« Au XIXe siècle s’est forgée en Europe une idéologie de la maison comme retraite solitaire, enveloppe structurelle de la vie intérieure » Qu’est ce qu’une maison ? Qu’elle en est la fonction ? Qu’est ce que la demeure dit d’une époque et d’une société donnée ? C’est-à-dire son système de pensé, de son organisation propre. Il convint de l’étudier à travers l’exemple de l’image architecturale ; un exemple d’esquisse fait de la main de Gaudi concernant l’avant projet du remodelage de la façade de la Casa Batllo à Barcelone.
Le dessin de la Casa Batllo, croquis de la nouvelle façade sur l’élévation du bâtiment existant (non daté)[1] est une esquisse représentant le premier stade de la maturation d’un projet d’architecture, telle une émulsion architecturale, sous la forme d’une élévation développée sur plusieurs étages. L’architecte ne semble pas avoir achevé son processus créatif car à la droite comme la gauche du dessin principal car il est possible de discerner de fins tracés d’une structure rectangulaire qui est surement la structure de l’ossature principale de l’ancienne structure avant le réaménagement de la façade. De l’aspect général on distingue des éléments structuraux formant le squelette de la façade, une ornementation encore au stade de la conception.
Ainsi au travers de l’imaginaire de Gaudi, et de ses Notes sur la maison familiale[2] comment l’esquisse de la Casa Batllo, croquis de la nouvelle façade sur l’élévation du bâtiment existant est-elle un manifeste à une représentation technique de la pensée de Gaudi ? Il s’agit alors de d’évoquer la conception de la maison bourgeoise catalane, comme ayant une identité propre au XIXe siècle, inscrite dans la pensée de Gaudi. En effet, comment Gaudi transforme la vision de la maison ; ici condensé à travers une façade comme une figure spatiale et symbolique ?
Ce dessin d’architecture exécutait sur papier fut (re)découvert en 1969 dans les archives de l’Ecole d’architecture de Barcelone mais datant vraisemblablement des années 1904 est une manifestation d’un fonctionnement technique de Gaudi. D’abord par la présence de nombreuses dimensions notées qui légitiment cette esquisse comme une représentation d’une pensée technique du dessin d’architecture à la manière d’Andrea Palladio [3] qui exprime à la Renaissance une volonté didactique retranscrite sur le dessin. Cependant Palladio en tant qu’architecte de son temps avait pour volonté de rationnalisé c’est-à-dire de schématisé sa pensée sur un dessin d’architecture. Le dessin prime et sert a exprimée sa pensée. Dans cette continuité didactique Gaudi, ne pense pas le dessin d’architecture de la même façon que son lointain ainé, mais l’insère dans d’un instant créateur et pratique, loin d’une schématisation. Dés les premières années du XXe siècle José Batllo négociant dans le textile, passe commande à Gaudi, architecte foisonnant Barcelonais pour un projet de réaménagement d’une maison construite quelques années plus tôt (1887) dans le aisé et riche quartier du Paseo de Gràcia. L’ingéniosité de Gaudi fut d’écarter la destruction totale de l’ancien édifice pour le réaménager totalement dans un style « ondulé » dit dans un « Art nouveau », où les recherches de lumières et d’espaces de conforts sont les maitres mots de l’architecte catalan. Du dessin de la façade de la Casa Batllo, on n’en connait peu de choses. Il fut surement exécuté entre 1904 et 1906 dates du chantier, (Voir photographie de chantier ci-dessous) pour présenter alors à son client les phases d’avancement de son projet en mettant en parallèles les anciennes structures déjà existantes de la façade et les merveilleux ajouts de l’architecte, tels les colonnes en « pieds d’éléphants » ou les balcons ondulés qui permet tant au client, qu’a l’historien de comprendre le mode de fonctionnement de l’architecture. C’est du moins ce qu’en propose la présentation de cette esquisse dans l’exposition de 1977 au Drawing Center de New York (Collins, Bessegoda Nonell, 1983). Cette esquisse se comprend dans une logique « technique » donc non conceptuelle. Le croquis permet alors de développer les idées de l’ornementation à grands traits permettant de dégager rapidement pour l’observateur l’essence même de l’édifice encore au stade de la réflexion. Le dessin dans les interprétations de Gaudi (Collins et Bessegoda Nonell, 1983, p.-30) ne sont pas vus comme des œuvres à part entière mais comme des éléments témoins apportant une nouvelle connaissance à une œuvre architecturale définie et finie.
En effet, ce dessin est le reflet manifeste à un nouveau style de vie citadin porté par les idées nouvelles et bourgeoises de l’Art Nouveau et du confort moderne. Prônant une architecture de l’acte social, de l’accomplissement personnel mettant en avant dans son programme iconographique la réussite personnelle du client de l’architecte. Gaudi en est un des intermédiaire entre le monde artificiel c’est-à-dire l’architecture et entre les réalisations de la main divine c’est-à-dire par la nature dans son ensemble. La nature au même titre que la maison du XIXe est vue comme son centre de repli ; son lieu d’inspiration.
