Le Corbusier et la Villa Savoye: l’architecture moderne

Le Corbusier, Villa Savoye, 1928, plan et plan d’élévation.
Source: ArchEyes – Architecture & Design Magazine

Dessin

D’abord, la numérisation du dessin architectural insérée plus haut provient des archives de la fondation Le Corbusier. Cette image contient plusieurs dessins originaux de l’architecte soit de deux de type plan technique et de trois de type élévation. Ces dessins sont d’une grande régularité technique et ils ne possèdent que très peu d’altérations. Le plan est réalisé à une échelle de 1/30 sur une feuille officielle numérotée et identifiée pour le projet.  L’arrière-plan est totalement en harmonie avec le projet vu qu’il s’agit d’une feuille de papier jauni avec le temps et qu’il n’y a aucun autre élément entourant les dessins des plans.

De plus, les dessins réalisés par Le Corbusier me rappellent l’art abstrait géométrique et le constructivisme russe, principalement le tableau Composition en rouge, bleu et jaune de Piet Mondrian en 1930. Cette association personnelle provient de la forte utilisation des formes géométriques de la part des deux artistes. Effectivement, tous deux reprennent les formes carrées et rectangulaires encore et toujours. Le Corbusier référait lui-même à la villa Savoye comme étant une boîte dans l’air.

« This House is a box in the air » – Le Corbusier

Le Corbusier, Précision sur un état présent de l’architecture et de l’urbanisme, 1930

Par ailleurs, le parcours, l’organisation des espaces et la circulation du plan architectural sont révélateurs des styles moderne et international. Effectivement, le travail du Corbusier est caractérisé par ses concepts de plan ouvert et d’espace libre. Chaque pièce est clairement indiquée sur le plan et facilement repérable, incluant l’entrée principale. Afin d’approfondir son concept d’espace libre, Le Corbusier propose sur son dessin la réalisation d’escalier régulier et d’une rampe extérieure. Cette idée transmet une sensation de fluidité entre chaque pièce et même, entre chaque étage. De plus, afin d’approfondir son concept de plan ouvert, Le Corbusier dessine des pièces de grande dimension et même, certaines à aire ouverte. En effet, il est possible de voir que l’architecte a décidé de ne pas mettre de mur ou de porte entre la salle à manger, la cuisine et l’entrée au premier étage. Cette décision laisse apparaitre sur le plan une forme en « S ».

Mise en contexte

La villa Savoye, édifiée en 1928 par Le Corbusier et Pierre Jeanneret à Poissy en France, a marqué l’architecture moderne et internationale du 20ème siècle. Cette demeure était une commande de la famille Savoye, nommée respectivement Pierre et Eugénie. Ce couple a offert le contrat de leur maison de campagne à l’architecte de renom. Rapidement, la Villa Savoye est devenue une représentation de ses cinq principes architecturaux due à la liberté qui lui a été allouée. L’utilisation du béton pour la structure permet au Corbusier de réaliser ses concepts de plan ouvert et d’espace libre qui caractériseront l’architecture moderne.

Effectivement, la Villa Savoye est reconnue pour être le point culminant de la théorie du Corbusier intitulée The Five Points of a New Architecture publiée en 1927. La liberté qui lui a été allouée pour ce projet lui permet de mettre en pratique sa théorie sur la nouvelle architecture moderne composée de pilotis, de toits jardins, de plan libre, de fenêtres en longueur et de façades libres. Ces caractéristiques bien particulières se sont théorisées grâce à ses nombreux voyages en Europe et en Orient au début du 20 e siècle. Souvent perçu comme étant un grand architecte moderne et innovateur, Le Corbusier est aussi un orientaliste. Ce terme est utilisé afin de décrire l’influence ou l’imitation de l’Orient et, la plupart du temps,, un Orient qui relève d’une construction intellectuelle ou pire, d’une invention totale. Dans le cas du Corbusier, ses idées de pilotis et de fenêtres en longueur sont directement inspirées des «Kösk» et des «Çikma» qu’il a découvert dans la ville d’Istanbul en Turquie. Le Corbusier, possédant une telle fascination pour ces détails des maisons turcs, documentait ses visites au travers de ses croquis.

