Cette photographie a été prise par Gerd Balzer en 1933, étudiant du Bauhaus. Elle a été réalisée suivant un procédé gélatino-argentique, dominant dans les années 1850 à 1880. Elle fut ensuite imprimée et publiée dans Rudolf Kicken Gallery en 1984.
Cette photo représente les balcons des chambres étudiantes de l’école de Dessau. L’image suit la ligne du toit. Le ciel blanc lui apporte une luminosité et permet de créer un fond monochrome. Cette forte luminosité céleste éclaire la photo et met le bâtiment au premier plan. Sa couleur noire et blanche la rend intemporelle, comme pour romantiser et figer des souvenirs dans le temps. Elle est prise du sol vers le ciel, en contre-plongée. Cette technique est utilisée pour exagérer les perspectives et donner une grandeur à l’objet photographié. Ce phénomene est observable par la superficie démesurée que la façade occupe dans la photo. La modification de profondeur est utilisée par Balzer non pas pour exagérer la taille du bâtiment, mais pour créer l’illusion que le mur devienne sol ; un changement de gravité, comme si on pouvait y marcher. Cette impression est possible puisque la contre-plongée n’est pas orientée suivant l’arrête du mur, mais en biais. Les balcons renforcent ce changement de rôle, étant positionnés debout. Le point de fuite part du centre vers le haut de l’image, créant ainsi un alignement diagonal de trois rangées de balustrades et un effet de hauteur ou de longueur.
Medium
Ce cliché monochrome, à la pointe de la technologie de l’époque, utilise un procédé gélatino-argentique. Cette technique est basée sur la sensibilité à la lumière des halogénures d’argent, plongés dans une matrice de gélatine (fluorure d’argent : mélange d’argent avec d’autres composés). Par oxygénation, de petites taches de métal argentées vont apparaitre et ainsi vont dessiner les motifs de la photographie. Après son exposition négative, la couche devient une image latente, jusqu’à son contact avec un agent développant. Elle est ensuite traitée par un fixateur qui lui permettra d’être permanente grace à l’élimination des derniers agents halogénures. La durée d’exposition d’une prise peut aussi influencer le rendu final de la photo ; on peut supposer ici que le temps d’exposition fut court par la présence d’un fond uni et statique.
« La représentation n’est pas le reflet d’une certaine « réalité » dans le monde qui nous entoure, mais un moyen de projeter sur ce monde un concept – ou un sens subliminal – de ce qu’est la réalité » Ackerman.
Importance sociale du Bauhaus
Balzer fait apparaitre les appartements des étudiants du Bauhaus, bâtiment nommé Prellerhaus. À la base de son cliché se trouve la cuisine avec ses deux fenêtres rondes. La prise de vue qu’a choisie Balzer permet d’inclure un effet de pente, comme pour montrer l’ambiance chaleureuse qui tendait à passer d’un balcon à un autre. Ces jeunes, meurtris par la guerre vont trouver du réconfort et une place dans cette école, où ils apprendront et évolueront. Un élève confira même que ce lieu se suffisait à lui-même, pas besoin d’en sortir tout était mis en place pour leur épanouissement, un enseignement, des amis, une maison – une vie. Accueillant pendant 8 ans de nombreux étudiants, les 24 chambres réparties sur 4 étages étaient des lieux d’intimité, de liberté et de sécurité. Les studios étaient prolongés par des balcons qui rapportaient l’aspect social laissé dans les couloirs, ils étaient le symbole de leur convivialité et de leur collectivité. Ces balcons donnaient sur une terrasse au niveau du sol, en face de la salle à manger, sur laquelle étaient installées des tables accentuant les échanges. C’est ce que voulait Walter Gropius, un avenir pour eux et une communauté.
Gropius Walter
Gerd Balzer nous montre une des constructions de Walter Gropius. Ce dernier veut créer, avec son école, une rupture radicale avec la guerre et donner une place à l’industrie artistique allemande, en y incluant sa jeunesse qui n’avait jusqu’à présent participé qu’à la fabrication d’armes. Le directeur du Bauhaus, a eu une place fondamentale dans le fonctionnalisme, recherchant la simplicité d’usage et l’utilisation de nouvelles techniques et concepts. Il unit les artisanats et les mets sur un pied d’égalité, avec les pratiques des beaux-arts. Il s’émancipe des règles d’imitations artistiques classiques des beaux-arts pour une liberté imaginative et abstraite. La place du corps et de l’hygiène y sont prises en compte ainsi que celle de la nature, mais surtout celle de l’élève. Tout le monde peut créer, il n’y a dans cette école pas de distinction d’âge, ni de hiérarchie, un projet de professeur sera jugé selon les mêmes critères que celui d’un étudiant. Toujours dans cette pensée que tout le monde peut créer, des permis de construction sont même obtenus par des architectes pour des élèves n’ayant pas fini leurs formations. Mais ces formations sont avant tout destinées à donner un métier aux jeunes rescapés de la guerre, comme disait Walter Gropius, « les artistes émergeront naturellement ».
