Le Familistère de Godin

Le Familistère de Guise fut un véritable palais du peuple; une utopie de l’unité sociale durant l’ère industrielle. Ce texte analysera d’abord plus en précision le Familistère grâce à un dessin réalisé par Godin. Une description du contexte et de la problématique dans laquelle s’insère l’œuvre de Godin sera ensuite apportée pour avoir une meilleure compréhension de ce qu’est le Palais social.

Le dessin représente le projet intégral du Familistère de Godin situé dans la ville de Guise en France. Il est tiré de l’essai Solutions sociales écrit par Godin en 1871. Il succède ainsi la réalisation du Familistère qui débute en 1859 et se termine en 1878. Jean-Baptiste André Godin (1817-1888) est à la base un propriétaire d’industries qui est devenu urbaniste, architecte et ingénieur dans le but de réaliser son Palais social de Guise. Un projet qui a pour but une réforme sociale pacifique suivant le mouvement fouriérisme

Le dessin illustre à la fois une perspective du bâtiment résidentiel vue de face avec un angle vers le haut, mais aussi un plan pour bien comprendre les différentes parties de l’ensemble du projet ainsi qu’une coupe du bâtiment principal pour mieux illustrer la structure et la séparation. Tous ces éléments aident à mieux visualiser et comprendre le projet du Familistère. De plus, il est représenté comme une carte avec la situation géographique des bâtiments par rapport à certains points de repère que sont les deux rivières et les routes qui traversent le domaine. L’arrière-plan est donc en harmonie avec le projet qui a pour illusion d’être représenté dans son élément naturel avec en prime la présence d’arbres et de végétation qui apporte au réalisme du dessin. Celui-ci me fascine surtout pour l’idéologie qu’on y descelle en arrière-scène. C’est une utopie qui a vu le jour et survécu 100 ans. Tous les détails de l’image sont présents pour aider le lecteur à comprendre le fonctionnement du Familistère. Godin pratique une architecture plus utilitaire qu’esthétique.

Le parcours typique commence avec l’entrée principale du familistère, traversant ainsi la place centrale pour se rendre au pavillon du centre communément appelé le Palais social. L’entrée mène ainsi à la première cour intérieure où les évènements sociaux ont lieu. Cette cour est surplombée de trois étages comblés par les logements des travailleurs. Du pavillon central, il est possible de se rendre à l’aile gauche ou droite pour atteindre d’autres appartements. La circulation entre les étages et les différentes parties du Familistère est aisée par plusieurs corridors et escaliers. À l’arrière du Palais social se retrouve la Nourrisserie qu’on appellerait aujourd’hui garderie. Faisant face au Familistère deux bâtiments à usage commercial (boulangerie, ateliers, restaurants, etc.) bordent un autre immeuble à usage cette fois-ci institutionnel (école théâtre, etc.). Toutefois, le dessin ne représente pas l’industrie de l’autre côté de la rivière qui est toutefois centrale à un tel projet.

Le bal de la fête de l’Enfance dans la cour du pavillon central du Palais social. Photographie anonyme, 1909. Collection Familistère de Guise

Le style architectural du bâtiment extérieur est celui des bâtiments institutionnels classiques de France au milieu du 19e siècle avec son revêtement en brique rouge. C’est plutôt son organisation spatiale et l’ingénierie à l’intérieur du bâtiment qui sont fascinantes. Le Familistère est composé de trois parallélogrammes plutôt identiques sans hiérarchie certaine. Chaque aile a sa cour intérieure autour de laquelle s’élèvent le rez-de-chaussée et trois étages. Godin avait comme idée que tous devaient se sentir égaux et sa pensée se traduisait dans son architecture sobre. Lui-même avait ses appartements dans l’aile gauche aux côtés de ses travailleurs. D’ailleurs, chaque cour intérieure est munie d’un toit de verre ce qui était remarquable pour l’époque ayant peu de précédents sauf le Palais de Cristal à Londres qui était le tout premier à utiliser ce nouveau matériel. Le plan du Familistère fait ainsi preuve d’une ingénierie impressionnante pour l’époque avec en plus un système de ventilation représenté dans la coupe transversale.

