Débuté en 1882 et terminé en 1991, l’hôtel particulier crée par l’architecte Gaillard à tout ce qui caractérise un hôtel de luxe dans son exemple le plus complet. Choisi par Rumber pour illustrer l’article « Hôtel » dans l’Encyclopédie de l’Architecture de Planat, on y voit tout ce qui constitue un appartement de luxe : salon, vestibule, vestiaire, salle d’attente, salle d’armes, escalier d’honneur et escalier de service en plus d’une très grande cour intérieure, symbole d’une grande richesse. Un seul aspect détonne du plan d’architecture « traditionnel » de cette époque : la piscine.
Non loin de l’entrée et ayant une splendide vue sur la cour, l’hôtel est équipé d’une piscine intérieure chauffée à la vapeur. En plus d’être une innovation en soi, le fait qu’elle soit chauffée démontre le caractère de la demeure. En effet, la convenance veut que le luxe, transmis héréditairement, soit un signe de richesse et du statut privilégié du propriétaire. Il se caractérise par une originalité constante, et il se perd quand l’objet devient objet courant. Comme on peut le voir dans le plan du deuxième étage, les types de pièces présents démontrent bien la richesse de la demeure : bibliothèque, grand salon et salon régulier, salle à manger et bien évidemment, une énorme serre de décorations mauresques qui démontrent les intérêts de l’époque pour le voyage et l’archéologie.
Pour ce qui est du plan du rez-de-chaussée, on sent l’héritage des appartements d’apparats qui ont vu le jour aux XVIIIe siècle. Les pièces sont montées en enfilades. Au centre, un long corridor donne sur la cour intérieure qui est surplombée par la serre, comme le démontre les piliers tracés sur le plan. Au fond de la cours, on peut voir les écuries, ainsi qu’une pièce destinée au rangement des harnais et des autres équipements équestres. Pour revenir à l’hôtel, à droite de l’allée centrale se trouve une salle d’attente qui donne à la fois sur la piscine intérieure ainsi que sur la salle d’armes. Celle-ci est relié aux escaliers de services qui donnent directement dans les cuisines. À gauche de l’allée centrale, on retrouve une énorme vestibule, un vestiaire et une salle de rangements (concierge). Le vestibule donne aussi sur un salon avec une vue sur la cour et sur un escalier d’honneur qui est relié à un entrée particulière, destinée aux invités Finalement, le bijou de technologies de l’immeuble : un ascenseur. Véritable luxe à l’époque, il est réservé qu’à la haute aristocratie. Même la haute bourgeoisie ne possède pas la convenance d’avoir un ascenseur dans leur hôtel particulier.
Source : DEBARRE, Anne et Monique ELEB (dir.), Architectures de la vie privée XVII-XIXe siècle, Paris, Éditions Hazan, 1989, p. 278.
Revenons à la piscine qui est recouverte de faïence blanche ; les murs sont décorés d’une faïence émaillée, tandis que les coupoles sont faites de mosaïques. Une magnifique gravure, produite pour l’article dans l’Encyclopédie de l’Architecture de Planat nous illustre la décoration de la piscine. Un ensemble de douches très luxueux, et très rare, accompagne l’aménagement de la piscine et nous permet de mieux comprendre pourquoi les propriétaires ont décidé de faire construire une piscine dans leur maison.
En effet, même s’il est annoncé depuis les Lumières, c’est seulement au XIXe siècle qu’on commence à faire des véritables liens entre la santé et l’hygiène. Les crises de choléra qui ont frappé Paris dans les années 1830 poussent les habitations à déserter de plus en plus les fontaines publiques. La ville s’efforce alors de répondre à la demande en eau qui augmente considérablement. En 1830, un Parisien consommait environ 10 litres d’eau par jour. En 1850, la demande est passée à 60 litres par jour. Par contre, pendant longtemps, et malgré des nombreux efforts de la ville, les habitants préfèrent continués de prendre l’eau des porteurs d’eau, plutôt que de payer une somme considérable afin de faire installer un système d’eau courante, en plus d’un abonnement mensuel obligatoire afin de continuer à accéder l’eau.
