L’Hôtel Guimard, situé à Paris, est construit en 1909 par Hector Guimard, à partir des schémas qu’il a conçus. Il souhaitait en faire sa demeure et y vivre avec sa femme, en plus d’y aménager son agence d’architecte et l’atelier d’artiste-peintre de sa compagne. Étant son propre commanditaire pour ce projet, Guimard fait de l’intérieur un des espaces les plus aboutis de son style en créant plusieurs parties, dont l’entièreté est inspirée de l’art nouveau. Ce qui est plutôt intrigant, autant en rapport au plan qu’à la bâtisse elle-même, c’est l’usage personnel qu’en fait l’architecte. Est-ce que Guimard souhaitait concevoir une sorte de monument manifeste pour l’art nouveau avec ce bâtiment? C’est la question à laquelle nous tenterons de répondre dans ce court essai, en nous basant sur le contexte de l’art nouveau, le style unique de l’architecte, et de ce qui fait de l’Hôtel l’œuvre la plus aboutie de sa carrière.
L’art nouveau naît d’un désir de modernité de la part d’une nouvelle bourgeoisie qui souhaite avoir un style qui lui est propre, exprimant l’harmonie et la beauté formelle de façon artistique. Avec l’industrialisation qui s’intensifie, l’art nouveau amène une réflexion sur le rapport entre l’homme et la machine. L’idée de l’artisanat et de la dignité du travail de l’homme prime sur la confection en série de l’industrie. L’architecture de ce mouvement est légère et frivole, les lignes sont fluides et élégantes, mais également douces et nerveuses. Les formes sont généralement empruntées à la nature et les ornements doivent correspondre au style architectural du bâtiment. Les courbes sont organiques et caractérisent l’art nouveau, notamment par l’arabesque, une forme souvent employée pour manifester la force germinative de la plante. Il y a une authenticité dans l’usage des matériaux puisqu’ils sont utilisés dans leur état naturel, en plus d’être contemporains. L’ensemble de la composition doit être simple, claire et naturelle.
Dès son apogée, en 1900, l’art nouveau est méprisé par les générations d’après-guerre. En conséquence, le mouvement s’est effacé des mémoires et de l’environnement pour laisser place qu’à des démolitions massives. Hector Guimard n’a pas échappé à ce jugement sévère, plusieurs de ses bâtiments ont été détruits. Malgré cela, il est considéré aujourd’hui comme le représentant le plus important de l’art nouveau français.
Source : Cooper Hewitt, Smithsonian Museum, Washington, 1956.
https://collection.cooperhewitt.org/objects/18411091/
En accordant une liberté à son imagination, Guimard atteint une virtuosité plastique unique et impressionnante qu’il caractérisera éventuellement de « style Guimard ». Ce style peut se résumer simplement en trois termes : logique, harmonie et sentiment. Guimard se donne aussi le qualificatif d’architecte d’art, ce qui fait de ses conceptions des chefs-d’œuvre. Il prétend même « […] faire de chacune de ses œuvres un objet d’art […] », car en plus de ses architectures, il crée également des meubles et des décors. L’art nouveau est un art total, c’est-à-dire qu’il comporte plusieurs médiums et disciplines artistiques, le tout formant une unité harmonieuse. D’ailleurs, Henry Poupée définit bien le travail de Guimard en disant : « [i]l traita son architecture comme un tout, englobant les arts mineurs, retenant l’essentiel des styles anciens dans une synthèse abstraite qui annonce les recherches actuelles ». En effet, l’architecte produit l’entièreté de certains de ses bâtiments, des plans jusqu’aux ornements, comme le fait avec l’Hôtel Guimard.