Vue cavalière du Familistère projeté. Aquarelle anonyme, vers 1859. Collection Familistère de Guise.

Le Familistère rappelle, même au nom, l’œuvre de Fourrier en 1847 qu’est le Phalanstère. Effectivement, on remarque la ressemblance dans la composition symétrique des trois ailes avec le bâtiment central qui est plus important et majestueux. Une grande place centrale est aussi pensée dans les deux cas. En plus du style architectural, l’œuvre de Godin fait référence à celle de Fourrier par l’utopie socialiste du travail qu’elle représente.

charlesfourier.fr | Veilleur de nuit, Charles fourier, Grande entrée
Charles Fourier, Le nouveau monde industriel et sociétaire [1829-1830], Oeuvres complètes, Paris, Anthropos, tome VI, 1996.

Pour mieux comprendre l’œuvre de Godin, il faut la remettre dans son contexte social durant la révolution industrielle où la main d’œuvre était seulement considérée en capital. Les conditions de vie des ouvriers étaient misérables et la pauvreté très présente. De nombreuses conséquences ont découlé de cette crise sociale dont la possibilité d’imaginer de nouvelles façons de vivre ensemble. Les utopies socialistes ont pris de nombreuses formes, de l’abolition des privilèges avec la Révolution française à un égalitarisme pur et dur qu’est le communisme. Le Familistère de Godin est toutefois perçu comme une des seules utopies qui a réellement fonctionné. L’idéologie de l’architecte était alors de redonner la place méritée aux ouvriers dans la société en leur assurant de meilleures conditions de travail et de vie.  

Clairement influencé par le mouvement fouriérisme qui prône la réalisation de nouvelles machines à habiter, le Familistère de Godin n’est pas exempt de critique. Certains qualifient l’idéologie en arrière du projet de paternaliste. La notion de paternalisme est ici péjorative vu qu’elle entend un comportement bienveillant du patron envers ses employés afin d’affermir son autorité et de maintenir un rapport de dépendance et de subordination en échange d’avantages sociaux. D’un côté, le patronat social s’exprime par des industriels qui ont le désir de lutter contre l’extrême pauvreté qui touche les ouvriers. D’un autre côté, les bénéfices pour les entreprises sont indéniables permettant alors de stabiliser une main d’œuvre. Ces institutions sociales peuvent aussi être utilisées comme moyens de pression, car un salarié licencié ne perdra pas seulement son travail, mais aussi son logement, l’éducation de ses enfants, un droit à la retraite, etc.

« Enfin, le patronage apparaît comme un moyen de faire des usines des mondes clos, dans lesquels ni l’Etat ni les idées révolutionnaires n’ont leur place. Beaucoup d’industriels considèrent qu’il est aussi de leur devoir de contribuer à moraliser les ouvriers, c’est-à-dire leur transmettre les valeurs morales de la bourgeoisie : prévoyance, tempérance, respect de l’ordre »

– Jessica Dos Santos, docteur en histoire contemporaine (2014)

L’idée de discipline est très importante. Le patron à un contrôle sur ses ouvriers même à l’extérieur de l’usine. Godin a repris l’idée du Panoptique de Bentham avec la construction de son palais social. Effectivement, la notion de surveillance et de transparence des espaces est importante ici. Selon Godin, seul le regard des autres inciterait les ouvriers à bien se comporter. Zola qualifie d’ailleurs le Familistère de « prison de verre ».

« Maison de verre, on voit  tout, bruits épiés. Défiance du voisin. Pas de solitude. Pas de  liberté ».

(ZOLA, Émile.1901)

Toutefois, Godin critique lui-même les projets à caractère paternaliste. Sans se qualifier de philanthrope, il soutient que son but, d’inventer de nouvelles façons de vivre et de travailler grâce auxquelles les ouvriers retrouveraient la place sociale qui leur est due, est noble. Aucun modèle n’est parfait, mais il est inspirant de voir des modèles sociaux comme le Familistère qui ont réellement réussi durant un certain temps.

