Constance Perkins House – Résidence pour une femme d’avant-garde.

Vue de la Maison Perkins, photographie tiré du livre Neutra complete works.
Collectif d’auteur. (2010). Neutra complete works. Édition: Taschen. 464 p

Le cours des années 1950, période où les résidences se font sophistiqués mais décontractés, est marqué par l’architecte Richard Neutra qui réinventera les limites du style de moderne. La particularité de l’architecte est sa capacité à harmoniser ses bâtiments avec la nature environnante. Effectivement, «on ne peut comprendre les intentions de l’architecte par rapport à son système sans comprendre sa vision de la nature. Pour lui, l’humanité n’est pas quelque chose «d’autre» que la nature mais un aspect de celle-ci» (Collectif d’auteur, 2010). Ses maisons ont marqué l’imaginaire des américains de classe moyenne qui rêvent d’en faire leur chez soi. Notamment, il est célèbre pour ses maisons minimalistes et très élégantes, rectangulaire, à plan libre, marqué par de grandes fenêtres laissant pénétrer la lumière et s’ouvrant sur le paysage local. La Constance Perkins House, situé à Pasadena en Californie est le résultat d’une collaboration de trois années (1952-1955), d’une relation splendide et de complémentarité, entre une cliente unique et d’un architecte à l’écoute. Bien que le bâtiment soit signé Richard Neutra, il ne faut pas invisibiliser l’apport de Constance Perkins dans le processus créatif et décisionnel du projet. 

«L’architecture de Neutra est une équation, une méthodologie raffinée, pensée pour répondre à trois variables: le site, le client et le budget» (Collectif d’auteur, 2010). Afin de bien saisir les besoins de sa cliente et d’en apprendre davantage sur celle-ci, Richard lui demanda d’écrire un petit récit sur son histoire et lui proposa de répondre à une série de questions précises et de tous genre. Enfin, pour Richard, la décision d’inclure Constance dans toutes les étapes décisionnelles du projet lui permet de renforcer le liens de confiance entre elle et lui, d’intégrer les idées de sa cliente, tout en s’assurant que la finalité du projet répondra au attente de celle-ci. L’idée première était de réinventer l’espace résidentiel, d’imaginer un lieu structuré en dehors de la hiérarchie des genres. Sa résidence est la représentation parfaite du mode de vie d’une femme moderne dérogeant du modèle hégémonique de concubinage. La maison Perkins est extrêmement intéressante puisqu’elle introduit au public un manière alternative de concevoir et d’habiter l’espace domestique.

Ce bijoux d’architecture moderne prend toutes ses formes sous un plan libre assez minimal où la résidence devient un objet d’art et s’intègre harmonieusement avec le paysage grandiose et désertique du sud de la Californie. L’architecte s’inspirera entre autre, du principe architectural du Modulor inventé par Le Corbusier. Il propose de se servir d’une silhouette humaine “standardisée” (un homme de 1m83)  pour concevoir la taille de la structure. (Denèfle, 2006) Alors, pour offrir à sa cliente la meilleure expérience résidentielle possible, il travailla avec les proportions de son corps à elle. La Perkins House est donc sur mesure, adapté au petit gabarit de la propriétaire. D’autre part, Neutra s’est servi de la forme particulière du territoire pour mettre en valeur l’édifice. Dressé sur le point culminant d’une petite colline, la maison s’intègre merveilleusement à la forme du territoire. On remarque sur la photo ci-dessus qu’il a sut mettre à profit la zone aplatie du terrain pour y placer le stationnement.

Richard Neutra, The Constance Perkins House, Dessin de présentation, Plan. 1954. 
Friedman, Alice. 2006. Women and the making of the Modern House: A social and architectural history. Yale university Press, New Haven and London p.181.

L’étude de ce plan en L nous révèle que l’entrée principale donne sur la cuisine, la salle à dîner, le salon ainsi que le studio; toutes ces pièces n’étant pas séparés par des murs. Pour Constance, il était centrale de faire de sa maison un lieux fluide, flexible pouvant être réinterprété et où, elle pourrait y inviter plusieurs personnes en même temps. Un endroit qui concorde adéquatement avec son mode de vie universitaire et qui s’harmonise avec ses propres activités.

L’architecture dans ses métaphores, sa pratique et ses théories est depuis la nuit des temps un domaine presque exclusivement masculin. «Depuis Vitruve et l’Antiquité, le langage de l’architecture est ancré dans une sexualisation des formes et des matières. L’architecture s’inspirait du corps humain, c’est-à-dire du corps masculin: harmonieux, ordonnée, puissant, musclé, sans ornements» (Delvaux, 2019. p.84 ). Les propos de Martine Delvaux soulèvent un aspect très important qui s’intéressent à la production et l’inscription du genre dans l’architecture. Comme évoqué plus haut, Le Corbusier, le père du modernisme, s’est inspiré du corps standardisé de l’Homme dans le système de mesure du Modulor pour concevoir ses unités d’habitations, des endroits où le corps et l’expérience des femmes est alors évacué de l’équation. L’espace est donc conçu par les hommes et pour les hommes qui ensuite en dicteront l’ordre et la division genré. L’architecture, au travers de l’espace bâti, est une manière de représenter, de structurer et de spatialiser les identités de genre ainsi que les rapports sociaux de sexes. En cela, la maison peut donc vu comme étant le lieu ainsi que le théâtre de multiples représentation de l’ordre social genré où se matérialise les rapports sociaux de sexe. Au même moment où Constance désire s’émanciper du modèle familial traditionnel en choisissant sa carrière plutôt que la famille, en décidant de conceptualiser une forme résidentielle unique, adapté à ses propres besoins, l’image de la femme ménagère, l’ange au foyer se fait de plus en plus hégémonique. La Perkins House s’impose alors dans sa manière de revoir l’espace résidentiel de sorte que celui-ci corresponde au mode de vie d’une femme célibataire.