Source : Wikipédia, 2019
https://en.wikipedia.org/wiki/H%C3%B4tel_Guimard_(Art_Nouveau)
La construction de l’hôtel particulier de l’architecte débute en 1909 et s’achève en 1910, alors que l’aménagement se poursuit jusqu’en 1912. Guimard va concevoir les meubles et la quincaillerie, en plus de dessiner la lustrerie et d’imaginer les motifs de la moquette et des rideaux. Pour ce bâtiment, l’architecte a fait l’acquisition d’un terrain de 90 mètres carrés, de forme triangulaire (voir figure 2). Nous observons bien la logique de Guimard qui a dû s’adapter à cette forme et innover pour user de l’espace convenablement. Les murs porteurs se limitent donc aux murs extérieurs et certaines pièces sont de formes ovoïdes pour répondre aux besoins de la structure. Nous pouvons discerner le style Guimard dans chaque étage du bâtiment. La logique est reflétée par la composition de la façade qui permet de comprendre aisément les espaces intérieurs. Par exemple, au rez-de-chaussée où se trouve l’agence de Guimard, la discrétion est présente, alors que les ornements sont plus importants pour ce qui est du premier étage désignant les pièces de réception. L’harmonie advient de l’organisation des espaces qui prend en compte les différentes fonctions du bâtiment, soit privées, publiques et professionnelles. Et finalement, comme le mentionne si bien Georges Vigne : « [l]e sentiment est l’aspect artistique qui ôte aux deux précédents principes toute rigueur et toute grossièreté d’artifice ». Autrement dit, Guimard use du principe du sentiment typique de son style pour s’assurer que le bâtiment forme un art total, sans ornementation inutile. L’architecte emploie des matériaux rustiques tels que nous pouvons le constater sur le plan de la figure 1. Nous apercevons aussi les lignes horizontales resserrées démontrant la brique qui revêt la majeure partie du bâtiment (voir figure 3). Puis, nous observons également les lignes avec plus d’espaces, correspondant à la pierre, notamment autour des fenêtres. Les matériaux utilisés par Guimard sont principalement, la pierre, la brique, le fer, la fonte et le verre. Par une technique de moulage, il crée des formes caractérisant l’art nouveau pour orner le bâtiment, comme la balustrade, sur l’élévation du côté nord (voir figure 3).
Selon le conservateur des musées en France, Georges Vigne, l’Hôtel Guimard représente une nouvelle carte de visite pour l’architecte, dont les commandes se faisaient plus rares à la même époque. Nul doute, l’Hôtel aurait servi à exhiber un art plus adouci pour séduire une nouvelle clientèle. D’ailleurs, il n’est pas le premier architecte à faire de sa demeure une carte de visite. Bien avant Guimard, l’architecte Frank Lloyd Wright a eu cette idée lorsqu’en 1898, il a fait bâtir et a relié un studio à sa maison. Ce studio lui servait de bureau et ainsi, il recevait ses clients chez lui, tout en exposant sa construction sans se déplacer. Puis, en 1903, les frères Perret ont construit le 25 bis pour en faire leur cabinet d’architectes et leur demeure personnelle.
En 1938, Guimard et sa femme quittent Paris et s’installent à New York. L’architecte, qui était très malade, s’éteint en 1942. Ce qui nous amène en 1948, où sa compagne revient en France avec une volonté de perpétuer le souvenir de son mari. La démolition de plusieurs de ses réalisations a déjà commencé à ce moment. Son épouse offre donc l’Hôtel Guimard et tout son ameublement à l’État français, mais la proposition est refusée.
Pour conclure, nous avons vu que l’Hôtel Guimard correspond au style Guimard unique et inspiré de l’art nouveau où l’harmonie règne, par ses matériaux et ses courbes, mais aussi par ses ornements qui complètent le chef-d’œuvre. Pour répondre à notre question de départ, à savoir si Guimard désirait créer un monument manifeste pour l’art nouveau avec ce bâtiment, la réponse demeure incertaine. N’ayant aucune preuve concrète, la réponse est une hypothèse conclue à partir des informations recueillies. Une chose est sûre : sa femme, en offrant le bâtiment à l’État, espérait que son mari ne soit pas oublié. Peut-être que cette dernière souhaitait dès le départ en faire un monument manifeste. La destruction massive qu’a connu l’art nouveau a peut-être motivé l’architecte à concevoir un bâtiment très abouti qui subsisterait dans les mémoires. D’ailleurs, cette hypothèse va dans le même sens de ce qui a été mentionné par Georges Vigne, soit que le bâtiment était une nouvelle carte de visite de l’architecte, car il voulait se renouveler et attirer une nouvelle clientèle. Il serait intéressant d’effectuer une recherche sur la différence entre le plan et le bâtiment, car lorsque nous regardons le plan (voir figure 1), il semble y avoir une structure ressemblant à un balcon dans le haut du bâtiment. Cependant, en observant le bâtiment construit, rien de particulier n’est présent à cette hauteur, sauf une série de fenêtres.