Source : DEBARRE, Anne et Monique ELEB (dir.), Architectures de la vie privée XVII-XIXe siècle, Paris, Éditions Hazan, 1989, p. 276.
Cette piscine, en plus d’être chauffée, est équipée d’un système de douche. La haute bourgeoisie et la noblesse de la fin du XIXe siècle tentent de réaménager leur demeure afin d’éviter la propagation de bactéries. On voit l’avènement des salles de bain, comme on peut le voir sur le plan du deuxième étage. Avant, on séparait les salles de toilette et les salles de bains pour des raisons de convenance. Les salles de toilettes étaient réservées généralement aux maitresses des maisons. Les hommes se contentaient de petits meubles dans leurs chambres à coucher ou des salles de bains pour se laver. L’unification entre les salles de bains et les salles de toilettes rend l’espace unisexe, et beaucoup plus hygiénique. En effet, l’espace est complètement repensé. On évite les tissus et les rideaux, on se retourne vers la faïence ou encore vers les peintures lavables comme l’huile ou le Ripolin. Dans le monde de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie, c’est la Comtesse de Gencé qui dictera les nouvelles règles d’hygiènes à suivre :
« Elle conseille d’éliminer les tapis et les tentures qui ne sont que des repaires de microbes. […] Elle s’insurge contre le fait qu’ils[architectes] ne considèrent parfois le cabinet de toilette que comme une annexe sans importance, et ils le négligent ou le confinent dans un réduit obscur et étroit où l’on peut à peine se tourne. »
Comtesse de Gencé dans DEBARRE, Anne et Monique ELEB (dir.), L’invention de l’habitation moderne – Paris 1880-1914, Paris, Éditions Hazan, p. 229.
Source : DEBARRE, Anne et Monique ELEB (dir.), Architectures de la vie privée XVII-XIXe siècle, Paris, Éditions Hazan, 1989, p. 276.
Sur le deuxième étage, on voit bien la présence de trois salles de bain. L’appellation « salle de bains » pour désigner la place de la toilette et la place de la baignoire est très contemporaine. On retrouve très peu d’exemples sur les plans avant le début du XXe siècle. On voit, par contre, sur le quatrième étage que les salles de bains sont devenues que des salles de toilettes, six petites pièces, souvent annexées à des chambres à coucher. Finalement, l’étage supérieur, le quatrième étage, est réservé aux domestiques et on y trouve également une seule petite salle de toilette. Dans un contexte où le raccord privé des maisons et du service d’eau courante ne se fait que depuis les années 1840 et dans un très petit nombre de personnes, on voit que le fait d’avoir cinq étages (si on comprend la piscine du rez-de-chaussée) connectés à l’eau courante, surement de l’eau de source puisque l’ensemble des services d’eau résidentiels de Paris devient de l’eau de source en 1880, c’est un véritable symbole de pouvoir et de luxe, mais aussi un exemple de ce nouveau souci d’hygiène dans une France de la fin du XIXe siècle.
Sources
BOCQUET, Denis, Konstantinos CHATZIS et Agnès SANDER, « L’universalisation de la distribution de l’eau de Paris 1830-1930, Flux, vo. 2, n. 76-77, 2009, p. 137-141.
CHEVALIER, Fabienne, Le Paris Moderne : Histoire des politiques d’hygiène (1855-1898), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
DEBARRE, Anne et Monique ELEB (dir.), Architectures de la vie privée XVII-XIXe siècle, Paris, Éditions Hazan, 1989.
DEBARRE, Anne et Monique ELEB (dir.), L’invention de l’habitation moderne – Paris 1880-1914, Paris, Éditions Hazan, 1995.
LOYER, François, « Les canalisations et le confort », Paris XIXe siècle, Paris, Atelier parisien d’urbanisme, 1982, p. 83-92.