-settings-palais-garnier-50996/

Laprade, Albert. (1961-1962). Charles Garnier et l’Opéra. Bibliothèque nationale de France. Paris, France. 1961. p. 3-24. En ligne. Récupéré de https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6459371f/f21.item

LeonC. (Mars 2014). Neurdein Frères : Photographes – Éditeurs. LeonC. France. Récupéré de https://leonc.fr/histoire/neurdein/neurdein.htm

NEURDEIN, Brothers. (1889). Façade de l’Opéra de Paris par les Neurdein. (Photographie). Éditée par Léon & Lévy. Théâtre National de Paris. Photographie tirée de https://www.artlyriquefr.fr/dicos/Palais%20Garnier.html

Wikipédia. (Décembre 2021). Eugénie de Montijo. Wikipédia. Récupéré de https://fr.wikipedia.org/wiki/Eug%C3%A9nie_de_Montijo

Wikipédia. (Décembre 2021). Napoléon III. Wikipédia. Récupéré de https://fr.wikipedia.org/wiki/Napol%C3%A9on_III

WGA. (Décembre 2021). Plan of the Opéra Garnier, Paris. WGA. Paris, France. Récupéré de https://www.wga.hu/support/plans/g/garnierc/opera.html

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