La maison s’ouvre d’abord par un rez-de-chaussée proéminent s’offrant directement sur au niveau de la rue comme si la maison imaginée en tant qu’être vivant invitait directement le passeur à entrer. Les portes d’entrées sont aux nombres de cinq. Deux qui sont latérales et de grandes dimensions couvertes chacune d’une arcade parabolique. Ainsi que trois autres entrées centrales séparées chacune d’une colonne s’avançant et ancrées directement à travers le trottoir de la rue toujours dans cette idée de prédominance de l’espace privé sur l’espace public. Sur l’esquisse, à gauche seulement se dessine le programme ornemental. C’est à droite qu’on distingue l’ancienne structure de la bâtisse à travers un bossage qui semble régulier et où sont indiquées par l’architecte de nombreuses dimensions qui indiquent la hauteur ainsi que la largeur et de la profondeur des éléments structuraux du rez-de-chaussée. Le rez-de-chaussée percé de cinq ouvertures dont on distingue les colonnes supportant des arcs « paraboliques », se trouvant ainsi entre des arcs en plein cintres et des arcs d’ogives d’inspiration médiévales. Ces arcs de forme cannelés s’élancent le long de l’élévation et se liant tels des serpents aux éléments du premier étage. Ensuite une fine ligne tracée au crayon délimite le rez-de-chaussée du premier étage et il en est ainsi pour la délimitation des autres étages entre eux. Le premier étage souvent cité comme l’étage noble qui est le lieu où vivent et interagissent les membres de la famille propriétaire de cette demeure. De larges percées ogivales se distinguent alors. Elles sont séparées en leurs centres par une colonne composite, presque cannelée formant les de large ouvertures sur la rue. Les fenêtres sont alors la source de la lumière. Gaudi semble avoir indiqué la forme circulaire des vitraux sur son dessin qui recouvrent que la partie supérieure des fenêtres.
Il conçoit ces percées d’abord en éléments simples et rigoureux, c’est-à-dire par de simples et fins tracés de formes rectangulaires, reflétant de l’essence même de la structure de la façade. Ainsi à gauche du croquis il développe son imaginaire créatif inspiré de l’observation du monde animal et végétal où règne les de formes ogivales et les lignes courbes. Les colonnes composites semblent « couler », « s’affaisser », l’étage noble est alors en fusion avec le rez-de-chaussée et le deuxième étage. Où il développe ses idées conceptuelles de balustrades. Qui sont des petits espaces ouverts et élancés dans l’espace public de la rue. Illustrant une nouvelle fois la dominance discrète et assumée de façon physique comme symbolique de l’espace privé de la maison sur l’espace public, celui de la rue passagère. L’ornementation du troisième étage s’affirme dans des formes presque « baroque » (Collins et Bessegoda Nonell, 1983, p.-30). Gaudi propose une forme élancée et ondulée à la première fenêtre de la partie gauche, sur le modèle des fenêtres de l’étage noble, mais dans des dimensions plus moindre. Toujours plus à gauche, il dessine une proposition de balustrade, élément sécuritaire permettant de ne pas tomber par la fenêtre. Cependant ici l’esprit imaginatif de Gaudi propose de réinterpréter richement l’ornementation. La balustrade est scindée est deux par une pile centrale, et semble s’élancer tant à gauche qu’à droite du dessin et ainsi une importance visuelle concrète. Gaudi opte pour une connexion architecturale des espaces de la façade comme si la maison tout entière ici vue à travers l’esquisse de la façade ne formait d’un tout uniforme et homogène, qui s’imbrique alors les uns aux autres. La façade de la Casa Batllo est souvent comparée à un squelette « Casa dels Ossos » (Puig-Boada, Andreu « Gaudi, le scandale », 2002) ou à une pâtisserie (Lahuerta « La Pâtisserie Barcelone », 2010, p.59). Du rez-de-chaussée au balcon du quatrième étage où une forme analogue à une forme humaine se dégage et permet alors d’apprécier les dimensions « réelles » des étages conçus par l’architecte et séparés chacun de façon visuel par le passage de l’une à l’autre des différents niveaux de fenêtres, la façade est imaginée dans un liant sans séparation physique. Comme si la matière de la façade s’écoulait entre les différents étages pour les alliés entre eux. Gaudi développe trois propositions de balustrades à ses fenêtres ouvertes qui sont dessinés de façon isolés et indépendants se retrouvent au quatrième étage. Les avants corps du balcon s’assimilent différentes formes analogues, tels des masques vénitiens à dentelles. C’est ainsi que Isidre Puig-Boada et Carles Andreu dans « Gaudi, le scandale » assimile les éléments d’ornements propres à Gaudi (2002) qui génère « la complication » en rupture avec la strique rigidité du néoclassicisme. Le dernier élément remarquable de cette description pour détacher la singularité du tracé de Gaudi est la toiture tripartite. Les deux cotés sont terminés par de cours relevées coniques. L’importance de la ligne courbe est indiquée par des éléments écaillés de la gauche au centre. De plus, au centre se dégage un premier projet d’un lanternon, qui est d’habitude assimilé à une architecture religieuse (Brunelleschi, Dôme de Santa Maria del Fiore, 1436, Florence). L’importance technique du dessin est renforcée par l’importance des symboles chrétiens comme affirmant la dominance de la demeure.
