Adolph Mueller House et l’invisibilisation de Marion Mahony Griffin

Mati Maldre, « A. Mueller House », 1991, b&w photograph, Walter Burley Griffin society.
Source: https://www.griffinsociety.org/griffin_gallery/a-mueller-house/

Marion Mahony Griffin (1871-1961)

Marion Mahony Griffin est une architecte originaire des États-Unis. Née en 1871, elle est la deuxième femme à être diplômée de l’école d’architecture de l’institut de technologie du Massachusetts. À partir de 1895, celle-ci va rejoindre le studio de Frank Lloyd Wright comme Superintendante et Illustratrice technique (Pregliasco, 1995, p.166), c’est à partir de cette époque que le style Prairie va naître. Dans le texte de Ellen E. Robert, celle-ci décrit le style prairie comme étant « l’incorporation dans l’architecture de l’asymétrie, la simplicité géométrique et l’abstraction tant admirée dans les étampes japonaises et les constructions japonaises traditionnelles » (Roberts, 2013, p.3). Elle note aussi l’importance de Griffin pour le mouvement de La Prairie school car après le départ précipité de Wright pour l’Europe en 1909, c’est Griffin qui va continuer à défendre et produire dans ce style. Un des meilleurs exemples de l’influence japonaise est le dessin reproduisant l’extérieur de la maison d’Adolph Mueller fait sur du papier de soie par Griffin (voir figure 2). Ici Roberts décrit que la perspective utilisée dans le dessin évoquerait les paysages de Katsushika Hokusai. En jouant avec les pleins et les vides dans le dessin, « [shes] creat[es] an asymmetrical yet balanced composition in which detail is contrasted with emptiness »  (Roberts, 2013, p.7).

Figure 2, Marion Mahony Griffin, Millikin Place, encre sur papier, 1910. source:
https://digital-libraries.artic.edu/digital/collection/mqc/id/48293/rec/9

4 Millikin Place IL

Il y a très peu de construction officiellement attribuée à Marion Mahony Griffin, car elle a majoritairement été reléguée par les historiens au statut d’assistante de Frank Lloyd Wright, ou épouse de Walter Burley Griffin. Toutefois, la maison de Adolph Mueller, réalisée à partir de 1906, est une des seules qui a été complètement crée par Griffin et où il est possible de ressentir se style qui lui est propre. Pour citer Harold Allen Brooks: « it may safely be considered the most complete, authentic house ever built to her designs » (Brooks, 1975, p.159). Ainsi donc, ce dessin est particulièrement intéressant, car il n’est relié à aucun des deux hommes de la vie de Griffin.

Figure 1, Marion Mahony Griffin, Adolph Mueller House plan, encre sur papier, 1916.
source: Harol Allen Brooks, Praire school: architecture studies from western architect, Toronto, University of Toronto press, 1975, p. 159

L’image choisie ici pour représenter la maison Mueller est un dessin architectural en plan du rez-de-chaussée de la construction. Celui-ci est produit à l’encre sur papier calque. Janice Pregliasco note que les techniques utilisées par Marion M. Griffin pour ses dessins architecturaux sont sommes toutes très classique, vestige de ses études au MIT (Pregliasco, 1995, p. 169).

Revenons au dessin du 4 Millikin Place, la maison est formée en plan en L, de façon à ce que le bâtiment soit fait sur la longueur à l’horizontale lorsque la maison est vue de face. Celle-ci est construite sur deux étages (le rez-de-chaussée et le premier étage), mais Griffin à adroitement accentué l’horizontalité de la maison en positionnant deux porches couverts uniquement au niveau du rez-de-chaussée à droit et à gauche de la maison, ce qui prolonge celle-ci et rappel fortement l’architecture domestique japonaise (voir figure 2). Autre fait marquant qui rappelle le style prairie dans la structure de la maison est qu’il n’y a presque pas de mur extérieur. Évoquant les prémisses du mur rideau, l’entièreté des murs externes sont uniquement faits de fenêtre soutenue par de massives poutres de support. Ce choix produit un effet étrange de légèreté massive. Dernier détail important dans le choix architectural de la maison, la toiture à deux versants terminant par des avant-toits retroussés évoque le style de toiture kirizuma (toit simple à double pente). 

