Cette photographie prise par un inconnu montre l’intérieur de la bibliothèque privée John Rylands, située à Manchester en Angleterre. Cette bibliothèque a été érigée à sa mémoire par sa femme au tout début du 20e siècle afin d’y conserver tous les ouvrages accumulés par le bibliophile.
Le but visé de cette analyse photographique sera de faire ressortir les principaux éléments observables pouvant aider à définir cette bibliothèque comme un édifice important de la ville de Manchester. Il sera notamment question d’éléments de l’architecture gothique, des visées de cette construction, de prouesses technologiques afin de tenter de répondre aux changements environnementaux de l’époque ainsi que de l’atmosphère et de la lumière traversant cette bibliothèque.
Ce photographe inconnu a capturé dans sa photographie l’intérieur de la salle de lecture et d’étude vu de la mezzanine de la bibliothèque John Rylands. Toute la structure interne néo-gothique conçue par l’architecte Basil Champneys y est très perceptible. On voit notamment les arcs d’ogive aux entrées des niches adjointes au mur extérieur de l’édifice. Il y a aussi une présence d’arcs trilobés, aussi un élément architectural gothique, ainsi que plusieurs colonnes qui s’élèvent vers la voûte en croisée d’ogive, caractéristiques de ce genre architectural. De plus, il est possible de voir à travers ces éléments l’influence de la maçonnerie. La maçonnerie (PUGIN, p. 18) est un des points centraux de cette architecture, puisqu’il s’agit des bases des fondations de l’édifice, à une époque à laquelle le métal était déjà introduit comme matériel structurel (DE LAUBIER, BOSSER, p. 158). On pourrait associer cette construction avec une cathédrale, étant donné ces petites alcôves ressemblant à de petites chapelles, ou encore au style qui est surtout associé à la religion chrétienne. Champneys a donc utilisé ce style d’architecture religieuse (BOWLER, BRIMBLECOMBE, p.178) de façon totalement volontaire. Le choix de ce style néo-gothique à une époque aussi tardive est assez particulier.
En effet, cette bibliothèque achevée en 1900 est une des dernières constructions de ce style. Les raisons peuvent être expliquées par la volonté peut-être de l’architecte de montrer une vérité, une honnêteté de l’édifice, comme le met de l’avant Pugin. « En fait, la contribution de Pugin à l’évolution de cette tradition a été moins importante que son interprétation morale et sociologique de l’architecture, celle-ci étant, selon lui, le plus fidèle reflet de l’état d’une société. » (WATKIN, MIDDLETON, p. 323). Cet édifice reflète, dans ce cas particulier, l’honnêteté de Enriqueta Rylands de faire « un monument original et utile » (DE LAUBIER, BOSSER, p. 158) afin de commémorer le décès de son mari John Rylands, homme fortuné de la fin du 19e siècle. Son intérêt pour les livres, l’éducation et le partage du savoir sont connus et c’est pour cette raison qu’à son décès, n’ayant pas personne à qui léguer sa fortune de 2,5 millions de livres sterling (GLASGOW, p. 401), sa femme choisit d’ériger un mémorial qui mettra de l’avant l’un de ses intérêts et d’une de ses volontés, soit de rendre accessible son savoir littéraire. Ainsi, dans ce cas particulier, le style néo-gothique sert non seulement à traduire l’honnêteté structurelle, mais également l’honnêteté des intentions de ce monument.
Un autre élément qui se remarque est la présence d’un réseau d’éclairage électrique. Assez inusité, ce système faisait partie du plan de construction. En vérité, ce choix s’explique par le désir de conserver les ouvrages au sein de la bibliothèque. En effet, l’éclairage au gaz s’avère mauvais pour les livres selon l’architecte (BOWLER, BRIMBLECOMBE, p. 186), et l’éclairage par foyer contribue à la pollution intérieure de l’établissement. Ainsi, l’inclusion de l’éclairage électrique agit comme une façon technique de réduire le dommage causé aux livres avec le temps. Une attention semble aussi être portée à l’espace vide créé par la mezzanine, à cette ouverture à l’allure propre et sereine. Cette attention à la spatialité qui ressort pourrait également être liée à sa construction, puisque la bibliothèque John Rylands a été conçue en portant une attention particulière aux changements environnementaux de la fin du 19e siècle. À cette époque, les industries voient un essor considérable, exerçant une forte influence sur la pollution atmosphérique. Manchester, ville industrielle et fournisseuse de coton (THE BRITISH MEDICAL JOURNAL, p. 258), est une ville dont la saleté s’incruste dans tous les bâtiments, autant la façade qu’à l’intérieur. La bibliothèque John Rylands y répond en employant des matériaux comme la red « Barbary plain » sandstone, une pierre de couleur rouge. Cela évite que la saleté soit visible et décolore la façade.