La description de cette élévation encore au stade de projet de la façade de la Casa Batllo, permet alors de dégager nettement le système de pensé technique de Gaudi. Le résultat est d’avoir une structure rectangulaire, géométriquement classique et d’insuffler de nouvelles formes géométriques imaginées à travers le prisme du monde animal et végétal. C’est ce qui se défini alors par une des caractéristique de l’Art nouveau.
En conséquence ; qu’est ce qu’une maison ? Qu’elle en est la fonction ? Exprimée à travers l’image architecturale. Elle est vue comme une entité indépendante tout autant que l’est son propriétaire, nécessaire à la structure familiale. Selon Gaudi, l’indépendance de cette structure provient de sa position géographique déterminant la qualité de l’air et l’abondance de la lumière. Ainsi Gaudi dégage deux buts à cette maison imaginée : « le premier c’est de faire, par ses conditions hygiéniques des êtres forts et robustes (ceux qui vivent et se développent en son sein) et le second, par ses conditions artistiques, de leur offrir, dans la mesure du possible, notre proverbiale fermeté du caractère » (Gaudi par Puig-Boada, Andreu, Notes sur la maison familiale, 2002). Qu’est ce que la demeure dit d’une époque et d’une société donnée ? Cette citation comprise dans le contexte barcelonais, moderne, catalan et de l’édification de la Casa Batllo, ici représenté par une de ses esquisses connues permet alors de s’en faire une idée plus précise. La demeure est vue comme une réponse au chaos extérieur, comme un lieu de villégiature. Cela passe en premier lieu par l’émulsion une proposition d’ornementation qui est structurée entre utilité et beauté, tout droit imaginé par Gaudi.
Pourquoi le choix de cette esquisse ? C’est du moins essayer d’appuyer sur l’importance du dessin dans le processus de création architecturale de Gaudi, où sa pratique du dessin fut tant négligée probablement du au manque d’informations relatif à son œuvre de papier, partie dans l’ensemble en fumée lors de l’incendie de son ancien atelier lors de Guerre Civile Espagnole en juillet 1936. Le dessin à une fonction technique supposée, mais cette analyse propose d’aller plus loin en essayant de dégager les éléments iconiques importants à l’architecture de Gaudi.
[1] LAHUERTA. Juan-José, “La Patisserie Barcelone”, Antoni Gaudi Ornament, Fire and Ashes, Columns of smoke, Vol. III, trans. by Graham Thomson, Tenov Books, Barcelona, 2010 (2016), p.-88 et 216.
[2] PUIG-BOADA. Isidre, Carles ANDREU, « Les Ecrits de Gaudi ; Notes sur la maison familiale », Antoni Gaudi, Paroles et Ecrits, trad. du catalan par Annie Andreu-Laroche et Carles Andreu, L’Harmattan, 2002, p. 265-267. CRIPPA. Maria-Antonietta (dir.), « Anthologie des textes autobiographiques », Gaudi, Demeures, parcs et jardins, Seuil, p.-102-103.
[3] DOUGLAS. Lewis, The Drawings of Andrea Palladio, International Exhibitions Foundation, 1981-1982, Washington, DC, p.-6
Bibliographie :
- COLLINS. George.-R, Juan BESSEGODA i NONELL. Juan,l, the drawings of Antonio Gaudi, Princeton university Press, New Jersey, 1983, p.-30, 6et
- COLLINS. George. R, The drawings of Antonio Gaudi, The Drawing Center, New York, March 26 – May 24, 1977.
- CRIPPA. Maria-Antonietta (dir.), Gaudi, Demeures, parcs et jardins, Seuil, p. 11, 27-31, 50.
- GUELL. Xavier, Guide Gaudi, L’Exaltation de Barcelone, les guides visuels, Hazan, Barcelone, 1991, p.-11-19, 110-125.
- LAHUERTA. Juan-José, « Barcelone Patisserie », Antoni Gaudi Ornament, Fire and Ashes, Columns of smoke, Vol. III, trans. by Graham Thomson, Tenov Books, Barcelona, 2010 (2016), p.-59-89, 216.
- PUIG-BOADA. Isidre, Carles ANDREU, Antoni Gaudi, Paroles et Ecrits, trad. du catalan par Annie Andreu-Laroche et Carles Andreu, L’Harmattan, 2002, p.9- 10, 265-267.
- Juan BESSEGODA i NONELL, Les architectures fantastiques de Gaudi, trad. par Pierre Roudil, collection les passeports de l’art, édition Atlas, Paris, Montréal Nord, 1983.
- ZERBST. Rainer, Gaudi 1852 -1926 – une en architecture, trad. par Albert Walther, Taschen, Londres, 1988 (2005), p.-162-175.
Webographie :
- Françoise AUBRY, « ART NOUVEAU », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 5 mars 2020. URL : http://www.universalis-edu.com.proxy.bibliotheques.uqam.ca/encyclopedie/art-nouveau/.