Le Bauhaus se veut aussi sans distinction de sexe, mais à Weimar alors que naît l’école et sa réputation, le nombre important de femmes est jugé comme un manque de professionnalisme. Un quota officieux est alors mis en place et elles se voient orientées vers les ateliers de tissage. Cette pratique se poursuit à Dessau, mais permet de faire un tri qualitatif chez les femmes, ce qui rendra leurs œuvres plus abouties et plus recherchées. En apprenant aujoud’hui la dicriminationn qu’on subit les femmes dans cette école, nous pouvons remettre en question cette idée d’égalité. Néanmoins, le Bauhaus et ses principes ont permis de nombreux progrès sociaux au court du XXe siècle et en ont inspiré beaucoup.
Architecture de l’école
Ce bâtiment est une œuvre architecturale, l’un des plus célèbres du XXe siècle. L’élément fort retenu de cette œuvre, est l’immense mur rideau de fer et de verre du bâtiment de l’école supérieure (disparition du coin). Il se caractérise aussi par une architecture montrante, où rien n’est caché, tous les matériaux et les aspects structurels sont visibles. C’est une architecture totale, tout est préconçu jusqu’à la poignée de porte. La peinture est même utilisée pour faire ressortir des volumes ou caractériser des étages. Le mobilier est conçu par les élèves, selon des critères d’usage, de contraintes naturelles et d’économie.
Depuis l’extérieur, l’usage et les mouvements internes sont un mystère, pour les comprendre il faut observer le bâtiment dans sa totalité en se promenant autour, ou bien en le voyant depuis les airs.
« Faire un tour du bâtiment pour comprendre sa matérialité et la fonction de ses différents éléments » Walter Gropius.
Sa porte d’entrée est aussi difficile à trouver de l’extérieur. C’est une entrée discrète sous le pont administratif, ce qui renverse les codes classiques de la porte au centre de la façade. Ses composantes sont aussi originales pour l’époque, le bâti est asymétrique et les différents éléments, ayant des fonctions différentes, s’emboitent en s’interpénétrant de l’intérieur. Les murs porteurs sont mis en évidence et les piliers sont dessinés et renforcés, le but étant de se débarrasser de tout superflu structurel. Son orientation, elle aussi conçue en amont, permet de réveiller les élèves le matin, d’éclairer les ateliers de l’école supérieure durant toute la journée et de donner les derniers rayons de soleil à l’école technique. Les deux trous circulaires que l’on apperçoit en bas de la photo, sont en fait des fenêtres, pouvant rappeler la forme du soleil. Son toit plat laissait la liberté aux étudiants de profiter d’une terrasse en hauteur.
En 1934, le régime nazi prend le pouvoir et démantèle l’école. Les professeurs et étudiants vont alors fuirent cette Allemagne et propager leurs idées constructives. C’est à Tel-Aviv en Israël que les bâtiments, suivant les principes architecturaux du Bauhaus, seront les plus nombreux. Beaucoup vont aussi immigrer en Amérique comme Walter Gropius qui devient directeur du centre de design d’Harvard. Mies Van Der Rohe, le troisième directeur du Bauhaus, aura lui, une place importante dans l’apparition des gratte-ciels à Chicago et le professeur László Moholy-Nagy y fondera le « new Bauhaus ».
Bibliographie :
- Greenspan, Sam, « Photo Credit: Negatives of the Bauhaus » (podcast sur les photos de Lucia Moholy-nagy au Bauhaus https://99percentinvisible.org/episode/photo-credit-negatives-bauhaus/.
- Élodie Vitale, « Le Bauhaus de Weimar 1919-1925 », 1989, Édition Pierre Mardaga.
- Peter Feierabend, Janine Fiedler, Ute Ackermann, Jacques Aron, Marianne Brausch, « Bauhaus » Cologne, Allemagne : Könemann, ©2000.
- Centre canadien d’architecture. Richard Pare, Catherine Evans Inbusch, Marjorie Munsterberg, « Photographie et architecture : 1839-1939 ».
- https://defr.abcdef.wiki/wiki/Prellerhaus_(Ateliergeb%C3%A4ude,_Dessau) et autre documentation sur le bâtiment lui même (plan, etc…)
- Christine Macel, Karolina Ziebinska-Lewandowska « Elles font l’abstraction », 2021.