Marcel Breuer est un architecte né du Bauhaus. Sa vision de l’architecture et du design est donc épurée, géométrique et fonctionnelle. Breuer conçoit en 1945 à la demande de Gilbert Tompkins, un agent d’artistes, une maison privée pour ce-dernier. Située à Hewlett Harbor, dans l’état de New York aux États-Unis, elle représente bien le style de l’architecte hongrois, que le photographe américain Ezra Stoller a bien su capturer dans la photo ci-haut, comme il l’a fait avec plusieurs autres projets de Breuer.
MARCEL BREUER
Après sa formation en Allemagne, Breuer ira poursuivre sa carrière aux État-Unis. Il commence d’abord par concevoir des meubles, ce qui est d’ailleurs ce qui le rendra célèbre. Il invente notamment à ses débuts un modèle de chaise en acier dont on voit la structure, qui deviendra iconique et marquant pour le design au 20e siècle partout en Europe et même à l’international. Plus tard, dans les années 1940-1950, il se lance dans la création de plusieurs maisons privées et ensuite dans celle d’espaces commerciaux: il signera plus de 150 bâtiments au cours de sa carrière. Nous verrons dans ce travail l’esthétique de Marcel Breuer qui met en valeur les matériaux bruts qu’il utilise et qui s’inscrit parfaitement dans l’esthétique moderne du Bauhaus.
LES TEXTURES DANS LA PHOTOGRAPHIE DE STOLLER
La photographie que j’ai choisie met en valeur les différentes textures de la maison. On voit bien dans cette photographie le grain du bois dans les marches de l’escalier, l’aspect luisant des statuettes à gauche, l’aspect poreux des pierres au sol et même les irrégularités dans le recouvrement du plafond. En effet, ceci est une caractéristique de l’architecture de Marcel Breuer, il fait honneur aux différents matériaux qui composent ses oeuvres. On a pu l’observer plus tôt avec l’acier visible des chaises qu’il concevait, mais c’est aussi présent dans ses conceptions d’intérieur. Dans un article du MoMA en vue de leur exposition sur Marcel Breuer en 1981, on décrit cette particularité de son esthétique:
« With great sensitivity and clarity he created interior designs through the use of small number of component elements, allowing each, wether it was a woven floor covering, a wide expanse of wall, or a piece of furniture, to assume large significance within the interior space he had conceived. »
– Museum of Modern Art, 1981.
LA VISION D’EZRA STOLLER
Ezra Stoller est un photographe d’architecture américain originaire de Chicago. Il collabore avec plusieurs architectes au cours de sa carrière, et ce plus d’une fois avec Marcel Breuer. Dans ses écrits, Stoller définit le travail du photographe d’architecture comme un véhicule pour emmener l’idée du créateur du bâtiment (soit l’architecte) aux yeux de tous, même ceux qui ne peuvent pas en faire l’expérience en personne. Nous verrons donc dans ce travail qu’il se place donc dans une position où il tente de comprendre la maison conçue par Breuer et d’en tirer un portrait fidèle à la vision de son créateur. Il ne veut pas traduire par la photographie ce qu’il percoit du bâtiment: il veut rester fidèle à la vision de Breuer. Il explique dans son article de la revue Perspecta intitulé Photography and The Language of Architecture, que l’architecte est toujours fortement impliqué dans l’étape de photographie de son oeuvre. Breuer collabore donc avec Stoller pour créer les images que je vous présente afin de rester en harmonie avec son idée moderne et épurée de l’architecture.
Un autre élément marquant de la photographie que j’ai choisie, et la raison de mon choix d’ailleurs, est la lumière qui passe à travers l’escalier. Les rayons du soleils projetés géométriquement sur le mur sont marquants dans cette photographie et font écho à l’aspect géométrique de l’extérieur de la demeure privée. Ils dynamisent le seul mur blanc sans texture et le rendent intéressant visuellement grâce à l’effet créé par le photographe.
LES CONTRASTES DANS L’ARCHITECTURE DE BREUER
En plus des textures, cet architecte utilise également les contrastes dans ses habitations minimalistes typiques du Bauhaus. Dans un texte du Metropolitain Museum of Arts Bulletin, on explique qu’au cours de sa carrière ceci devient une caractéristique reconnaissable de son travail.
