La richesse et le prestige tendent à amener celui qui y goûte vers le haut, vers cette idée de supériorité, et ce, dans les deux sens du terme. La casa Malaparte est un parfait exemple architectural incarnant l’idée du prestige, de la notoriété. Cette villa moderne campée sur le haut d’une falaise sur l’île de Capri en Italie démontre que le propriétaire, Curzio Malaparte, devait faire une maison à son image « Casa come me ». Ce personnage détenait un haut statut social en Italie, c’était un écrivain de renom, un homme politique et un fasciste qui avait pris goût à l’isolation suite à un emprisonnement. Cette étrange villa de forme parallélépipède datant de 1942 est un cas qui demeure à ce jour nébuleux et peu documenté.
L’architecte, Adalberto Libera, fut contacté par Malaparte afin de concevoir une villa moderne. Le propriétaire ne voulait rien savoir du classicisme qui était fortement sollicité ailleurs en Italie puisqu’il stipule : « no little Romanesque columns, … no arches, … no ogival windows, none of those hybrid marriages between Moorish, Romanesque, Gothic, and secessionist styles » (Malaparte cité dans Talamona, 1992, p.40). C’est pourquoi il approchât Libera, réputé à l’époque pour son modernisme qualifié d’avant-gardiste en Italie. L’architecte avait déjà signé plusieurs bâtiments domestiques qui reflétaient les désirs de Malaparte, ce désir de nouveauté et d’unicité. Les bâtiments exécutés par Libera étaient donc majoritairement faits de béton et ne comportaient aucun ornement tel que Apartment Building For Societa Immobiliare Tirrena de 1932-34. Ce qui est d’autant plus intéressant et mystifiant par rapport à ce bâtiment est la transformation qu’il a subie au cours des années. Le plan initial, déposé par Libera en 1938 (figure 1), n’a rien à voir avec le résultat final. Dison, que cette maison fut signée par deux artistes différents puisque personne ne sait à ce jour comment le produit fini fut orchestré. Chose certaine, Libera discrédite ce logement comme étant le sien, cela laisse présager que l’implication de Malaparte était prédominante et problématique. Marida Talamona souligne à cet égard: « Relations between the two had degenerated to such an extent that the architect was already trying to extricate himself from the commission. » (Talamona, 1992, p.8)
Le plan retrouvé ci-haut (figure 2) date de 1957 et offre une reproduction exacte de la casa Malaparte. Bien qu’il ne s’agisse pas du plan initial, il demeure véridique et crucial pour la compréhension de l’espace puisqu’aucun autre document n’a survécu à la turbulente construction de cette villa. D’abord, le bâtiment est séparé en trois étages, soit le sous-sol, le rez-de-chaussée et le premier étage. Sans oublier le toit qui est accessible via des escaliers de formes trapézoïdales à l’extérieur. La villa fait 28 mètres de long et 6,6 mètres de largeur. L’entrée se trouve du côté sud-ouest de la maison au rez-de-chaussée. Il est important de noter qu’il y a une seule porte d’entrée pour tout le bâtiment vu la complexité de la géographie du terrain. De fait, le bâtiment est littéralement dépendant du terrain, sa conception est faite en condition de l’emplacement. C’est pourquoi au rez-de-chaussée la partie centrale est condamnée, le relief du terrain donne vie et forme à la structure de la villa. Aussitôt à l’intérieur, nous sommes confrontés à une salle à manger, il y a un four, une table et des bancs qui peuplent cette pièce. Toujours en rentrant, du côté gauche se trouve la cuisine et du côté droit un corridor qui mène à quatre chambres d’invité et deux salles de bains. Chacune des pièces mentionnées précédemment contiennent une fenêtre qui donne vue sur l’océan. Cela dit, l’entrée est très bien située puisqu’elle donne accès à de multiples pièces de part et d’autre. De plus, directement en rentrant, on retrouve à gauche les escaliers menant au premier étage. L’accessibilité est donc mise de l’avant aussitôt que l’on met les pieds dans cette villa. Au premier étage se tient un immense salon ayant pour dimension 8 par 15 mètres. D’énormes fenêtres se retrouvent sur la façade sud-ouest et nord-est du bâtiment. Plus précisément deux de chaque côté, offrant une des vues les plus spectaculaires. Sur le mur sud-ouest du salon repose un foyer qui permet de chauffer l’ensemble de la maison. Par ailleurs, si nous continuons notre route en direction nord-ouest sur ce même étage, nous aboutissons à un corridor en forme de T, menant à la chambre des maîtres et la chambre de la « Favorita ». Ces deux chambres sont munies d’une salle de bain privée et d’une fenêtre. La chambre de la « Favorita» contient également un foyer en coin. À partir de la chambre des maîtres, nous avons accès au bureau de Malaparte. Cet espace privé était son atelier d’écriture, là où il laissait son imagination battre son plein. Or, cette pièce contient trois fenêtres et celle sur la façade nord-ouest porte le spectateur vers l’infini de l’horizon. C’est sans doute dans ce bureau que l’on retrouve la vue la plus époustouflante de la villa.
En comparant le plan initial de Libera à celui de 1957, il est facile de percevoir l’implication de Malaparte, je dirais même l’appropriation qu’il en a faite. Ainsi, il est compréhensible que de la friction ait surgi entre les deux. Aucun n’architecte ne voudrait voir son projet se métamorphoser de sorte qu’il devient méconnaissable. Pour ce faire, Curzio Malaparte voulait faire de cette maison un manifeste, un endroit regorgeant de caractère et surtout, une villa à son image. Les architectes Wiel Arets et Wim van den Bergh émettent à cet effet en 1989 « The villa, Malaparte’s ‘casa come me’, is a kind of temple dedicated to the ultimate concern of metaphysics, the principle of identity. » (Wiel Arets et Wim van den Bergh, 1989, p.12) La casa Malaparte est désormais ouverte au public qui souhaite visiter ce lieu culte, véritable icône sur l’île de Capri. D’ailleurs, l’utilisation de la villa dans le film Le mépris de Jean-Luc Godard sous-entend que cette maison est digne d’immortalisation et agit, même après la mort de Malaparte, comme vecteur de créativité.
Bibliographie
Talamona, Marida. « Casa Malaparte » English Translation, Vittoria Di Palma. Princeton Architectural Press, 1992, 165 p.
Sels, Nadia, and Kris Pint. “Energies of History » in Modernism: the Case of Casa Malaparte.” Interiors, vol. 6, no. 2, 2015, pp. 122–137.
Garofalo, Francesco, and Veresani, Luca. « Adalberto Libera ». Princeton Architectural Press, 1992. 208 p.
Spina, Davide. « The Good, the Bad and the Malaparte. » AA Files, no. 72 (2016): 3-19. Accessed March 4, 2020. www.jstor.org/stable/43843004.
Talamona, Marida, Wiel Arets, Wim Van Den Bergh, Yehuda Safran, and Curzio Malaparte. « VILLA MALAPARTE. » AA Files, no. 18 (1989): 3-14. Accessed March 4, 2020. www.jstor.org/stable/29543657.