Fig. 1. Le Corbusier (Suisse, 1887–1965). House in Kazanlak,1910, crayon sur papier, 12,8 × 20 cm. Paris,
Fondation Le Corbusier, FLC 5872.
Source: Corbusian Monumentality: The Legacy of the Konak from Vernacular System to Modernist Monument
Corbusian Monumentality: The Legacy of the Konak from Vernacular System to  Modernist Monument
Fig. 2. Le Corbusier (Suisse, 1887-1965). Istanbul, Wooden House, on the Bosphorus, n.d., crayon sur papier,
11,3 × 18 cm. Paris, Fondation Le Corbusier, FLC 6125.
Source: Corbusian Monumentality: The Legacy of the Konak from Vernacular System to Modernist Monument

Le terme «Kösk» (fig.1) désigne les pilotis soutenant les extractions de la façade. Ces derniers peuvent aussi être comprises comme des pavillons communément appelés «Çikma» (fig.2). L’attraction de l’architecte aux pilotis provient de l’aspect de liberté du mouvement et d’organisation spatiale. Lorsque Le Corbusier reprend et revisite ses éléments, il les repense évidemment avec des matériaux modernes tels que le béton armé. D’ailleurs, il n’est pas surprenant que l’architecte se soit arrêté sur cette décision quant au matériau. En effet, en évoluant dans le milieu architectural, Le Corbusier développe une admiration pour la polyvalence du béton armé. De plus, la figure deux est un magnifique exemple des fenêtres en longueur, bien horizontales, des maisons turques ayant frappé l’œil du Corbusier. Ainsi, l’architecte imitera les grandes fenestrations et l’idée de boîte dans les airs dans son propre contexte occidental.

Outre la reprise des pilotis, des excavations de la façade et des grandes baies vitrées, Le Corbusier crée sa propre vision idéalisée d’Istanbul; une vision qu’il reprendra dans plusieurs projets tels que la Villa Savoye. Effectivement, dans son livre Voyage d’Orient publié en 1911, Le Corbusier idéalise Istanbul de la manière suivante : «a city all white, but the green cypresses must be there to punctuate it.» Cette idée d’une ville entièrement blanche ponctuée de vert guide définitivement son choix quant à la couleur de la façade de la Villa Savoye. En effet, cette dernière est uniquement composée de blanc et de vert, à l’exception de quelques détails imposés plutôt par le matériau. De plus, l’application des couleurs dans ce projet accentue la volonté initiale du Corbusier, c’est-à-dire la volonté de créer une boîte qui flotte dans les airs. Le fait d’utiliser le vert pour la façade de la base crée une continuité entre la verdure du jardin et la maison. Ainsi, la villa semble réellement être suspendue dans les airs grâce à de simples pilotis.

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Le Corbusier, Villa Savoye, 1928.
Source: Ignant

Enfin, la Villa Savoye représente l’apogée de la théorie des cinq points de l’architecture moderne du Corbusier. Cette théorie définit les pilotis, le toit-terrasse, le plan libre, la fenêtre en bandeau et la façade libre comme étant la nouvelle architecture. Ces idées, bien qu’ingénieuses, sont grandement inspirées des maisons turques ayant fasciné l’architecte. D’ailleurs, sa fascination, n’ayant aucune limite, l’amène à une réflexion plus profonde des paysages turcs. Cette réflexion le pousse à imaginer Istanbul comme une ville complètement blanche ponctuée du vert des arbres. Cette construction intellectuelle, inventée de toute pièce, catégorise Le Corbusier d’orientaliste. Ainsi, selon l’affirmation précédente, serait-il juste d’affirmer que l’architecture moderne perpétue aussi une vision orientaliste?

Bibliographie

Le Corbusier, Precisions sur un état présent de l’architecture et de l’urbanisme, Paris, Vincent, Fréal, 1960.