« Remarkably, however, his exploration of architectural form as the product of the juxtaposition of materials, techniques, and opposing fundamental qualities-solid and void, light and heavy, transparent and opaque »
– Barry Bergdoll et John H. Beyer dans un article du Metropolitain Museum of Arts Bulletin en 2016.
Ce concept est particulièrement bien rendu dans la photo de Stoller; avec l’angle qu’il choisit de photographier, sous l’escalier, il fait ressortir le vide entre les marches en opposition aux marches elles-mêmes. Il le fait également en confrontant la surexposition dans le coin supérieur droit aux riches noirs des statuettes, ce qui est d’ailleurs accentué par le fait que la photo soit prise en noir et blanc. L’oeil ne voit pas les différentes couleurs, il est donc plus facile d’examiner le contraste et la luminosité. Ezra Stoller reflète donc par sa photographie l’amour des contrastes qu’a Breuer et qu’il inclut dans ses réalisations architecturales.
LA LUMIÈRE DANS LA MAISON GILBERT TOMPKINS
La maison Tompkins a de larges fenêtres. Certains murs, comme ceux du salon ou de la chambre à coucher, sont entièrement fenestrés, et même si on ne les voit pas dans la photo que j’ai choisie, on le sent de par la lumière qui fuse entre les marches de l’escalier. Stoller, sans nous montrer les fenêtres, nous fait donc tout de même comprendre que la lumière est une partie intégrante de l’architecture de cette maison. De plus, cette photographie nous montre à quel point Breuer et sa vision de l’architecture sont conformes aux idées du Bauhaus et de l’architecture moderne qui visent à ouvrir l’espace, la circulation de l’air; lorsqu’on regarde l’escalier, on sent tout cet espace et toute cette lumière qui y passe, nous donnant une impression de grandeur et d’une demeure spacieuse.
LES PLANS DE LA DEMEURE
Bien qu’il existe de nombreuses photographies de cette maison privée, il fut plus difficile d’en analyser les plans. On peut presque tous les retrouver ici, sur le site Marcel Breuer Digital Archive, mais ils restent assez sommaires. On y voit des plans au crayon de plomb de l’architecte. On y voit un souci d’intégrer la nature environnant la maison, puisque dans un des plans d’extérieur on voit plusieurs zones encerclées pour désigner les endroits ou la verdure et les plantes seront. Ces endroits sont circonscrits par des murets en pierre. Il désigne par des lignes pointillées les délimitations du balcon et par des lignes doubles les murs de la maison. On retrouve dans le plan du 2e étage un design très ouvert: les délimitations des pièces sont rares à part pour la chambre à coucher.
Il y a peu d’indications écrites sur les plans de l’intérieur, mais Breuer mentionne notamment la cheminée et son placement inhabituel. En effet, on peut l’apercevoir sur la photo extérieure de la maison: la cheminée traverse le balcon qui est en fait le toit du premier étage. Ceci ajoute à l’aspect géométrique de l’extérieur, tout en ayant un aspect fonctionnel: ceci fait en sorte que le foyer est en plein centre du salon présenté plus haut.
En conclusion, on voit ici l’exemple d’une collaboration entre architecte et photographe qui complémentent le travail l’un de l’autre. Avec ses photographies aux contrastes riches et aux aspects géométriques frappants, Stoller réussit avec brio à transmettre la volonté de Breuer de créer un environnement épuré, lumineux et fonctionnel pour une famille typique.
BIBLIOGRAPHIE
Stoller, E. (1963). Photography and The Language of Architecture, Perspecta, volume 8, 43-44. https://www.jstor.org/stable/1566900
Museum of Modern Art. (1981). Marcel Breuer, furniture and interiors, MoMA, numero 18, 1-2. http://www.jstor.org/stable/4380862
Bergdoll, B & H. Beyer, J. (2016). Marcel Breuer, Bauhaus Tradition, Brutalist Invention, The Metropolitain Museum of Art Bulletin, numero 74, 1-2 et 4-39. https://www.jstor.org/stable/44993840
Naegele, D. (1998) An Interview with Ezra Stoller, History of Photography, 22(2), 105-115. https://doi.org/10.1080/03087298.1998.10443866
Syracuse Univeristy Library. Marcel Breuer Digital Archive, https://breuer.syr.edu/