Le romantisme de Fonthill Abbey (1796-1813), James Wyatt

Joseph Mallord William Turner et James Wyatt, Projected Design for Fonthill Abbey, Wiltshire, 1798, Aquarelle sur papier vélin doublé de lin, Yale Center for British Art, Paul Mellon Collection, USA. Source : En ligne.

Fonthill Abbey fut construite entre 1796 et 1813. Bâtiment de style néogothique, la demeure était le projet de l’écrivain britannique et riche héritier, d’une famille qui avait fait fortune dans la plantation de sucre, William Thomas Beckford. Afin de réaliser cette ambitieuse habitation, il choisit de travailler avec l’architecte James Wyatt, figure importante de l’architecture néogothique à cette époque. Effectivement, Wyatt avait fait son nom grâce à son travail de restauration de nombreuses églises gothiques et à sa réalisation de plusieurs constructions d’architecture domestique de style néogothique ; telles que Sheffield Park, Sussex (c.1775-87), Sandleford Priory, Berkshire (1780-89) et Lee Priory, Kent (1782-1790), pour ne nommer que celles-là. Les idées de grandeurs de Beckford et de Wyatt s’inscrivent dans leur époque, c’est-à-dire, à un moment où le pittoresque, caractérisé par sa nature sauvage, son asymétrie et son audace dans les formes et les textures, occupe une place importante en Angleterre et où le mouvement romantique, au sein duquel la raison est remplacée par l’émotion et la sensibilité, fait ses débuts. C’est pourquoi il est intéressant d’étudier l’aquarelle Projected Design for Fonthill Abbey, Wiltshire (1798), de J.M.W. Turner et James Wyatt, puisqu’elle permet d’observer comment le style néogothique sert bien les aspects grandiose et dramatique du pittoresque romantique recherché par Beckford.

Le premier élément qui ressort de façon évidente dans l’œuvre de Turner et Wyatt est l’amplitude du bâtiment. Effectivement, Fonthill Abbey est considérée comme la première demeure de style néogothique qui se compare à la taille d’une cathédrale. Comme l’affirme Peter N. Lindfield dans le texte The ‘Chaos of Modern Gothic Excrescences’: Regency to Revolution : « […] it was the first Gothic Revival country house on the scale of a palace, and the scholarly quality of its Gothic structure and interior fittings are noteworthy. » (Lindfield, 2016, p. 189). Il est possible de constater que cet aspect de grandeur est accentué, par les artistes, dans la représentation des personnages, qui se trouvent devant l’aile à la gauche du portail d’entrée, qui paraissent minuscules aux côtés de la somptueuse demeure. Si Fonthill Abbey s’apparente à une cathédrale, c’est, entre autres, parce que l’une des principales inspirations, au début de sa réalisation, tant pour Wyatt que pour Beckford, est le monastère de Batalha (1386) au Portugal. Dans la perspective peinte par Wyatt, on constate la présence de plusieurs éléments tirés de l’architecture de la cathédrale gothique. Tout d’abord, dans la flèche monumentale supportée par un système d’arcs-boutants et de contreforts qui lui permettent toute sa hauteur, mais également par la présence de pinacles ornementés de fleurons. De plus, les nombreuses fenêtres sont caractéristiques de l’architecture gothique d’autant plus qu’elles sont constituées, tout comme les portes, d’arcs brisés.

Monastère de Batalha, 1386, photographie. Source : En Ligne.

Ensuite, un autre aspect important de l’œuvre de Turner et Wyatt est la présence de la nature, peinte à l’aquarelle par J.M.W. Turner. Bien qu’il ait commencé sa carrière en travaillant dans des ateliers d’architectes comme dessinateur, au moment où il peint le paysage et le ciel de Projected Design for Fonthill Abbey, Wiltshire (1798), il est un peintre paysagiste qui connaît un grand succès (Wilton, 2012, p. 323). Ce qui est intéressant dans cet aspect est qu’il est possible de s’imaginer que la participation de J.M.W. Turner à cette œuvre montre que la nature occupe une place importante dans le projet de construction de Fonthill Abbey. Effectivement, au-delà de la forme du bâtiment et de son style architectural, qui est présenté par l’architecte, la participation de Turner dans l’arrière-plan de la représentation peut signifier que sa présence est considérable et que le paysage fait partie du projet en soi. Effectivement, celui-ci ajoute à la monumentalité de la demeure. Son ciel immense et la nature qui l’entoure contribuent à l’aspect pittoresque de la représentation et à son inscription dans le style romantique par l’émotion qu’elle suscite.