Ensuite, une attention a également été portée à la filtration de l’air du bâtiment. L’air de la ville était en effet très pollué et pouvait être un facteur de désagrégation des ouvrages en plus de souiller l’intérieur. Champneys répond à ce problème en gardant les multiples fenêtres fermées et en employant un système de filtration d’air extérieur, qui est purifié avec de l’eau et qui circule avec des ventilateurs à travers les étages, avant d’arriver dans l’espace de la bibliothèque (BOWLER, BRIMBLECOMBE, p. 185). Ainsi, l’architecte contribue à créer une atmosphère saine pour les usagers du bâtiment, ce qui montre que l’immeuble s’inscrit dans une idée d’esprit sain et d’environnement sain.
La photographie d’architecture transmet non seulement les moments et les espaces, mais également les différentes atmosphères, transcendant ainsi les époques et révélant des sentiments outrepassant les techniques et éléments architecturaux classiques. Cette photographie particulière de la bibliothèque John Rylands révèle une atmosphère lumineuse, presque divine. Cette question d’atmosphère est notamment abordée comme contrastant avec le contexte de construction :
But, for many years, it was not so; and generations of eager students have associated the John Rylands Library only with the curious Gothic colonnades and alcoves – reminiscent of a Cathedral – to be congenially experienced as a sort of retreat, after the noise and the traffic congestion, just outside.
ERIC GLASGOW, Manchester’s John Rylands Library, p. 400
À cette époque où la ville est à l’étroit, la maximisation de la lumière naturelle devient l’un des principaux objectifs de la bibliothèque John Rylands. Basil Champneys y arrive malgré la réglementation lui accordant tout juste 34 pieds de hauteur maximale (BOWLER, BRIMBLECOMBE, p. 177). Il maximise l’espace accordé aux fenêtres et construit une façade plus basse afin de permettre à la lumière de se rendre à la pièce principale montrée dans la photographie (BOWLER, BRIMBLECOMBE, p. 179). Ainsi, le bâtiment peut être pleinement éclairé grâce au recul progressif des différents étages. L’élévation considérable de la salle principale de la bibliothèque contribuait aussi à réduire les bruits ambiants et à donner cette ambiance mystique dont il est question. Pour finir, le choix du recouvrement des carreaux (BOWLER, BRIMBLECOMBE, p. 180) donne une allure verdâtre à la lumière qui perce à travers ces fenêtres, renforçant une ambiance de lumière diffuse religieuse.
Cette photographie marque la personne qui la contemple parce qu’elle reflète non seulement les innovations techniques déployées pour en faire un lieu dégagé et contrastant avec la pollution industrielle, mais aussi parce que les stratégies de construction participent à l’élévation presque spirituelle de ce lieu d’éducation, montrant l’importance accordée au savoir par ces deux mécènes victoriens. C’est définitivement cette atmosphère lumineuse dans la photographie qui ressort et qui fait de ce lieu l’un des plus marquants de la ville de Manchester. Il serait intéressant de la comparer aux autres bibliothèques privées afin de voir comment ces dernières représentent le savoir et la littérature.
Bibliographie
BOWLER, Catherine; BRIMBLECOMBE, Peter, Environmental Pressures on Building Design and Manchester’s John Rylands Library, Journal of Design History, Volume 13, Numéro 3, 2000, pages 175–191, disponible en ligne, https://doi-org.proxy.bibliotheques.uqam.ca/10.1093/jdh/13.3.175 Consulté le 23 octobre 2021.
BRITISH MEDICAL JOURNAL, The John Rylands Library, Manchester dans The British Medical Journal, Volume 2, Numéro 2169, Jul. 26, 1902, pages 258-260, PDF disponible en ligne,
https://www-jstor-org.proxy.bibliotheques.uqam.ca/stable/20273077?seq=2#metadata_info_tab_contents Consulté le 22 octobre 2021.
DE LAUBIER, Guillaume; BOSSER, Jacques, Bibliothèques du monde, Éditions de la Martinière, 2003, p. 157-168.
GLASGOW, Eric (2000), Manchester’s John Rylands Library, Library Review, Volume 49 Numéro 8, pages 400-403, disponible en ligne, https://doi-org.proxy.bibliotheques.uqam.ca/10.1108/00242530010347487 Consulté le 22 octobre 2021.
PUGIN, A. Welby, « Les vrais principes de l’architecture ogivale ou chrétienne », 1841, p. 18-22.
WATKIN, David; MIDDLETON, Robin, « VII. LE NÉO-GOTHIQUE », ARCHITECTURE MODERNE 1750-1870, Berger-Levrault, Paris, 1983, p. 321-328.