Bibliographie
FRONTISI, Claude, « Hector Guimard entre deux siècles », Sciences Po University Press, 1988.
GUERRAND, Roger-Henri, « GUIMARD HECTOR – (1867-1942) », Encyclopædia Universalis. En ligne. < http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/hector-guimard/ >. Consulté le 28 mars 2022.
POUPÉE, Henri, « Architecture (Matériaux et techniques) », Encyclopédie Universalis. En ligne. < https://www.universalis.fr/encyclopedie/architecture-materiaux-et-techniques-fer-et-fonte/ >. Consulté le 28 mars 2022.
THIÉBAUT, Philippe, « Chapitre IV. La ligne assagie », Guimard. L’Art nouveau, Paris, Gallimard/Réunion des musées nationaux, 1992, p. 84-85, 95.
VIGNE, Georges, « Hector Guimard et l’Art Nouveau », France, Hachette/Réunion des musées nationaux, 1990, p.48-49.
Bonjour Carolan!
Le dessin que tu as choisi comme image vedette a attiré mon attention puisqu’il se démarque des autres dessins architecturaux présentés. Ses courbes délicates et ses lignes si finement tracées lui donnent un caractère romantique, presque poétique. Les inscriptions joliment calligraphiées en haut du dessin me font penser à celles des affiches de cabarets parisiens du XIXe siècle.
J’ai trouvé ton texte et ton interprétation du projet très intéressant. Le lien que tu as établi entre le mouvement Art Nouveau et l’hôtel particulier m’a amené à réfléchir sur mon propre travail. L’individualisation du style chez les gens fortunés de l’époque ainsi que l’émergence d’un désir d’avoir un habitat propre à soi et unique sont des aspects à considérer dans l’Art Nouveau. Le dessin choisi est d’autant plus fascinant lorsqu’on réalise que l’architecte a conçue cette demeure pour son utilisation personnelle. Il va sans dire que Guimard était le mieux placé pour concevoir une demeure adaptée à ses utilisateurs et reflétant leur individualité et leur essence. Je croit que la finesse du dessin ainsi que son esthétisme délicat témoignent de la passion de Guimard pour ce projet. Il a conçu une demeure à la fois unique et sobre, inspirée de la nature et moderne, simple et élégante. Ce projet est donc un excellent exemple d’hôtel particulier du début du XXe siècle, puisqu’il témoigne parfaitement de la recherche d’individualisation stylistique de l’époque.
Il serait intéressant d’analyser la décoration intérieure d’origine, si la documentation nécéssaire existe. Je me demande si les lignes courbes et harmonieuses sont répétées à l’intérieur. Je n’ai pas trouvé grand chose à ce sujet, mais comme demandé, j’inclue à mon commentaire des sources complémentaires à ton travail. J’ai trouvé les deux articles cités ci-bas très intéressants et pertinents pour ton travail. Le premier, écrit par Philippe Thiébaut, parle du travail de Guimard et de Gaudi, l’architecte ayant créée le bâtiment sur lequel je travaille. Drôle de coïncidence!
Thiébaut, Philippe. « Guimard et Gaudí. À propos des formes affines en architecture. » DC: revista de crítica arquitectónica (2002).
Larson, Philip. “HECTOR & HIS STYLE NOUVEAU.” The Print Collector’s Newsletter, vol. 21, no. 6, Art in Print Review, 1991, pp. 238–40, http://www.jstor.org/stable/24554247.