De plus, une autre particularité de l’architecture néogothique qui est présente dans l’aquarelle de Turner et Wyatt, et qui ajoute au caractère pittoresque, est l’irrégularité de son plan. Effectivement, comme le mentionne S. Lang dans son texte The Principles of the Gothic Revival in England : « Asymmetry would have been « Gothic » in the eyes of the eighteenth-century spectator in England, symmetry was classic. » (S. Lang, 1966, p. 246). En observant Projected Design for Fonthill Abbey, Wiltshire (1798), il est facile de constater que le bâtiment est asymétrique. Le Portail principal de la demeure située en dessous de la flèche ne se trouve pas au centre, mais porte plutôt vers la droite. De plus, la hauteur des différentes parties est irrégulière de part et d’autre de cette même entrée. De façon encore plus concrète, il est possible de se référer au Plan of the Principal Story de J. Rutter, afin de constater qu’il ne s’agit pas d’un plan symétrique, ce dernier étant alors associé à l’ordre classique. Toujours en se référent au texte The Principles of the Gothic Revival in England, S. Lang cite Humphrey Repton, jardinier paysagiste qui s’est intéressé aux principes de l’architecture gothique et qui affirme que l’irrégularité de l’architecture gothique semble souvent être employée dans le but de créer une impression encore plus importante de grandeur. Selon lui, il s’agirait d’un des effets que la complexité et la variété des différentes parties du bâtiment ont sur l’œil du spectateur (Lang, 1966, p. 258). Il est possible d’affirmer que cet effet est reproduit dans l’aquarelle de Turner et Wyatt.

J. Rutter, Fonthill Abbey, Plan of the Principal Story, Delineations of Fonthill and its Abbey, 1823. Source : En ligne.

Finalement, à la lumière de ce que nous avons pu observer dans l’œuvre Projected Design for Fonthill Abbey, Wiltshire (1798), de J.M.W. Turner et James Wyatt, en plus de pouvoir observer les éléments néogothiques qui qualifient son style architectural, il est possible d’affirmer, que la volonté de représenter la monumentalité de l’habitation à travers l’influence de la cathédrale gothique, l’ajout d’éléments de la nature à la représentation et son caractère asymétrique, participe à son inscription dans le style romantique de l’époque de sa construction. Il serait possible de pousser cette analyse encore plus loin en s’attardant à son espace et sa décoration intérieure. Effectivement, cet effet spectaculaire de grandeur est aussi présent, entre autres, dans son Great Western Hall avec ses arches qui atteignent une hauteur qui semble presque impossible, en comparaison avec les personnages représentés, et son escalier gigantesque. Comme l’affirme John Rutter dans sa description du Great Western Hall : « As we pass the threshold, the height of the archways, and the dimensions of the doors, are felt with surprise; and we recommence our career of wonder by a distant view of the scene of our former astonishment, through the almost faulty elevation of the Western Vestibule. » (Lindfield, 2016, p. 187).

J. Rutter, Fonthill, Interior of the Great Western Hall, Fonthill and its Abbey, 1823. Source : En ligne.

Bibliographie

LANG, S., « The Principles of the Gothic Revival in England », Journal of the Society of Architectural Historians, vol. 25, no. 4, Décembre 1966, p. 240-267

LINDFIELD, Peter N., « The ‘Chaos of Modern Gothic Excrescence’: Regency to Revolution », Georgian Gothic:  Medievalist Architecture, Furniture and Interiors, 1730-1840, Woodbridge, Boydell & Brewer, Boydell Press, 2016, p. 180-221

LINDFIELD, Peter N. et Dale TOWNSHEND, « Reading Vathek and Fonthill Abbey: William Beckford’s architectural imagination », Fonthill Recovered: A Cultural History, Londres, UCL Press, 2018, p. 284-301

WILTON, Andrew, « J. M. W. Turner, James Wyatt and the importance of stained glass », The Burlington Magazine, vol. 154, no. 1310, British Art, Mai 2012, p. 322-329

WILTON-ELY, John, « The Genesis and Evolution of Fonthill Abbey », Architectural History, vol. 23, 1980, p. 40-51 et p. 172-180

WOOD, Min, « The Landscape of Fonthill », Fonthill Recovered: A Cultural History, Londres, UCL Press, 2018, p. 201-220

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