Le plan produit par Griffin est très exhaustif dans son ensemble, les murs sont facilement identifiables par leur épaisseur et leur rendu foncé tandis que les fenêtres sont discernables par le trait de crayon fin et double. Le trait des coupes est clair et précis. Le plan ne reproduit toutefois pas les techniques de hachure qui sont normalement utilisés en fonction des matériaux ce qui fait en sorte qu’il est difficile de comprendre où se trouvent les cloisons en bois. De plus, Griffin choisi (ou néglige) d’inscrire la direction des portes. Cela dit, elle a méticuleusement identifié les espaces et leurs fonctions. En choisissant de travailler de cette façon, l’architecte impose son autorité sur la fonction de chaque espace, ne laissant aucune place à l’interprétation libre ou à la subjectivité. Cela fait en sorte que la lecture du plan et l’intention de l’architecte sont très faciles à interpréter. Griffin a donné beaucoup d’importance aux espaces de vie et de réception. Dans un style relativement classique, elle place le salon, hall et salle à manger à l’avant de la résidence et les espaces pour les domestiques à l’arrière. Cela ne fait pas en sorte que la commodité des lieux en soit affectée, mais cela donne une impression d’intimité et de tranquillité face à l’animation produite par les cuisines relayées à l’arrière de la maison. Griffin joue énormément avec l’emplacement des murs pour crée des effets d’ouverture et de cloisonnement. Chaque pièce à son importance délimitée par sa grandeur.

Adolph Mueller Living Room, « Ryerson and Burnham Archives », Art institute of chicago. Source: https://digital-libraries.artic.edu/digital/collection/mqc/id/48049/rec/2

Étrangement, le plan de Griffin pourrait être annonciateur de l’architecture moderne tel que décrit par Le Corbusier en 1927, quand celui-ci explique le concept de promenade architecturale: la bâtisse ne peut s’appréhender qu’en marchant, en diversifiant dans le temps les points de vue (Morel Journel, 2020). En laissant certaines pièces ouvertes (salon, hall et salle à manger)(figure 4), Griffin fait en sorte qu’il est possible de voir d’un bout à l’autre de la maison, sans pour autant en absorber l’essence complètement. Le déplacement à travers celle-ci devient donc nécessaire pour en comprendre les détails. Dans son ensemble la maison d’Adolph Mueller constitue un bel exemple des capacités techniques et picturales de l’architecte. Par l’attention aux détails et la minutie qu’elle apporte à son plan, Griffin permet une lecture efficace de la construction, mais aussi du style qu’elle cherche à produire par l’architecture.

Conclusion

À partir de ce travail interprétatif du plan de la maison Mueller, l’objectif de ce projet de recherche était de mettre en lumière une œuvre qui a longtemps été attribuée à la mauvaise personne. Marion Mahony Griffin est encore aujourd’hui très peu reconnu pour la place énorme et l’influence qu’elle a eue sur des hommes reconnus dans le « star-système » du monde architectural. Le travail de décomposition du concept de canon est ardu, mais revisité les travaux mêmes des historiens qui l’ont mis en place est d’autant plus difficile. Marion Mahony Lucy Griffin mérite d’être reconnue pour ses propres créations.

Bibliographie

BIRMINGHAM, Elizabeth, « The Case of Marion Mahony Griffin and The Gendered Nature of Discourse in Architectural History », Women’s Studies, Vol.35, no 2, mars 2006, pp.87-123. En ligne. <  https://doi.org/10.1080/00497870500488065 ˃. Consulté le 24-02-2020.

BROOKS, Harold Allen, Prairie school: architecture studies from The Western architect, Toronto, University of Toronto Press, 1975, 333 pp.

GRIFFIN, Marion Mahony, The Magic of America: Electronic Edition, 2007. The Art Institute of Chicago and The New-York Historical Society. En ligne. < http://www.artic.edu/magicofamerica/index.html >. Consulté le 20-02-2020.

PREGLIASCO, Janice, « The Life and Work of Marion Mahony Griffin », Art Institute of Chicago Museum Studies, Vol. 21, No. 2, janvier 1995, pp.165-192. En ligne. < www.jstor.org/stable/4102823 ˃. Consulté le 20-02-2020.

ROBERTS, Ellen E., « Ukiyo-e in Chicago: Frank Lloyd Wright, Marion Mahony Griffin and the Prairie », Art in Print, Vol. 3, No. 2, août 2013, pp. 3-10. En ligne. ˂ https://www.jstor.org/stable/43045535 ˃. Consulté le 22-02-2020.

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