Bibliographie

CADEVILLE, Gwenael Ameline. (2014).  Familistère de Guise : le « palais social » de Godin ressuscité. Magasine Beaux Arts. Récupéré de : https://www.beauxarts.com/expos/familistere-de-guise-le-palais-social-de-godin-ressuscite/

Dos Santos, Jessica. “Le Familistère De Guise : Un Paternalisme De Gauche ?” Revue Internationale De L’économie Sociale: Recma 332, no. 332 (2014): 62–62. https://doi.org/10.7202/1024823ar.

Freitag, Barbara. “Le Familistère De Guise Un Projet Utopique Réussi.” Diogène 209, no. 1 (2005): 101–. https://doi.org/10.3917/dio.209.0101.

Le Familistère de Guise. (2017). Jean-Baptiste André Godin. Les Éditions du Familistère. P. 33-41. Récupéré de : https://www.familistere.com/fr/decouvrir/monsieur-godin-fondateur-du-familistere/une-biographie

ZOLA, Émile. (1901). Couler toutes les vies humaines dans le même moule. « Les quatre évangiles ». Récupéré de : http://passerelles.bnf.fr/lire/familistere_02.php

3 thoughts on “Le Familistère de Godin

  1. Shannon Kathleen

    Voici déjà des articles qui me semblent intéressants…

    McBride, Theresa M. “Socialism and Domesticity: The ‘familistère’ at Guise.” International Labor and Working-Class History 19, no. 19 (1981): 45–46.

    Dos Santos, Jessica. “Le Familistère De Guise : Un Paternalisme De Gauche ?” Revue Internationale De L’économie Sociale: Recma 332, no. 332 (2014): 62–62. https://doi.org/10.7202/1024823ar.

    Freitag, Barbara. “Le Familistère De Guise Un Projet Utopique Réussi.” Diogène 209, no. 1 (2005): 101–. https://doi.org/10.3917/dio.209.0101.

  2. Shannon Kathleen

    J’ai beaucoup apprécié votre travail sur le Familistère, je ne connaissais pas cette construction et je serais bien curieuse de la visiter. Votre description est excellente et ce sujet est riche puisqu’il permet une analyse historique et sociale des idéologies qui ont accompagné la révolution industrielle en France.

    La pensée philosophique des Lumières et la Révolution française à la fin du XVIIIe siècle ont eu de nombreuses conséquences et parmi celles-ci, la possibilité d’imaginer de nouvelles façons de cohabiter, de vivre ensemble. De l’abolition des privilèges certains en sont arrivés à un égalitarisme pur et dur. Les utopies socialistes ont pris de nombreuses formes, dont celle du phalanstère de Fourier et ici du Familistère de Godin. D’ailleurs, dans l’un des articles que je vous propose, on y parle de l’influence qu’ont eus les écrits de Rousseau, Voltaire et Diderot sur le jeune Jean-Baptiste André Godin. En outre, ces « machines à habiter ensemble » seront reprises dans de nombreux états communistes au XXe siècle. Mais il est intéressant de noter que Friedrich Engels en a dit que c’était « le seul projet utopique à avoir réussi, (…) mais il rejeta néanmoins l’idée d’une union entre capital et travailleurs » (p. 7, Freitag)
    Le deuxième article que je vous suggère est celui qui porte sur les notions de patronage et de paternalisme. L’idéologie de Godin, semble porter en son sein une morale bourgeoise et capitaliste : « le patronage apparaît comme un moyen de faire des usines des mondes clos, dans lesquels ni l’Etat ni les idées révolutionnaires n’ont leur place. Beaucoup d’industriels considèrent qu’il est aussi de leur devoir de contribuer à moraliser les ouvriers, c’est-à-dire leur transmettre les valeurs morales de la bourgeoisie: prévoyance, tempérance(1), respect de l’ordre » (p. 64, Dos Santos)
    Aucun modèle n’est parfait mais il est fort agréable de voir l’ingéniosité des solutions qui ont été proposées au fil des siècles et il est heureux de voir que certaines expériences sociales comme celle-ci ont vécu.
    Petite remarque pratique: Votre image choisie pour la présentation du projet n’apparait pas quand on lit votre texte, ce qui nous oblige à faire plusieurs aller-retours pour mieux apprécier vos description du dessin.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *