Au fil de sa carrière, l’architecte autrichien Adolf Loos revendique une nouvelle vision architecturale audacieuse et moderne pour l’époque. L’ingénieur et historien Harald R. Stühlinger décrit les réalisations et les écrits théoriques de Loos comme étant ancrés dans un profond militantisme révolutionnaire. L’expert ajoute que sa contribution métamorphose complètement l’architecture de la ville de Vienne. Au début du 20e siècle, cette dernière est envahie par un style éclectique. Loos est l’un des premiers à mettre davantage de l’avant les proportions et les volumes dans la configuration de ses bâtiments. La Villa Müller, construite pour l’entrepreneur František Müller et sa femme Mirada Müllerová, à Prague entre 1928 et 1930, est une maison synthèse de ces principes. Le client était propriétaire d’une entreprise spécialisée dans le béton armé, de sorte que la maison devait être une vitrine de cette technique pionnière. Selon Stühlinger : « Les façades blanches et simples ne laissent pas présager les systèmes complexes et intimes des espaces intérieurs, souvent très colorés et exécutés avec desmatériaux de luxe. (…) La Villa Müller est une maison représentative de ce concept (…) » (Stuhlinger, 2019). Avec sa forme cubique et sa façade blanche et austère, la villa incarne dans son aspect extérieur les principes exposés par l’architecte dans son essai fondateur « Ornement et crime » (Loos, 1908).
Le premier plan du rez-de-chaussée renferme plusieurs éléments synthétiques de la pratique artistique chez l’architecte révolutionnaire. Ce dessin a été réalisée en 1928 par Loos afin d’acquérir le permis de construction. Ce dessin originalLa forme de cette ébauche du projet est un plan de niveau, un des principaux dessins d’architecture. Cette vue du dessus illustre, à la manière d’une carte, l’aménagement de l’espace par étage d’un bâtiment. Plusieurs détails frappants ressortent de cette esquisse de Loos, par exemple la forme simple du dessin qui renferme l’organisation spatiale complexe de l’intérieur. Comme si chaque fragment était réfléchi en fonction des autres, semblable à un casse-tête. Un autre détail majeur à relever est l’aspect angulaire de l’escalier en spiral qui converge vers le haut. Cependant, on remarque en premier les dimensions démesurées des superficies du bâtiment. La mesure de chaque élément est clairement identifiée. La configuration de la cotation3, considérée trop massive, a d’abord été rejetée par le Conseil de Prague, pour être ensuite acceptée telle quelle. L’organisation des espaces est extrêmement précise, car les pièces sont identifiées par leurs fonctions dans la langue tchèque. Par exemple, l’espace intitulé Lazen, qui signifie lire, est un boudoir de lecture. Le parcours de circulation n’est pas directif dans ce dessin. Loos offre une entrée grandiose qui semble donner une ouverture sur les autres pièces. Celles-ci sont toutes rectangulaires et séparées les unes des autres. Les douze pièces se succèdent dans un ordre qui n’est ni symétrique ni directionnel quant au parcours de l’étage, elles semblent former leur entité à part entière. Cela ramène les éléments à leur propriété ponctuelle et fait le pont avec cette architecture conceptuelle propre à Loos où chaque espace est chargé d’une valeur symbolique. Cependant, une certaine hiérarchisation des lieux existe : l’escalier est le point culminant de l’étage. La balustrade, ayant un angle parfaitement droit, rejoint l’aspect structurel de l’extérieur de la villa qui semble être l’enveloppe d’un prisme rectangulaire. Le dessin ne représente pas de figures humaines ni d’éléments naturels, un trait omniprésent dans les croquis avancés qui marquent la fin de la carrière de Loos. Connu également pour ses esquisses de fusain au tracé non figuré, cet architecte livre avec ce plan de la Villa Müller un dessin aux instruments extrêmement calculé. Les traits sont fins et les murs principaux à la structure sont identifiés d’une couleur pêche. La composition de Loos peut rappeler les toiles de Piet Mondrian avec les aspects d’emboitement réfléchis des formes géométriques et de la précision des lignes. Les cordons, moulure horizontale marquant les étages, prennent une plus grosse épaisseur dans le tracé du papier. Le rendu final est sobre, précis, mais demeure mystérieux et vivant. Pour ce qui est des fenêtres, chaque pièce en possède au moins une. Ce fenêtrage crée des ouvertures presque concaves vers l’extérieur, comme si celles-ci laissent filtrer la lumière à travers un entonnoir. Les ouvertures internes convergent vers l’organe principal, l’escalier.
L’escalier est aussi l’élément clef de la coupe. Sur celle-ci, on remarque que les pièces ont chacune des hauteurs différentes. Cette originalité traduit la théorie du « raumplan ». En 1931, deux ans avant la mort de Loos, Heinrich Kulka, un de ses protégés, avait publié sa première monographie. Dans cet ouvrage, il dédit un chapitre entier à cette nouvelle théorie : « Adolf Loos introduced to the world a new and essentially higher conception of space : free thinking in space » (Jara, 1995, p.185). Il décrit ensuite le principe du raumplan. « Raum » signifie « pièce » ou « espace » en allemand et la conception repose sur un principe de manipulation spatiale. Loos explique « My work down not really have a ground floor, first floor or basement. It only has connected rooms, annexes, terraces. Each room requiers a particular height…The rooms must then be connected in such a way as to make the transition imperceptible, and to effet it in a natural and efficient fashion » (Loos cité par Jara, 1995, p.200). L’escalier central sert de repère pour se situer dans cet ensemble libre et presque anarchique.
Sur la coupe, comme sur le plan, aucun détail ne vient brouiller la lecture des espaces. On remarque aussi un nombre exagéré d’escaliers pour une construction résidentielle. Ceci peut se justifier par le nombre de paliers nécessaires pour modifier les hauteurs des plafonds. Enfin, les cloisons entre les pièces sont très minces, légères par rapport aux murs porteurs de béton qui forment le périmètre de la maison. [Travail étudiant anonyme, 2018]
Bibliographie
Jara, Cynthia, « Adolf Loos’s « Raumplan » Theory », Journal of Architectural Education, Vol. 48, No. 3 (Feb., 1995), pp. 185-201 (en ligne)
Loos, Adolf et al. « La même inégalité pour tous », Adolf Loos 1870-1933, Belgique, Liège P. Mardaga, 1985, p. 11-113.
Loos, Adolf, » Ornament and Crime. Innsbruck, original, 1908
Stuhlinger, Harald R. , «Loos Adolf – 1870-1933 », Encyclopaedia Universalis, s.d. En ligne http://www.universalis-edu.com.proxy.bibliotheques.uqam.ca/ encyclopedie/adolf-loos/ Consulté le 2 avril 2019.
Van Duzer, Leslie, Kent KLEINMAN et Adolf LOOS, « Part One – Paper Work», Villa Müller a work of Adolf Loos, New York, Princeton Architectural Press, 1994, p. 21-37.