Construite en 1929, la Melnikov House est un exemple de l’avant-garde russe mais une exception architecturale en Russie soviétique.
Après la révolution communiste russe, plusieurs groupes et mouvements se sont formés parmi les architectes. La ASNOVA ou la OSA de Ginsburg sont des plus célèbres. Dans cette étude, il sera par contre question d’un cas spécial de cette période : Konstantin Melnikov et plus particulièrement la maison qu’il s’est construit pour lui et sa famille en 1927-1929.
Pour commencer, il est primordial de souligner les formes de la maison. Le plan de base, consistant de deux cylindres télescopés dont l’un fut tranché latéralement pour créer une façade plane, celle-ci servant d’entrée et de baie vitrée à l’étage.
À la jonction des deux cylindres sur la droite du plan, nous distinguons une cage d’escalier en colimaçon connectant les trois étages. Au rez-de-chaussée, nous pouvons identifier sur la gauche les espaces servant de salle d’eau et de cuisine, mais les étages supérieurs sont pratiquement vides. La raison à cela est que l’architecte a pensé les différents étages de sa maison selon les besoins auxquels ils doivent répondre : à savoir le corps au rez-de-chaussée avec la cuisine et la salle de bain, le premier étage à la vie de l’esprit avec le salon ainsi que le repos avec les chambres et enfin de deuxième étage correspondant à l’âme de l’artiste avec le studio de l’architecte. Un autre aspect particulier de la forme soulevé dans Moscow architecture 1920-1960 est la forme de deux anneaux de mariage enlacé suggéré par la forme des cylindres lorsque la maison est vue à vol d’oiseau. Melnikov a représenté sa maison en détail dans plusieurs plans et dessins, plan de plafond, en coupe et en détail de construction. Il conçut aussi une maquette afin d’illustrer sa proposition des cylindres enlacés ainsi que la méthode de construction. De plus, melnikov avait pensé la construction de sa maison en économie de matériaux, l’un des rares points qui ne lui vaudra pas de critiques.
La maison de Melnikov est un cas à part de l’architecture russe de la période soviétique. Bien que très célèbre, au point de se voir confier la réalisation du pavillon Soviétique pour l’exposition « Arts Décoratifs et Industriels » de Paris en 1925, il n’en demeure pas moins une exception de son époque. Une de ses principales particularités est son détachement des principaux groupements d’architectes. Sa maison est une incarnation de cet individualisme contraire à la tendance architecturale communisme imaginant de nombreux espaces de vie en commun conçu pour un grand nombre de personnes, mais très peu de résidences unifamiliales. Ce qui fait l’unicité de cette maison est «le rejet des formes orthodoxes habituelles, un agencement original de l’espace intérieur et un système d’ouvertures hexagonales qui donne à la maçonnerie un air d’ossature».
Cette résidence reçut de nombreuses critiques négatives lors de sa construction, que Kathleen Berton explique dans son histoire de l’architecture de Moscou : « Melnikov still lives in his unique home, the old man of architecture in Moscow and probably the only Soviet citizen to live in a private house of his own design.»
C’est là le coeur de la controverse et de la célébrité de cette maison. Durant la période soviétique, les résidences privées étaient rarissimes. Pour comprendre cet état de fait, il faut rappeler la ligne politique et sociale de la Russie soviétique ainsi que l’organisation des mouvements et philosophie d’architecture. Les deux principaux groupes étaient l’Association of New Architectes (ASNOVA étant l’abréviation russe) et l’Association of Contemporary Architectes (ou OSA). Ces deux groupes étaient en opposition l’un à l’autre. Malgré le fait que leurs philosophies respectives aient des points en commun. ASNOVA était plus radicale dans son approche de l’évolution de l’architecture : « Their credo included the total rejection of the past, the fullest use of modern techniques and materials, and the synthesis of art and architecture. They believed that architectural form is the object of scientific research, that it is “rational”.» Du côté de OSA : « OSA members believed, to put it simply, in refuting the old architecture and rationalizing the labour of building. […] OSA criticisms of ASNOVA were based on the issue of utilitarianism, of “transformation of the way of life”, of striving for the new socialist type of building, of finding concrete solutions instead of pursuing the abstract ideas they believed typified ASNOVA.»
Melnikov fréquenta ces deux mouvements, mais finit par s’en détacher, car il fut éventuellement submergé et dépassé par les querelles idéologiques qui ne l’intéressait absolument pas : «By early 1926, Melnikov’s alienation from both of the avant-garde groups in Moscow was complete. As he recalls, “… the devotees of architectural discussion in Ladovskii’s ASNOVA and Ginsburg’s OSA stood about posing, without building anything. The former called themselves “contemporary”. I understood their torrant of words less than anyone else among us…”»
Melnikov s’intéressait à l’architecture, ses possibilités et la voyait comme un art et non un moyen de propagande des idées communistes ou un lieu de dispute idéologique. Sa recherche d’indépendance est l’un des fondements de sa recherche créatrice :
« […] he could follow his strong inclination to declare his independence from all such polemical concerns and set up himself, Konstantin Melnikov, as patron, architect, and builder. This he did. “Having made myself the boss, I entreated Her [Architecture] to throw off from herself the shawl of marble, wash off the powder and rouge and reveal herself, unclothed, as good, graceful and young. And as befits a true beauty, she turned out to be very agreeable and compliant.”»
Ces réflexions de l’architecte nous renseignent à la fois sur ses ambitions, mais aussi son amour pour son art. Pour Melnikov, l’architecture est à l’instar de la peinture, de la sculpture ou encore de la musique un moyen d’expression de l’intériorité de l’artiste. Mais son désir de se détacher des organisations et des conflits idéologiques ne fut pas sans conséquence pour sa carrière. Dans une société dont la philosophie de base est l’union des individus pour former un corps homogène, chercher à sortir du lot peut mettre quelqu’un dans une position des plus délicates :
« Cut off from these two important foci of organizational life, Melnikov rapidly became isolated within the Vkhutemas, so completely, in fact, that when in 1927 the Armenian Karo Alabian and several other students from the architectural section produced a retrospective volume on Architecture at the Vkhutemas, his name was not even mentioned, nor was it mentioned on the pages of a periodical published by the school in 1929.»
C’est précisément pendant cette période d’isolement qu’il construira sa désormais célèbre maison, il y vivra jusqu’à la fin de sa vie. La maison est toujours debout à Moscou. Considérée comme un monument de l’architecture soviétique, bien que cette demeure fut une exception de son époque.
Bibliographie
BERTON Kathleen, Moscow, an Architectural History, Library of Congress Cataloging in Publication Data, 1978, p.216
BRONOVITSKAYA Natalia, BRONOVITSKAYA Anna, TKACHENKO Sergei, Moscow architecture 1920-1960, 2006, p.97
IKONNIKOV Andreï, KARVOVSKI Alexandre, PISKARÉVA Natalia, L’architecture russe de la période soviétique, Pierre Mardaga Éditeur, Éditions Radouga, Moscou, 1990,p.142
STARR S. Frederick, COHEN J. L. , K. Mel’nikov, Le pavillon soviétique, Paris 1925, Éditions L’Equerre, Repères Collection, 1981, France, p.9
STARR S. Frederick, Melnikov, Solo Architect in a Mass Society, Princeton University Press, Princeton, New Jersey, 1981, p.116
Bonjour Juliette,
Pourriez-vous trouver une image à plus haute résolution?
Non, malheureusement je n’ai pas trouvé de dessin qui soit de la main de l’architecte en meilleure résolution.
Votre remise préliminaire est complète et bien écrite.