Murphy, Kevin D. « The Villa Savoye and the Modernist Historic Monument », Journal of the Society of Architectural Historians, 2002, p. 68–89. URL: https://online-ucpress-edu.proxy.bibliotheques.uqam.ca/jsah/article/61/1/68/59477/The-Villa-Savoye-and-the-Modernist-Historic

Powers, Alain. « A Zebra at Villa Savoye: Interpreting the Modern House », Twentieth Century Architecture, no. 2,, 1996, pp. 16–26, URL: https://www.jstor.org/stable/41859584

SADEN, Alexandre et Hande, SEVER. « Corbusian Monumentality: The Legacy of the Konak from Vernacular System to Modernist Monument», Getty Research Journal, Vol. 12, No. 1, 2020, p. 49-72.

SAMUEL, Flora & Peter JONES, « The making of architectural promenade: Villa Savoye and Schminke House », Architectural Research Quarterly, 2012, Vol. 16, no. 2, p. 108-124. URL: https://www-cambridge-org.proxy.bibliotheques.uqam.ca/core/services/aop-cambridge-core/content/view/675C807549E326C1374610EDF5628790/S1359135512000437a.pdf/the-making-of-architectural-promenade-villa-savoye-and-schminke-house.pdf

One thought on “Le Corbusier et la Villa Savoye: l’architecture moderne

  1. Leduc Laurence

    Avant tout, je dois dire que j’ai choisi de commenter ce projet en raison du nom de l’architecte. Ayant moi-même choisi le Corbusier, je me suis dirigée vers votre projet par intérêt. La lecture est agréable, les éléments décrits sont intéressants et clairs surtout quand vous élaborez sur les dessins du plan et de sa comparaison à l’œuvre de Mondrian, qui, est évident sur le plan de plafond de la Villa. De plus, le sujet est intrigant, puisqu’au premier coup d’œil du dessin, il est clair que la Villa Savoye n’est pas un bungalow standard.

    Ensuite, voici des suggestions qui pourraient être utiles pour la suite du projet. En premier lieu, lorsque vous dites : « Par ailleurs, le parcours, l’organisation des espaces et la circulation du plan architectural sont révélateurs des styles moderne et international. » Il serait bien de détailler et de parler du principe du Modulor. Le Corbusier a inventé et utilise cette notion pour ses dessins d’architectures afin de créer un espace adapté aux occupants en référence à la morphologie de l’homme (1). De plus, il serait attrayant de décrire davantage le contexte de l’origine du dessin et de l’emplacement du projet réalisé. En effet, le dessin est réalisé en fonction de l’environnement où le projet sera éventuellement construit. Vous avez seulement mentionné que c’est une maison de campagne à Poissy, mais, il serait pertinent d’ajouter d’autres aspects géographiques. Par exemple, l’aperçu de l’intérieur ou bien les éléments naturels qui entourent la Villa Savoye (2). Aussi, sur le dessin, on peut voir qu’il y a plusieurs fenêtres et que la Villa est surélevée sur des pilotis, mais vous n’en faites pas mention. Pour une maison de 1928 qui n’est pas commune aux autres maisons de cette même époque, les aspects modernes illustrés sur le dessin sont fascinants, mais ne sont pas tous expliqués. Finalement, vous faites également mention : « Chaque pièce est clairement indiquée sur le plan et facilement repérable […] ». Pour ma part, l’identification des pièces du plan n’est pas lisible. Juste peut-être, mentionner ces pièces identifiées pour que vos lecteurs soient en mesure de suivre le plan avec votre description.

    Les notes de bas de page sont des ressources bibliographiques en lien avec les éléments à ajouter suggérés :

    (1) BURRI, René, « Le Corbusier dans son atelier rue de Sèvres à Paris », Centre Pompidou. En ligne. . Consulté le 14 mars 2022.
    (2) Sans auteur, « Villa Savoye et loge du jardinier, Poissy, France, 1928», dans Fondation Le Corbusier. En ligne. . Consulté le 14 mars 2022.

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