Vue sur la piscine, le mur de verre, la terrasse. Photographie tiré du livre Richard Neutra and the Search for Modern Architecture.

Ouverte sur l’extérieur, la résidence est magnifique de par son immense mur de verre qui, permet d’agrandir l’espace, de laisser pénétrer la lumière, d’offrir une vue magnifique sur la nature, sur les montagnes, de donner un ton hypnotique, apaisant ainsi qu’un sentiment de liberté pour la personne admire le panorama. L’épaisse poutre en bois ainsi que la petite piscine réfléchissante donne au bâtiment l’impression qu’il s’étire vers l’infini du désert californien. De plus, la terrasse sur le toit permet encore une fois de célébrer la beauté de la nature environnante.

Vue de la petite cuisine. Photographie tiré du livre Women and the making of the Modern House: A social and architectural history.

Ici, la cuisine devient un lieu intéressant à analyser puisqu’elle n’est pas le coeur de la conception du bâtiment comme nous l’avons remarqué plus haut sur le plan. Effectivement, sa taille est considérablement réduite, elle devient compacte et efficace à utiliser. Elle n’est plus l’espace de travail mais bien un lieu où l’utilité première est de nourrir la propriétaire et non d’entretenir le foyer domestique. La cuisine devient alors un point central de ce nouvel ordre moderne comme le souligne le livre Counter space: design and the modern kitchen: «kitchen design has been both a central concern of modernism and fundamental to our concept of modern life» (Kinching, 2011). La cuisine est alors à la fois célébré par cette société moderne qui la considère comme l’âme et le coeur de la maison mais aussi en contre parti, s’inscrit comme le symbole par excellence de soumission au travail domestique de millions de femmes. L’idée de la ménagère veillant au maintien l’ordre au foyer, prisonnière et seule dans sa cuisine, isolée dans sa maison unifamiliale de banlieue au modèle en série, préfabriqué et générique est presque uniformisé et normalisé. Contrairement à ce modèle largement répandu, Constance préfère faire de cet endroit un lieux raisonnablement plus petit, qui lui permet de préparer de la nourriture tout en cultivant l’intérêt de ses invités situé dans la salle à diner et salon à air ouverte. De ses idées progressistes est conçu un plan unique et hors des conventions de l’époque. En effet, il permet s’imaginer divers moyen d’habiter l’espace en centralisant et reflétant son célibat et sa vie d’universitaire dans la composition ainsi que dans le design de l’endroit. Il met au coeur de sa conception le vécu et les besoins d’une femme non conventionnelle pour ces temps-là. 

Vue sur son studio. Photographie tiré du livre Women and the making of the Modern House: A social and architectural history.

Le coeur de l’habitation est sans équivoque le studio qui, comme le plan un peu plus haut le démontre, n’est pas un espace clos. À l’image de Virginia Wolf, qui réclamait une chambre à soi pour s’épanouir personnellement ainsi que dans son travail d’écrivaine, Constance désir faire du studio sa chambre et son espace de travail, un espace à elle. Elle préférait dormir au sein d’un environnement où l’art, le travail et la créativité prédomine comme le révèle la citation qui traduit adéquatement sa vision de cet espace: «as a domestic environment in which individual creativity and work, rather than family and leisure activities were the central concept.» (Friedman, 2006.) On remarque sur la photographie que le petit lit simple, qui fait aussi office de sofa le jour, est inséré en dessous de sa bibliothèque pour gagner de l’espace. À l’origine, du à son envie de dériver du modèle traditionnel résidentiel, elle proposa de ne pas inclure sur le plan de chambre des maîtres. Neutra, consenti mais la banque qui refusa de lui faire un prêt sous prétexte que la maison ne pourrait pas être revendu sans chambre séparée. Elle fut alors obligé d’y joindre une pièce fermée, la chambre d’ami, pour satisfaire l’ordre patriarcale de l’époque. (Friedman, 2006.)

Bibliographie

Collectif d’auteur. (1999). Design and feminism: revisioning space, places, and everyday things. Rutgers University Press. 256 p.

Denèfle, Sylvie. (2006). Habiter Le Corbusier – Chapitre V. L’architecte et les habitants. Presse universitaires de Rennes. Récupéré de https://books.openedition.org/pur/12490#text

Delvaux, Martine. (2019). Le Boys Club. Les éditions du remue-ménage. 227 p.

Friedman, Alice. (2006). Women and the making of the Modern House: A social and architectural history. Yale university Press, New Haven and London. 240 p.

Kinching, Juliette. (2011). Counter space: design and the modern kitchen. Édition: Museum of modern art. 88 p.

One thought on “Constance Perkins House – Résidence pour une femme d’avant-garde.

  1. Christina Contandriopoulos

    Le choix du dessin est intéressant mais je vous encourage à approfondir votre analyse du plan. Au niveau des citations, pourriez-vous indiquer la page en suivant le modèle « (Delvaux, 2019, p.22) ». Dans la bibliographie corrigez : « Design and feminism » au lieu de feminist.

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